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sont là des riens. M. Alphonse François, fort au-dessus par son esprit et par son goût de ce travail d'annotateur, a montré qu'il en était plus que capable dans des notes spirituelles et fines toutes les fois qu'il s'agissait de théâtre et de comédie. M. Alphonse François est de ces esprits délicats et de ces hommes heureux qui, dès leur jeunesse, ont pris le parti de goûter les belles choses et les choses exquises, plutôt que de se fatiguer à en produire; c'est un dilettante classique dont je puis parler pertinemment, car, d'un âge approchant du mien, mais de bonne heure très-mûr, il a eu autrefois des bontés pour mon enfance. Nul ne savait mieux que lui, au collége, aiguiser le vers latin et même tourner le vers français en un genre qu'on était déjà près d'abandonner :

Sous lui bâille un commis qui l'aide à ne rien faire, disait-il agréablement dans une Épître à je ne sais quel avocat sans cause (1). Amateur de l'orchestre, sachant son ancien théâtre et les traditions du foyer comme s'il avait vingt-cinq ans de plus, il lui est toujours resté ce pli (un excellent pli), d'avoir été nourri entre le goût pour Andrieux et l'admiration pour M. Villemain. Et c'est ainsi que lorsqu'il s'est agi d'une introduction pour le présent Recueil, il est allé tout droit dans sa modestie vers l'écrivain qui peut paraître, au meilleur titre, concilier en lui ces deux filiations, ce double mérite de la haute critique et de la gentillesse de parole et d'esprit; il s'est donc adressé à M. Saint-Marc Girardin, qui a répondu à son appel par une lettre ou préface très-vive, très-spirituelle, parfaitement judicieuse, un peu indulgente, mais tout à fait digne, par son tour preste et dégagé, d'ouvrir cette lecture des lettres de Voltaire.

(1) Il faut être exact de tout point : l'Épître de M. François est adressée à un jeune clerc, et dans le vers cité il s'agit du commis d'un greffier.

Lundi, 10 novembre 1856.

LE MARÉCHAL DE VILLARS

On déprécie trop Villars depuis quelque temps. Le portrait saillant, ineffaçable, qu'a tracé de lui SaintSimon en sa fureur de peintre, reste dans les yeux, et empêche qu'on ne soit tenté de regarder le personnage en lui-même et d'une vue plus reposée. Il faut un intervalle pour s'en remettre et pour qu'il soit possible de se figurer l'original sous d'autres couleurs. Les principaux traits accusés par Saint-Simon sont bien en Villars; mais il les a présentés sous un jour si contraire, si particulier, à la clarté de sa lampe de nuit et avec de telles rougeurs dans l'ombre, qu'on n'a devant soi qu'un monstre de vanité, de forfanterie et de fortune, une caricature. Changez la lumière, faites que le rayon tombe où il faut, que l'ombre se retire et se dégrade, en un mot regardez Villars au soleil, le même homme va paraître tout différent. Le charmant portrait que Voltaire a tracé du héros de Denain dans le Siècle de Louis XIV est bien plus celui qui nous semble juste, sauf l'indispensable teinte de flatterie, laquelle encore est si transparente qu'elle laisse bien apercevoir les défauts. Mais cette esquisse de Voltaire, dans sa simplicité élégante et naturelle, ne suffit point aujourd'hui pour réfuter et repousser le magnifique portrait en laid où

Saint-Simon a versé toutes ses ardeurs et son amertume placée à côté, elle en est éteinte et absorbée. Il faut donc faire là comme en tant d'autres points de l'histoire étudier, creuser, recourir aux sources, se former une opinion directe; après quoi l'on se trouvera revenu, par bien des détours et avec des motifs plus approfondis, à ce que les contemporains judicieux et vifs avaient exprimé d'une manière plus légère.

Ç'a été pour moi une satisfaction imprévue que de lire ce qu'on appelle les Mémoires de Villars. J'en dois l'idée à l'un de mes confrères à l'Académie, au noble général historien M. de Ségur, qui lui-même en avait été très-frappé dans une lecture récente. J'avais contre l'ouvrage une vague prévention qui, ce me semble, est assez généralement répandue. Ces Mémoires, quoique' la première partie, assure-t-on, jusqu'à la fin de l'année 1700, soit du maréchal même, ne peuvent être considérés en effet que comme rédigés après coup sur ses lettres, bulletins et dépêches; mais Anquetil, qui a été l'arrangeur, et qu'on doit suivre à partir de 1700, a trèsbien fait ce travail, qui gagne en avançant plutôt qu'il ne perd, et qui est d'un intérêt continu. Villars, par ses lettres et par ses propos, y est toujours en scène; c'est bien lui seul, et pas un autre, qu'on entend parler. Il n'y dit jamais de mal de lui, mais dans le bien qu'il en raconte, dans ses récits les plus avantageux, il y tant d'esprit, de gaieté, de bons mots joints à l'action, de belle et vaillante humeur française, il est si bien un héros de notre nation, que ses défauts cessent d'y déplaire. De grandes et incontestables qualités de guerrier y apparaissent, même à ceux qui sont le moins du métier. Villars n'est pas seulement brave et brillant, il a les instincts de la grande stratégie, de celle dont notre siècle a vu les développements et les merveilles en deux ou trois occasions, s'il avait été maître de ses

mouvements, il frappait au coeur de l'Allemagne de ces coups agressifs auxquels on n'était pas accoutumé alors; il se lançait, par exemple, jusqu'aux portes de Vienne, et très-probablement il y entrait. Le bonheur presque constant qui l'accompagna ne saurait se séparer du mérite réel et des parties de capitaine que Saint-Simon luimême est bien forcé de lui reconnaître. C'était une nature de guerrier, tout en dehors, tout d'une venue, donnant sa mesure de pied en cap et se dessinant de toute sa hauteur; capable d'ailleurs de plus d'un emploi, et de négociations comme de batailles; toujours actif, toujours insatiable, audacieux et fin, aimant les richesses, le faste, avide de grandeur, adorant la gloire; ne songeant qu'à avancer, et en toute chose à tenir la tête. Involontairement on se demande, en lisant sa vie et en le voyant contenu autant qu'appuyé par Madame de Maintenon et par Louis XIV, ce qu'il serait devenu à une époque où la carrière était ouverte plus largement, et où il n'y avait pas de limites aux espérances: où. se serait-il arrêté? où n'aurait-il point visé? et l'on se dit: Quel général de la Révolution aux années du Directoire, ou mieux encore quel maréchal d'Empire c'eût été que Villars, et de ceux qui aspiraient de tout leur cœur à être rois!

Le maréchal de Villars fut même académicien. Il y eut depuis, sur la liste des Quarante, plus d'un personnage revêtu de cette éminente dignité militaire, les maréchaux de Richelieu, d'Estrées, de Belle-Isle, de Beauvau ; mais il fut le premier maréchal de France qui, en possession du bâton, eut cette idée gracieuse sous Louis XIV de vouloir être de l'Académie. Il y fut reçu le 23 juin 1714, quelques mois après avoir signé la paix de Rastadt et au comble de sa gloire. M. de La Chapelle (l'auteur des Amours de Catulle), qui était chargé de lui répondre, lui dit : « Il manque quelque chose à votre gloire et à

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celle de l'Académie la fortune devait mettre en ma place Cicéron pour répondre à César. » — « Nous avons vu des lettres de vous, disait-il encore, que les Sarazin et les Voiture n'eussent pas désavouées. » Je n'ai pas vu de ces lettres, mais les dépêches de Villars, et les pièces dont les extraits forment le tissu de ses Mémoires, justifient pour nous suffisamment cette ambition qu'il eut de vouloir joindre à tant de palmes les titres de l'esprit (1).

I

Parents de Villars.

Son éducation; ses débuts.

Apprentissage de guerre.

Il se distingue sous Turenne, Condé et Créqui. Volontaire à l'armée de Hongrie. Envoyé du roi en Bavière. Sert sous Luxembourg. - Souffre des guerres inactives.

Louis-Hector de Villars, né en mai 1653, à Turin, disent les uns, où son père aurait été alors ambassadeur, ou plus probablement, selon les autres, à Moulins en Bourbonnais (2), était fils de Pierre de Villars et de

(1) On apprendra avec plaisir qu'une nouvelle édition des Mémoires de Villars est en préparation et doit être assez prochainement donnée par un homme de mérite, M. Dussieux, professeur d'histoire à Saint-Cyr et l'un des éditeurs du Journal de Dangeau; elle fera partie de la bibliothèque elzevirienne de Jannet. (Cette édition n'a point paru.)

(2) Depuis que ceci est écrit, on m'a fait connaître une pièce qui prouve que la prétention de la ville de Moulins à revendiquer la naissance de Villars est un droit désormais authentique. On a retrouvé, dans ces dernières années, l'acte de baptême qui constate que Claude-Louis-Hector de Villars (ce prénom de Claude a toujours été omis par la suite) fut baptisé le 29 mai 1653, dans la chapelle du couvent de la Visitation de Moulins. Il a paru résulter de cet acte, assez grossièrement dressé, et où manquent les noms du père et de la mère, que l'enfant avait atteint l'âge de trois semaines lors du baptême, ce qui reporterait la naissance de Villars à la date du 8 mai environ. (Voir le tome 11 de l'Histoire du Bourbonnais, par M. de Coiffier, et une Note lue à la Société d'émulation de Moulins, le 6 no

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