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Marie de Bellefonds. Son père, qui avait poussé assez loin sa fortune, jusqu'à être lieutenant général et ambassadeur, avait eu à souffrir des revirements politiques du temps et des suites de la Fronde. Agréé toutefois de Louis XIV au début de ses conquêtes de Flandre pour son expérience et sa bonne mine, et devenu l'un de ses aides de camp, il se reprenait aux grandes espérances, lorsque l'inimitié de Louvois, qui haïssait en lui l'allié du maréchal de Bellefonds, l'arrêta de nouveau, du moins dans son avancement militaire; car le marquis de Villars eut depuis de grandes missions et des ambassades. Cette mauvaise fortune des parents du maréchal n'était donc que relative, et en aurait paru une meilleure et trèssuffisante à d'autres moins ambitieux. Les entendant un jour s'en plaindre, Villars encore enfant s'écria : « Pour moi, j'en ferai une grande. » Et comme ses parents lui demandaient sur quoi il se fondait pour parler de la sorte, il répondit : « C'est déjà un avantage pour moi que d'être sorti de vous; et, d'ailleurs, je suis résolu à chercher tellement les occasions, qu'assurément je périrai, ou je parviendrai. » Son mot d'ordre, sa devise en entrant dans la vie aurait pu être : « En avant, et toujours plus haut ! »

La mère de Villars était une personne de beaucoup d'esprit, de raillerie et de finesse. On a d'elle de trèsagréables lettres à madame de Coulanges pendant l'ambassade de son mari en Espagne. Elle y alla au moment où Charles II épousa la fille de Monsieur, la nièce de

vembre 1852, par M. de Laguérenne, conservateur de la bibliothèque de la ville.) - L'opinion qui plaçait son berceau à Turin, tenait surtout au désir de faire un rapprochement remarquable. Villars, en effet, étant mort à Turin le 3 juin 1734, on se plut à dire qu'il était allé mourir dans la même ville et dans la même chambre où il était né plus de quatre-vingts ans auparavant. Dans quelques couplets du Recueil de Maurepas, où on le chansonne, Turin aussi est indiqué comme le lieu de sa naissance.

Louis XIV (1679). Les mœurs espagnoles, les usages de Madrid et de la Cour, les bizarreries et les monotonies de cette vie si nouvelle pour une Française et une amie des La Fayette et des Sévigné, y sont touchées avec une discrète ironie. Tout cela est dit à madame de Coulanges pour qu'elle y donne l'air qu'elle savait mettre aux choses en les racontant; mais la marquise fait à l'avance ce qu'elle recommande si bien à madame de Coulanges. On voit que si le maréchal de Villars eut de l'esprit, il avait de qui tenir.

De même s'il avait un peu de romanesque dans l'humeur, il le devait sans doute à son père, à qui sa belle mine et ses airs de héros de roman avaient valu dans la société le surnom d'Orondate. Cet Orondate ou Oroondate est le principal héros du roman de Cassandre, de La Calprenède. Prince de Scythie, incomparablement beau et valeureux, fidèle à sa princesse Statira et rival auprès d'elle ou même successeur d'Alexandre, il offre l'image d'un vrai chevalier et l'idéal d'un parfait galant. Le père de Villars dans sa jeunesse, par sa tournure ou ses sentiments, donnait à ses enjouées contemporaines l'idée de cet intéressant personnage, et le nom lui en était resté. On saura de plus que le fils du maréchal, le duc de Villars du dix-huitième siècle, et qui succéda à son père dans le fauteuil académique, possédait au plus haut degré le talent de la déclamation dramatique et était un excellent tragédien de société. Il semble qu'une veine légèrement romanesque et théâtrale circulât dans la famille. On sera donc peu étonné que le maréchal sût lui-même par cœur quantité de vers de Racine, de Corneille, et jusqu'à des vers d'opéra, et qu'il les citât à tout propos. Un jour qu'un homme d'Etat, un homme politique comme nous dirions, s'étonnait un peu malignement qu'un guerrier sût tant de vers de comédie : « J'en ai joué moins que vous, répliqua-t-il gaiement,

mais j'en sais davantage. » Supposez que le mot est dit au cardinal Dubois ou à quelqu'un de tel, il devient très-joli et des plus piquants. Le maréchal de Villars aima toute sa vie et jusqu'à son extrême vieillesse la comédie, le théâtre et ce qui s'ensuit.

Il avait coutume de dire que les deux plus grands plaisirs qu'il eût jamais eus, ç'avait été de remporter un prix en rhétorique et de gagner une bataille, ce qui ferait supposer qu'il avait fait de bonnes et même de brillantes études. Le maréchal de Villars n'était pas fâché par là de le donner à entendre: il n'était pas seulement ambitieux en avant, il l'était aussi dans son passé.

Villars débuta auprès de Louis XIV par être un des pages de la grande écurie : « Avec une figure avantageuse, une physionomie noble, et de la vivacité qui relevait encore un extérieur prévenant par lui-même, il se fit bientôt connaître et distinguer du roi parmi ses camarades. » A un moment il aurait pu suivre à l'armée son cousin-germain le maréchal de Bellefonds; mais, pressentant la disgrâce de ce général et guidé par son ́étoile, il se détermina « à se tenir le plus près du roi qu'il lui serait possible. » S'attacher au roi, lui persuader qu'il ne dépendait et ne voulait dépendre que de lui, ce fut toute sa politique au dedans. Elle lui vaudra un jour, quand il parviendra aux grands emplois, bien des ennemis et des envieux, à une époque où l'opposition frondeuse et dénigrante se sera glissée partout, même sur les terrasses de Marly.

En 1672, le jeune Villars accompagna le roi dans sa conquête de la Hollande, fut des premiers dans une pointe qui se fit jusque dans les barrières de Maëstricht, des premiers à la tranchée devant Doësbourg, se trouva au passage du Rhin, et se jeta, toujours des premiers, dans le fleuve. Il était avide d'occasions, et quand elles

ne s'offraient pas d'elles-mêmes, il courait les chercher ailleurs, jusqu'à les faire naître sous ses pas. Il avait pour principe qu'à la guerre un homme qui ne fait que son devoir n'en fait pas assez : « Il y a tel officier qui, à la rigueur, a fait son devoir, et qui en plusieurs années de service ne s'est pas trouvé à une seule action. » Pour lui, qui brùlait de parvenir, il briguait les périls et s'y prodiguait. Il avait ce qu'on a tant conseillé de ne. pas avoir en diplomatie, le zèle.

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En même temps qu'il faisait bien et plus que bien, il n'hésitait pas à en solliciter le prix. Personne n'a été moins honteux à demander des grâces et des grades; il savait les pouvoir payer ensuite, et qu'il les mériterait hautement après les avoir reçus.

Le roi s'accoutuma à l'agréer, à se servir de lui à plus d'une fin; il l'envoya à Madrid après la campagne de 1672, pour complimenter le roi d'Espagne qui relevait de la petite vérole. Le père de Villars y était, dès ce temps-là, ambassadeur.

Villars raccourut vite, de peur de perdre un seul jour, et fut à l'ouverture de la campagne suivante. On entreprit le siége de Maëstricht. Le roi défendit aux volontaires d'aller aux attaques sans sa permission. Villars, qui avait la charge de cornette des chevau-légers de Bourgogne, et qui n'avait rien à faire là comme cavalier, se jeta dans la tranchée sans en rien dire, une nuit où il prévoyait qu'il y ferait chaud; avec quelques gendarmes de son corps mêlés aux grenadiers, il marcha des premiers à l'attaque d'une demi-lune, s'y logea, et y tint aussi longtemps qu'il put jusqu'au jour. Le roi, qui s'était informé plusieurs fois de ce qui se passait de si opiniâtre dans cette demi-lune, fit appeler Villars au retour: « Mais ne savez-vous pas que j'ai défendu, même aux volontaires, d'aller aux attaques sans ma permission? à plus forte raison à des officiers, qui ne

doivent pas quitter leurs troupes, et moins encore des troupes de cavalerie. » — « J'ai cru, lui répondit Villars, que Votre Majesté me pardonnerait de vouloir apprendre le métier de l'infanterie, surtout quand la cavalerie n'a rien à faire. » C'est encore à ce siége, et pour une autre action de Villars, que le roi dit de lui: « Il semble, dès que l'on tire en quelque endroit, que ce petit garçon sorte de terre pour s'y trouver. »

Le maréchal de Bellefonds, ne pouvant aider son jeune parent que de ses conseils, lui donna du moins. celui-ci, dont Villars profita c'était d'apprendre le métier de partisan, et d'aller souvent faire des partis avec ceux qui passaient pour entendre le mieux ce genre d'entreprise; car, faute d'avoir ainsi pratiqué le détail de la guerre, et de cette guerre légère de harcèlement et d'escarmouches, bien des officiers-généraux, quoique braves, se trouvent ensuite fort embarrassés quand ils commandent des corps détachés dans le voisinage d'une armée ennemie. Ce que Villars n'avait fait jusque-là que par instinct et pour trouver des occasions, il le fit dès lors avec le désir de s'instruire:

a Il passait souvent trois et quatre jours de suite dans les partis avec les plus estimés dans cet art: c'était alors les deux frères de Saint-Clars, dont l'un, qui était brigadier, fut une fois six jours hors de l'armée, toujours à la portée du canon de celle des ennemis, poussant leurs gardes à tout moment à la faveur d'un grand bois dans lequel il se retirait, faisant des prisonniers, et donnant à toute heure au vicomte de Turenne des nouvelles des mouvements des ennemis. Et certainement rien n'est plus propre à former un véritable homme de guerre qu'un métier qui apprend à attaquer hardiment, à se retirer avec ordre et avec sagesse, et enfin qui accoutume à voir souvent l'ennemi de fort près.

Ceci se rapporte au moment où Villars achevait cette campagne de 1673, en Franconie, sous Turenne.

A travers tout ce brillant de jeune homme et cette ardeur de s'avancer qui pouvait sembler un peu aveugle

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