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SGANARELLE.

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Je n'ai pas grande peine à le comprendre, moi; & fi tu connoiffois le Pélerin, tu trouverois la chose affez facile pour lui. Je ne dis pas qu'il ait changé de fentimens pour Done Elvire; je n'en ai point de certitude encore. Tu fais que, par fon ordre, je partis avant lui, & depuis fon arrivée il ne m'a point entretenu ; mais, par précaution, je t'apprends inter nos, que tu vois, en Dom Juan mon maître, le plus grand fcélérat que la terre ait jamais porté, un enragé, un chien, un Démon, un Turc, un Hérétique qui ne croit ni Ciel, ni Enfer, ni Diable qui paffe cette vie en véritable bête brute, un pourceau d'Epicure, un vrai Sardanapale, qui ferme l'oreille à toutes les remontrances qu'on lui peut faire, & traite de billevefées tout ce que nous croyons. Tu me dis qu'il a époufé ta maîtreffe; crois qu'il auroit plus fait pour fa paffion, & qu'avec elle il auroit encore épousé, toi, fon chien & fon chat. Un mariage ne lui coûte rien à contracter; il ne fe fert point d'autres piéges pour attraper les belles; & c'eft un épouseur à toutes mains. Dame, Demoiselle, Bourgeoife, Paysanne, il ne trouve rien de trop chaud, ni de trop froid pour lui; &, fi je te difois le nom de toutes celles qu'il a épousées en divers lieux, cc feroit un chapitre à durer jul. qu'au foir. Tu demeures furpris, & changes de couleur à ce difcours ; ce n'eft là qu'une ébauche du perfonnage ; &, pour en achever le portrait, Il faudroit bien d'autres coups de pinceau. Suffit qu'il faut que le courroux du Ciel l'accable quelque jour; qu'il me vaudroit bien mieux d'être au

Diable, que d'être à1ui; & qu'il me fait voir tang d'horreurs, que je fouhaiterois qu'il fût déja je ne fais où mais un grand Seigneur, méchant homine, eft une terrible chofe; il faut que je lui fois fidele en dépit que j'en aie; la crainte en moi fait l'office du zele, bride mes fentimens, & me réduit d'applaudir bien fouvent à ce que mon ame détefte, Le voilà qui vient fe promener dans ce Palais; féparons-nous. Ecoute au moins; je t'ai fait cette confidence avec franchife, & cela m'eft forti un peu bien vîte de la bouche; mais, s'il falloit qu'il en vînt quelque chofe à fes oreilles, je dirois hautement que tu aurois menti.

QUE

SCENE I I.

D. JUAN, SGANARELLE.

D. JUAN,

VEL homme te parloit-là? Il a bien de l'air, ce me femble, du bon Gufman de Done Elvire ?

SGANARELLE.

C'eft quelque chofe auffi à-peu-près de cela.

Quoi! c'eft lui?

D. JUAN.

SGANARELLE.

Lui-même.

D. JUAN.

Et depuis quand eft-il en cette Ville ?

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Je crois que vous jugez affez ce qui le peut in

quiéter.

D. JUAN.

Notre départ, fans doute?

SGANARELLE.

Le bon homme en est tout mortifié, & m'en demandoit le fujet.

D. JUAN.

Et quelle réponse as-tu faite?

SGANARELLE.

Que vous ne m'en aviez rien dit,

D. JUAN.

Mais encore, quelle cft ta pensée là-deffus ? Que t'imagines-tu de cette affaire ?

SGANARELLE.

Moi! je crois, fans vous faire tort, que vous avez quelque nouvel amour en tête.

D. JUAN.

Tu le crois ?

SGANARELLI.

Oui.

D. JUAN.

Ma foi! tu ne te trompes pas, & je dois t'avouer qu'un autre objet a chaffé Elvire de ma pensée. SGANARELLE.

Hé, mon Dieu! je fais mon Dom Juan fur le bout du doigt, & connois votre cœur pour le plus

grand courcur du monde; il fe plaît à se promener de liens en liens, & n'aime gucre à demeurer en place.

D. JUAN.

Et ne trouves-tu pas, dis-moi, que j'ai raison d'en ufer de la forte?

SGANARELLE.

Hé! Monfieur...

D. JUAN.

Quoi! Parle.

SGANARELLE.

Affurément que vous avez raison, fi vous le voulez; on ne peut pas aller là contre. Mais, fi vous ne le vouliez pas, ce feroit peut-être une autre affaire.

D. JUAN.

Hé bien, je te donne la liberté de parler, & de me dire tes fentimens.

SGANARELLE.

En ce cas, Monfieur, je vous dirai franchement que je n'approuve point votre méthode ; & que je trouve fort vilain d'aimer de tous côtés comme vous faites.

D. JUAN.

Quoi ! tu veux qu'on fc lie à demeurer au premier objet qui nous prend, qu'on renonce au monde pour lui, & qu'on n'ait plus d'yeux pour perfonne? La belle chofe, de vouloir fe piquer d'un faux honneur d'être fidele, de s'enfevelir pour toujours dans une paffion, & d'être mort dès fa jeuneffe à toutes les autres beautés qui nous peuvent frapper les yeux! Non, non, la conftance n'eft

bonne que pour des ridicules; toutes les belles ont droit de nous charmer; & l'avantage d'être rencontrée la premiere, ne doit point dérober aux autres les juftes prétentions qu'elles ont toutes fur nos cœurs. Pour moi, la beauté me ravit par-tour où je la trouve, & je cede facilement à cette douce violence dont elle nous entraîne. J'ai beau être engagé; l'amour que j'ai pour une belle n'engage point mon ame à faire injuftice aux autres; je conferve des yeux pour voir le mérite de toutes, & rends à chacune les hommages & les tributs où la nature nous oblige. Quoi qu'il en foit, je ne puis refufer mon cœur à tout ce que je vois d'aimable; & dès qu'un beau visage me le demande, fi j'en avois dix mille, je les donnerois tous. Les inclinations naissantes, après tout, ont des charmes inexplicables, & tout le plaifir de l'amour est dans le changement. On goûte une douceur extrême à réduire par cent hommages le cœur d'une jeune beauté, à voir de jour en jour les petits progrès qu'on y fait, à combattre par des transports, par des larmes & des foupirs, l'innocente pudeur d'une ame qui a peine à rendre les armes, à forcer pied à pied toutes les petites résistances qu'elle nous oppose, à vaincre les fcrupules dont elle fe fait un honneur, & la mener doucement où nous avons envie de la faire venir. Mais lorsqu'on en eft maître une fois, il n'y a plus rien à fouhaiter; tout le beau de la paffion eft fini, & nous nous endor. mons dans la tranquillité d'un tel amour, fi quel que objet nouveau ne vient réveiller nos defirs, & préfenter à notre cœur les charmes attrayans d'une

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