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D. ELVIRE.

Oui, je vois bien que vous ne m'y attendiez pas; & vous êtes furpris, à la vérité, mais tout autrement que je ne l'efpérois; & la maniere dont vous le paroiffez, me perfuade pleinement ce que je refufois de croire. J'admire ma fimplicité & la foibteffe de mon cœur, à douter d'une trahison que tant d'apparences me confirmoient. J'ai été affez bonne, je le confeffe, ou plutôt affez fotte, pour me vouloir tromper moi-même, & travailler à démentir mes yeux & mon jugement. J'ai cherché des raisons pour excufer à ma tendreffe le relâchement d'amitié qu'elle voyoit en vous ; & je me fuis forgé exprès cent fujets légitimes d'un départ fi précipité, pour vous juftifier du crime dont ma raison vous accufoit. Mes juftes foupçons chaque jour avoient beau me parler, j'en rejetcis la voix qui vous rendoit criminel à mes yeux, & j'écoutois avec plaifir mille chimeres ridicules, qui vous peignoient innocent à mon cœur; mais enfin cet abord ne me permet plus de douter, & le coup-d'œil qui m'a reçue, m'apprend bien plus de chofes que je ne voudrois en savoir. Je ferai bien aife pourtant d'ouïr de votre bouche les raifons de votre départ. Parlez, Dom Juan, je vous prie, & voyons de quel air vous faurez vous juftifier.

D. JUAN,

Madame, voilà Sganarelle qui fait pourquoi je fuis parti.

SGANARELLE, bas à Dom Juan.

Moi, Monfieur? je n'en fais rien, s'il vous plaît.

D. ELVIRE.

Hé bien, Sganarelle, parlez. Il n'importe de quelle bouche j'entende fes raisons.

D. JUAN, faifant figne à Sganarelle d'approcher. Allons, parle donc à Madame.

SGANARELLE, bas à Dom Juan. Que voulez-vous que je dife?

D. ELVIRE.

Approchez, puisqu'on le veut ainsi, & me dites un peu les caufes d'un départ fi prompt.

D. JUAN.

Tu ne répondras pas ?

SGANARELLE, bas à Dom Juan. Je n'ai rien à répondre. Vous vous moquez de votre ferviteur.

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Madame, les conquérans, Alexandre & les autres mondes font caufe de notre départ. Voilà, Monfieur, tout ce que je puis dire.

D. ELVIRE.

Vous plaît il, Dom Juan, nous éclaircir ces beaux mysteres ?.

D. JUA N.

Madame, à vous dire la vérité...

D. ELVIRE.

Ah! que vous favez mal vous défendre pour un homme de Cour, & qui doit être accoutumé à ces fortes de chofes. J'ai pitié de vous voir la confufion que vous avez. Que ne vous armez-vous le front d'une noble effronterie? Que ne me jurezvous que vous êtes toujours dans les mêmes fentimens pour moi, que vous m'aimez toujours avec une ardeur fans égale, & que rien n'eft capable de vous détacher de moi que la mort? Que ne me dites-vous que des affaires de la derniere conféquence vous ont obligé à partir fans m'en donner avis; qu'il faut que, malgré vous, vous demeuriez ici quelque tems, & que je n'ai qu'à m'en retourner d'où je viens, affurée que vous fuivrez mes pas le plus tôt qu'il vous fera poffible; qu'il eft certain que vous brûlez de me rejoindre, & qu'éloigné de moi, vous fouffrez ce que fouffre un corps qui eft féparé de fon ame? Voilà comme il faut vous défendre, & non pas être interdit comme vous. êtcs.

D. JUAN.

Je vous avoue, Madame, que je n'ai point le talent de diffinuler, & que je porte un cœur fincere. Je ne vous dirai point que je fuis toujours. dans les mêmes fentimens pour vous, & que je brûle de vous rejoindre, puisqu'enfin il est affuré que je ne fuis parti que pour vous fuir ; non pointpar les raifons que vous pouvez vous figurer, mais par un pur motif de conscience, & pour ne croire

pas qu'avec vous davantage je puiffe vivre fans péché. Il m'eft venu des fcrupules, Madame, & j'ai ouvert les yeux de l'ame fur ce que je faifois. J'ai fait réflexion que, pour vous époufer, je vous ai dérobée à la clôture d'un Couvent, que vous avez rompu des vœux qui vous engageoient autre part, & que le Ciel eft fort jaloux de ces fortes de chofes. Le repentir m'a pris, & j'ai craint le courfoux célefte. J'ai cru que notre mariage n'étoit qu'un adultere déguifé, qu'il nous attireroit quelque difgrace d'en-haut; & qu'enfin je devois tâcher de vous oublier, & vous donner moyen de retourner à vos premieres chaînes. Voudriez-vous, Madame, vous oppofer à une fi fainte pensée, & que j'allaffe, en vous tenant, me mettre le Ciel fur les bras? Que par...

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Ah! fcélérat! c'eft maintenant que je te connois tout entier ; &, pour mon malheur, je te connois lorfqu'il n'en eft plus tems, & qu'une telle connoiffance ne peut plus me fervir qu'à me défeípérer: mais fache que ton crime ne demeurera pas impuni, & que le même Ciel dont tu te joues, me faura venger de ta perfidie.

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Il fuffit. Je n'en veux pas ouïr davantage, & je m'accuse même d'en avoir trop entendu. C'eft une Jâcheté que de fe faire expliquer trop fa honte; &, fur de tels fujets, un noble cœur, au premier mot, doit prendre fon parti. N'attends pas que j'éclate

ici en reproches & en injures; non, non, je n'ai point un courroux à s'exhaler en paroles vaines, & toute fa chaleur fe réferve pour fa vengeance. Je te le dis encore, le Ciel te punira, perfide! de l'outrage que tu me fais; & fi le Ciel n'a rien que tu puiffes appréhender, appréhende du moins la colere d'une femme offenfée.

SCENE I V.

D. JUAN, SGANARELLE.

SGANARELLE, à part.

Si le remords le pouvoit prendre.

D. JUAN, après un moment de réflexion. Allons fonger à l'exécution de notre entreprise

amourcufe.

SGANARELLE, feul.

Ah! quel abominable maître me vois-je obligé de fervir!

Fin du premier A&c.

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