Images de page
PDF
ePub

damner cette Comédie à certaines gens, par les mêmes chofes que j'ai vu d'autres eftimer le plus. URANI E.

Voilà Monfieur le Marquis qui en dit force mal. LE MARQUIS.

Il est vrai. Je la trouve déteftable, morbleu, détestable, du dernier déteftable, ce qu'on appelle déteftable.

DORANTE.

Et moi, mon cher Marquis, je trouve le jugement déteítable.

LE MARQUIS.

Quoi! Chevalier, eft-ce que tu prétends soutenir cette Piece?

DORANT E.

Oui, je prétends la foutenir.

LE MARQUIS.

Parbleu! je la garantis détestable.

DORANTE.

La caution n'eft pas bourgeoife. Mais, Marquis, par quelle raifon, de gracè, cette Comédic eft-elle ce que tu dis?

[blocks in formation]

Après cela il n'y a rien à dire, voilà son procès fait. Mais encore inftruis-nous, & nous dis les défauts qui y font.

3

LE MARQUIS.

Que fais-je, moi? Je ne me fuis pas feulement donné la peine de l'écouter. Mais enfin, je fais bien que je n'ai jamais rien vu de fi méchant, Dieu me fauve; & Dorilas > contre qui j'étois, a été de mon avis.

DORANTE.

L'autorité eft belle, & te voilà bien appuyé.
LE MARQUIS.

Il ne faut que voir les continuels éclats de rire que le Parterre y fait. Je ne veux point d'autre chose pour témoigner qu'elle ne vaut rien.

DORANT E.

Tu es donc, Marquis, de ces Meffieurs du bel air qui ne veulent pas que le Parterre ait du fens commun, & qui feroient fâchés d'avoir ri avec lui, fût-ce de la meilleure chofe du monde ? Je vis l'autre jour, fur le Théatre, un de nos amis qui fe rendit ridicule par-là. Il écouta toute la Piece avec un férieux le plus fombre du monde ; &, tout ce qui égayoit les autres, ridoit fon front. A tous les éclats de rifées, il hauffoit les épaules, & regardoit le Parterre en pitié; & quelquefois auffi le regardant avec dépit, il lui difoit tout haut: Ris donc, Parterre, ris donc. Ce fut une feconde Comédie que le chagrin de notre ami. Il la donna en galant homme à toute l'affemblée, & chacun demeura d'accord qu'on ne pouvoit pas mieux jouer qu'il fit. Apprends, Marquis, je te prie & les autres auffi, que le bon fens n'a point de place déterminée à la Comédie; que la différence du demi-louis d'or, & de la picce de quinze fols a

[ocr errors]

ne fait rien du tout au bon goût; que debout ou affis, l'on peut donner un mauvais jugement; & qu'enfin, à le prendre en général, je me fierois affez à l'approbation du Parterre, par la raison qu'entre ceux qui le compofent, il y en a plufieurs qui font capables de juger d'une Piece felon les regles, & que les autres en jugent par la bonne façon d'en juger, qui eft de fe laiffer prendre aux chofes, & de n'avoir ni prévention aveugle, ni complaifance affectée, ni délicateffe ridicule.

LE MARQUIS.

Te voilà donc, Chevalier, le défenfeur du Parterre? Parbleu, je m'en réjouis, & je ne manquerai pas de l'avertir que tu es de fes amis. Hai, hai, hai, hai, hai, hai.

DORANTE.

Ris tant que tu voudras. Je fuis pour le bon fens, & ne faurois fouffrir les ébullitions de cerveau de nos Marquis de Mafcarille. J'enrage de voir de ces gens qui fe traduifent en ridicules, malgré leur qualité; de ces gens qui décident toujours, & parlent hardiment en toutes chofes, fans s'y connoître; qui, dans une Comédie, fe récrieront aux méchants endroits, & ne branleront pas à ceux qui font bons; qui, voyant un tableau, ou écoutant un concert de Mufique, blâment de même & louent tout à contre-fens, prennent par où ils peuvent les termes de l'art qu'ils attrapent, & ne manquent jamais de les eftropier, & de les mettre hors de place. Hé, morbleu, Meffieurs, taifezvous! Quand Dieu ne vous a pas donné la connoiffance d'une chose, n'apprêtez point à rire à ceux

qui

[merged small][ocr errors]

qui vous entendent parler, & fongez qu'en ne difant mot, on croira peut-être que vous êtes d'ha

biles

gens.

LE MARQUIS.

Parbleu Chevalier, tu le prends là...

DORANTE.

Mon Dieu! Marquis, ce n'eft pas à toi que je parle. C'est à une douzaine de Meffieurs qui déshonorent les gens de la Cour par leurs manieres extravagantes, & font croire parmi le Peuple que nous nous reffemblons tous. Pour moi, je m'en veux juftifier le plus qu'il me fera poffible; & je les dauberai tant en toutes rencontres, qu'à la fin ils fe rendront fages.

LE MARQUIS.

Dis-moi un peu, Chevalier; crois-tu que Lyfandre ait de l'efprit ?

DORANTE.

Oui, fans doute, & beaucoup.

URANIE.

C'eft une chofe qu'on ne peut pas nier.

LE MARQUIS.

Demande-lui ce qu'il lui femble de l'Ecole des Femmes. Tu verras qu'il te dira qu'elle ne lui plaît

pas.

DORANTE.

Hé, mon Dieu! il y en a beaucoup que le trop d'efprit gâte, qui voient mal les chofes à force de lumiere, & même qui feroient bien fâchés d'être de l'avis des autres, pour avoir la gloire de décider.

Tome III.

URANIE.

Il eft vrai. Notre ami eft de ces gens-là, fans doute. Il veut être le premier de fon opinion, & qu'on attende par refpect fon jugement. Toute approbation qui marche avant la fienne, eft un attentat fur fes lumieres, dont il fe venge hautement en prenant le contraire parti. Il veut qu'on le confulte fur toutes les affaires d'efprit; & je fuis fûr que fi l'Auteur lui cût montré fa Comédie avant que de la faire voir au Public, il l'eût trouvée la plus belle du monde.

LE MARQUIS.

Et que diriez-vous de la Marquise Amarinte, qui la publie par-tout pour épouvantable, & dit qu'elle n'a pu jamais fouffrir les ordures dont elle eft pleine?

DORANTE.

Je dirai que cela eft digne du 'caractere qu'elle a pris, & qu'il y a des perfonnes qui fe rendent ridicules, pour vouloir avoir trop d'honneur. Bien qu'elle ait de l'efprit, elle a fuivi le mauvais exemple de celles qui, étant fur le retour de l'âge, veulent remplacer de quelque chofe ce qu'elles voient qu'elles perdent, & prétendent que les grimaces d'une pruderie fcrupuleufe leur tiendront lieu de jeuneffe & de beauté. Celle-ci pouffe l'affaire plus avant qu'aucune; & l'habileté de fon fcrupule découvre des faletés, où jamais personne n'en avoit vues. On tient qu'il va, ce fcrupule, jufques à défigurer notre langue, & qu'il n'y a point prefque de mots, dont la févérité de cette Dame

« PrécédentContinuer »