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ELISE.

Quoi! vous voyez contre vous, Madame, Mon. fieur le Marquis & Monfieur Lyfidas, & vous ofez réfifter encore? Fi, que cela eft de mauvaise grace!

CLIMEN E.

Voilà qui me confond, pour moi, que des perfonnes raisonnables fe puiffent mettre en tête de donner protection aux fottifes de cette Piece.

LE MARQUIS.

Dieu me damne, Madame ; elle eft miférable de. puis le commencement jufqu'à la fin.

DORANTE.

Cela eft bientôt dit, Marquis. Il n'eft rien plus aifé que de trancher ainfi; & je ne vois aucune chofe qui puiffe être à couvert de la fouveraineté de tes décifions.

LE MARQUIS.

Parbleu tous les autres Comédiens qui étoient là pour la voir, en ont dit tous les maux du monde.

DORANTE.

il

Ah! je ne dis plus mot; tu as raison, Marquis. Puifque les autres Comédiens en difent du mal, faut les en croire affurément. Ce font tous gens éclairés, & qui parlent fans intérêt. Il n'y a plus rien à dire, je me rends.

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CLIMENE.

Rendez-vous, ou ne vous rendez pas, je fais fort bien que vous ne me perfuaderez point de fouffrir les immodesties de cette Piece, non plus

que les fatyres désobligeantes qu'on y voit contre

les femmes.

URANIE,

Pour moi, je me garderai bien de m'en offenser, & de prendre rien fur mon compte de tout ce qui s'y dit. Ces fortes de fatyres tombent directement fur les mœurs, & ne frappent les perfonnes que par réflexion. N'allons point nous appliquer à nousmêmes les traits d'une cenfure générale, & profitons de la leçon, fi nous pouvons, fans faire femblant qu'on parle à nous. Toutes les peintures ridicules qu'on expofe fur les Théatres, doivent être regardées fans chagrin de tout le monde. Ce font mitoirs publics, où il ne faut jamais témoigner qu'on fe voie; & c'eft fe taxer hautement d'un défaut, que fe fcandalifer qu'on le reprenne.

CLIMENE.

Pour moi, je ne parle pas de ces chofes par la part que j'y puiffe avoir, & je pense que je vis d'un air dans le monde à ne pas craindre d'être cherchée dans les peintures qu'on fait là des femmes qui fe gouvernent mal.

ELISE.

Affurément, Madame, on ne vous y cherchera point. Votre conduite eft affez connue, & ce font de ces fortes de chofes qui ne font contestées de perfonne.

URANIE, à Climene.

Auffi, Madame, n'ai-je rien dit qui aille à vous; & mes paroles, comme les fatyres de la Comédie, demeurent dans la these générale.

CLIMENE.

Je n'en doute pas, Madame; mais enfin paffons fur ce chapitre. Je ne fais pas de quelle façon vous recevez les injures qu'on dit à notre fexe dans un certain endroit de la Piece; & pour moi, je vous avoue que je fuis dans une colere épouvantable, de voir que cet Auteur impertinent nous appelle des animaux.

URANIE.

Ne voyez-vous pas que c'eft un ridicule qu'il fait parler ?

DORANTE.

Et puis, Madame, ne favez-vous pas que les injures des Amans n'offensent jamais; qu'il eft des amours emportés auffi-bien que des doucereux; & qu'en de pareilles occafions les paroles les plus étranges, & quelque chofe de pis encore, se prennent bien fouvent pour des marques d'affection, par celles mêmes qui les reçoivent.

ELISE.

Dites tout ce que vous voudrez, je ne faurois digérer cela, non plus que le potage & la tarte à la crême, dont Madame a parlé tantôt.

LE MARQUIS.

Ah! ma foi, oui, tarte à la crême ! Voilà ce que j'avois remarqué tantôt: tarte à la crême. Que je vous fuis obligé, Madame, de m'avoir fait fouvenir de tarte à la crême! Y a-t-il affez de pommes en Normandie pour tarte à la crême! Tarte à la crême! morbleu, tarte à la crême!

DORANT E.

Hé bien que veux-tu dire? Tarte à la crême !

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Dis-nous un peu tes raisons.

LE MARQUIS.

Tarte à la crême.

URANIE.

Mais il faut expliquer fa pensée, ce me semble. LE MARQUIS.

Tarte à la crême, Madame.

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Monfieur le Marquis s'y prend bien, & vous bourre de la belle maniere. Mais je voudrois bien que Monfieur Lyfidas voulût les achever, & leur donner quelques petits coups de la façon.

LYSIDA S.

Ce n'eft pas ma coutume de rien blâmer, & je fuis affez indulgent pour les ouvrages des autres. Mais enfin, fans choquer l'amitié que M. le Che valier témoigne pour l'Auteur, on m'avouera que ces fortes de Comédies ne font pas proprement des Comédies, & qu'il y a une grande différence de

toutes ces bagatelles, à la beauté des Pieces férieufes. Cependant tout le monde donne là-dedans aujourd'hui; on ne court plus qu'à cela, & l'on voit une folitude effroyable aux grands ouvrages, lorfque des fo tifes ont tout Paris. Je vous avoue que le cœur m'en faigne quelquefois, & cela eft honteux pour la France.

CLIMEN E.

Il est vrai que le goût des gens eft étrangement gâté là-deffus, & que le fiecle s'encanaille furieufement.

ELISE.

Celui-là eft joli encore, s'encanaille. Eft-ce vous qui l'avez inventé, Madame ?

Eh!

CLIMENE.

ELISE.

Je m'en fuis bien douté.

DORANTE.

Vous croyez donc, M. Lyfidas, que tout l'efprit & toute la beauté font dans les Poëmes férieux, & que les Pieces comiques font des niaiferies qui ne méritent aucune louange ?

URANIE.

Ce n'eft pas mon fentiment, pour moi. La Tragédie, fans doute, eft quelque chofe de beau quand elle est bien touchée; mais la Comédie a fes charmes, & je tiens que l'une n'eft pas moins difficile que l'autre.

DORANT E.

Affurément, Madame; & quand, pour la difficulté, vous mettriez un peu plus du côté de la Co

médie,

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