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médie, peut-être que vous ne vous abuseriez pas. Car enfin, je trouve qu'il eft bien plus aifé de se guinder fur de grands fentimens, de braver en Vers la fortune, accufer les deftins, & dire des injures aux Dieux, que d'entrer, comme il faut, dans le ridicule des hommes, & de rendre agréablement, fur le Théatre, les défauts de tout le monde. Lorfque vous peignez des Héros, vous faites ce que vous voulez. Ce font des portraits à plaifir, où l'on ne cherche point de reffemblance; & vous n'avez qu'à fuivre les traits d'une imagination qui fe donne l'effor, & qui fouvent laiffe le vrai pour attraper le merveilleux. Mais lorsque vous peignez les hommes, il faut peindre d'après nature. On veut que ces portraits reffemblent; & vous n'avez rien fait, fi vous n'y faites reconnoître les gens de votre fiecle. En un mot, dans les Pièces férieuses, il fuffit, pour n'être point blâmé, de dire des chofes qui foient de bon fens, & bien écrites; mais ce n'eft pas affez dans les autres, il Y faut plaifanter; & c'est une étrange entreprise que celle de faire rire les honnêtes gens.

CLIMENE.

Je crois être du nombre des honnêtes gens; & cependant je n'ai pas trouvé un mot pour rire dans tout ce que j'ai vu.

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Pour toi, Marquis, je ne m'en étonne pas. C'e

que tu n'y as pas trouvé de turlupinades.

Tome III.

LYSIDA S.

Ma foi! Monfieur, ce qu'on y rencontre ne vaut guere mieux; & toutes les plaifanteries y font allez froides, à mon avis.

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Achevez, Monfieur Lyfidas. Je vois bien que vous voulez dire que la Cour ne fe connoît pas à ces chofes; & c'est le refuge ordinaire de vous autres Meffieurs les Auteurs, dans le mauvais fuccès de vos ouvrages, que d'accufer l'injuftice du fiecle, & le peu de lumiere des Courtifans. Sachez, s'il vous plaît, Monfieur Lyfidas, que les Courtifans ont d'auffi bons yeux que d'autres, qu'on peut être habile avec un point de Venise & des plumes, auffibien qu'avec une perruque courte, & un petit rabat uni; que la grande épreuve de toutes vos Comédies, c'eft le jugement de la Cour; que c'eft fon goût qu'il faut étudier pour trouver l'art de réuffir; qu'il n'y a point de lieu où les décifions foient fi juftes, & fans mettre en ligne de compte tous les gens favans qui y font, que du fimple bon fens naturel & du commerce de tout le beau monde, on s'y fait une maniere d'efprit. qui, fans comparaison, juge plus finement des chofes, que tout le favoir enrouillé des pédans.

URANIE.

Il est vrai que pour peu qu'on y demeure, il vous paffe-là tous les jours affcz de chofes devant les

yeux, pour acquérir quelque habitude de les connoître; & fur-tout, pour ce qui eft de la bonne ou mauvaise plaifanterie.

DORANTE.

Ea Cour a quelques ridicules; j'en demeure d'accord, & je fuis, comme on voit, le premier à les fronder. Mais, ma foi, il y en a un grand nombre parmi les beaux-efprits de profeffion; & fi l'onjoue quelques Marquis, je trouve qu'il y a bien plus de quoi jouer les Auteurs, & que ce feroit une chofe plaifante à mettre sur le Théatre, que leurs grimaccs favantes, & leurs raffinemens ridicules, leur vicieuse coutume d'affaffiner les gens de leurs ouvrages, leurs friandifes de louange, leurs ménagemens de pensées, leur trafic de réputation, & leurs ligues offenfives & défenfives, auffi-bien que leurs guerres d'efprit, & leurs combats de profe & de

vers.

LYSIDA S.

Moliere eft bienheureux, Monfieur, d'avoir un Protecteur auffi chaud que vous. Mais enfin, pour venir au fait, il cft question de favoir fi la Piéce eft bonne ; & je m'offre d'y montrer par-tout cent défauts vifibles.

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URANIE

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C'eft une étrange chofe, de vous autres Meffieurs les Poëtes, que vous condamniez toujours les Pieces où tout le monde court, & ne difiez jamais du bien que de celles où perfonne ne va. Vous montrez pour les unes une haine invincible, & pour les autres une tendreffe qui n'eft pas concevable.

DORANT I.

C'eft qu'il eft généreux de fe ranger du côté des affligés.

URANIE.

Mais, de grace, Monfieur Lyfidas, faites-nous voir ces défauts, dont je ne me fuis point apperçue. LYSIDAS.

Ceux qui poffedent Ariftote & Horace, voient d'abord, Madame, que cette Comédie peche contre toutes les regles de l'Art.

URANIE.

Je vous avoue que je n'ai aucune habitude avec ces Meffieurs-là, & que je ne fais point les regles de l'Art.

DORANTE.

Vous êtes de plaifantes gens avec vos regles, dont vous embarraffez les ignorans, & nous étourdiffez tous les jours. Il femble, à vous ouïr parler, que ces regles de l'Art foient les plus grands myfteres du monde; & cependant ce ne font que quelques obfervations aifées que le bon fens a faites fur ce qui peut ôter le plaifir que l'on prend à ces fortes de Poëmes; & le même bon fens qui a fait autre. fois ces obfervations, les fait fort aisément tous les jours, fans le fecours d'Horace & d'Ariftote. Je voudrois bien savoir fi la grande regle de toutes les regles n'eft pas de plaire, & fi une Piece de Théatre qui a attrapé fon but, n'a pas suivi an bon chemin? Veut-on que tout un Public s'abufe fur ces fortes de chofes, & que chacun n'y foit pas juge du plaisir qu'il y prend ?

URANIE.

J'ai remarqué une chofe de ces Meffieurs-là; c'eft que ceux qui parlent le plus des regles, & qui les favent mieux que les autres, font des Comédies que perfonne ne trouve belles.

DORANTE.

Et c'est ce qui marque, Madame, comme on doit s'arrêter peu à leurs difputes embarraffantes. Car enfin, fi les Pieces qui font felon les regles, ne plaifent pas, & que celles qui plaisent, ne foient pas felon les regles, il faudroir de néceffité que les regles euffent été mal faites. Moquons-nous donc de cette chicane, où ils s veulent affujettir le goût du Public, & ne confultons dans une Comédie que l'effet qu'elle fait fur nous. Laiffons-nous aller de bonne foi aux chofes qui nous prennent par les entrailles, & ne cherchons point de raisonnement pour nous empêcher d'avoir du plaifir."

URANIE.

Pour moi, quand je vois une Comédie, je regarde feulement fi les chofes me touchent ; &, lorfque je m'y suis bien divertic, je ne vais point demander fi j'ai eu tort, & fi les regles d'Ariftote me défendoient de rire.

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DORANTE.

C'est justement comine un homme qui auroit trouvé une fauce excellente, & qui voudroit examiner fi elle eft bonne, fur les préceptes du Cuifinier François.

URANIE.

Il eft vrai ; & j'admire les raffinemens de certai

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