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MOLIER E.

Nous difputons qui eft le Marquis de la Cri»tique de Moliere: il gage que c'eft moi ; je gage » que c'est lui.

BRECOURT.

>> Et moi, je juge que ce n'est ni l'un ni l'autre. » Vous êtes fous tous deux, de vouloir vous appli» quer ces fortes de choses; & voilà de quoi j'ouïs »l'autre jour fe plaindre Moliere, parlant à des » perfonnes qui le chargeoient de même chose que » vous. Il difoit que rien ne lui donnoit du déplai» fir, comme d'être accusé de regarder quelqu'un » dans les portraits qu'il fait; que fon deffein eft » de peindre les mœurs fans vouloir toucher aux » perfonnes, & que tous les personnages qu'il re» préfente font des perfonnages en l'air, & des » fantômes proprement, qu'il habille à sa fantaisie » pour réjouir les spectateurs qu'il feroit bien fâ» ché d'y avoir jamais marqué qui que ce foit, & » que fi quelque chofe étoit capable de le dégoûter >> de faire des comédies, c'étoit les reffemblances » qu'on y vouloit toujours trouver, & dont fes > ennemis tâchoient malicieufement d'appuyer la >> pensée, pour lui rendre de mauvais offices auprès » de certaines personnes à qui il n'a jamais pensé. » En effet, je trouve qu'il a raison : car, pourquoi » vouloir, je vous prie, appliquer tous les geftes & » toutes fes paroles, & chercher à lui faire des » affaires, en difant hautement, il joue un tel, » lorsque ce font des chofes qui peuvent convenir >> à cent perfonnes? Comme l'affaire de la Comé>>die eft de représenter en général tous les défauts

» des hommes, & principalement des hommes de » notre fiecle, eft impoffible à Moliere de faire >> aucun caractere qui ne rencontre quelqu'un dans >> le monde; &, s'il faut qu'on l'accufe d'avoir »fongé à toutes les perfonnes où l'on peut trouver >> des défauts qu'il peint, il faut fans doute qu'il >> ne faffe plus de Comédies.

MOLIERE.

» Ma foi, Chevalier, tu veux juftifier Moliere, »& épargner notre Ami que voilà.

LA GRANGE.

» Point du tout. C'est toi qu'il épargne ; & nous » trouverons d'autres Juges.

MOLIERE.

»Soit. Mais dis-moi, Chevalier, crois-tu pas » que ton Moliere eft épuisé maintenant, & qu'il > ne trouvera plus de matiere pour . . .

BRECOURT.

>> Plus de matiere? Hé mon pauvre Marquis, >> nous lui en fournirons toujours affez, & nous ne » prenons guere le chemin de nous rendre plus >>fages pour tout ce qu'il fait & tout ce qu'il >> dit. »

MOLIERE.

Attendez. Il faut marquer davantage tout cet endroit. Écoutez-le moi dire un peu... « & qu'il >> ne trouvera plus de matiere pour... Plus de » matiere? Hé! mon pauvre Marquis, nous lui » en fournirons toujours affez, & nous ne prenons

guere le chemin de nous rendre fages pour tout » ce qu'il fait & tout ce qu'il dit. Crois-tu qu'il » ait épuisé, dans fes Comédies, tout le ridicule

des hommes? &, fans fortir de la Cour, n'a»t-il pas encore vingt caracteres de gens où il n'a » point touchés N'a-t-il pas, par exemple, ceux » qui fe font les plus grandes amitiés du monde, » & qui, le dos tourné, font galanterie de se dé» chirer l'un l'autre ? N'a-t-il pas ces adulateurs à >> outrance, ces fla teurs infipides, qui n'affaison» nent d'aucun fel les louanges qu'ils donnent, & >> dont toutes les flatteries ont une douceur fade » qui fait mal au cœur à ceux qui les écoutent?

N'a-t-il pas ces lâches Courtifans de la faveur, » ces perfides adorateurs de la fortune, qui vous >> encenfent dans la profpérité, & vous accablent » dans la difgrace? N'a-t-il pas ceux qui font tou»jours mécontens de la Cour, ces fuivans inutiles, » ces incommodes affidus, ces gens, dis-je, qui, » pour fervices, ne peuvent compter que des im»portunités, & qui veulent que l'on les récom» pense d'avoir obfédé le Prince dix ans durant? »N'a-t-il pas ceux qui careffent également tout le » monde, qui promenent leurs civilités à droite » & à gauche, & courent à tous ceux qu'ils voient » avec les mêmes embraffades & les mêmes pro>> teftations d'amitiés? Monfieur, votre très-humble >> ferviteur. Monfieur, je fuis tout à votre fervice. >> Tenez-moi des vôtres, mon cher. Faites état de >> moi, Monfieur, comme du plus chaud de vos » Amis. Monfieur, je fuis ravi de vous embraffer. » Ah! Monfieur, je ne vous voyois pas ! Faites» moi la grace de m'employer; foyez perfuadé » que je fuis entiérement à vous. Vous êtes l'homme » du monde que je révere le plus. Iln'y a perfonne

» que j'honoré à l'égal de vous. Je vous conjure » de le croire. Je vous fupplie de n'en point douter. >>Serviteur. Très-humble Valet. Va, va, Marquis, >> Moliere aura toujours plus de fujets qu'il n'en >> voudra; & tout ce qu'il a touché jusqu'ici n'eft >> rien que bagatelle, au prix de ce qui refte. »> Voilà à peu près comme cela doit-être joué.

BRECOURT.

C'eft affez.

MOLIER E.

Pourfuivez.

BRECOURT.

« Voici Climene & Elife. »

MOLIERE.

(A Mefdemoiselles du Parc & Moliere.) Là-deffus, vous arriverez toutes deux.

(A Mademoiselle du Parc. )

Prenez bien garde, vous, à vous déhancher, comme il faut, & à faire bien des façons. Cela vous contraindra un peu; mais qu'y faire? Il faut parfois le faire violence.

Mademoiselle MOLIERE.

« Certes, Madame, je vous ai reconnue de loin, » & j'ai bien vu à votre air, que ce ne pouvoit être >> une autre que vous.

Mademoiselle DU PARC.

» Vous voyez. Je viens attendre ici la fortie d'un >> homme avec qui j'ai une affaire à démêler. Mademoiselle MOLIERE.

>> Et moi de même.

MOLIER E.

» Mefdames, voilà des coffres qui vous ferviront de fauteuils.

Mademoiselle DU PARC.

Allons, Madame, prenez place, s'il vous plaît.

Mademoiselle MOLIER E.

» Après vous, Madame. >>

MOLIERE.

Bon. Après ces petites cérémonies muettes, chacun prendra place, & parlera affis, hors les Marquis, qui tantôt fe leveront, & tantôt s'affeoiront, fuivant leur inquiétude naturelle. « Parbleu! Chc>>valier, tu devrois faire prendre médecine à tes

>> canons.

>> Comment ?

BRECOURT.

MOLIERE.

»Ils fe portent fort mal.

BRECOURT.

» Serviteur à la turlupinade.

Mademoiselle MOLIERE.

» Mon Dieu, Madame, que je vous trouve le » teint d'une blancheur éblouiffante, & les levres » d'une couleur de feu furprenante !

Mademoiselle DU PARC.

»Ah! que dites vous là, Madame! Ne me re» gardez point, je fuis du dernier laid aujourd'hui. Mademoiselle MOLIERE.

» Hé! Madame, levez un peu votre coëffe!

Mademoiselle DU PARC.

» Fi! Je fuis épouvantable, vous dis-je, & ja » me fais peur à moi-même.

Mademoiselle MOLIER,

Vous êtes fi belle.

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