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L'empereur protégeait Horace,
Et vous protégez l'empereur.

Fils de Mars et de Calliope,

Et digne de ces deux grands noms,
Faites le destin de l'Europe,
Et daignez faire des chansons;
Et quand Thémis avec Bellone
Par votre main raffermira
Des Césars le funeste trône;
Quand le Hongrois cultivera,
A l'abri d'une paix profonde,
Du Tokai la vigne féconde;
Quand partout son vin se boira,
Qu'en le buvant on chantera
Les pacificateurs du monde,
Mon prince à Berlin reviendra;
Mon prince à son peuple qui l'aime
Libéralement donnera

Un nouvel et bel opéra
Qu'il aura composé lui-même.
Chaque auteur vous applaudira;
Car, tout envieux que nous sommes
Et du mérite et du grand nom,
Un poëte est toujours fort bon
A la tête de cent mille hommes.
Mais croyez-moi, d'un tel secours
Vous n'avez pas besoin pour plaire;
Fussiez-vous pauvre comme Homère,
Comme lui vous vivrez toujours.
Pardon, si ma plume légère,
Que souvent la vôtre enhardit,
Écrit toujours au bel-esprit,
Beaucoup plus qu'au roi qu'on révère.
Le Nord, à vos sanglants progrès,
Vit des rois le plus formidable;

Moi qui vous approchai de près,
Je n'y vis que le plus aimable.

LVII. A M. LE COMTE ALGAROTTI,

Qui était alors A LA COUR DE SAXE, ET QUE LE ROI DE POLOGNE AVAIT FAIT SON CONSEILLER DE GUERRE.

A Paris, février 1744.

ENFANT du Pinde et de Cythère,
Brillant et sage Algarotti,
A qui le ciel a départi

L'art d'aimer, d'écrire et de plaire,
Et que, pour comble de bienfaits,
Un des meilleurs rois de la terre
A fait son conseiller de guerre,
Dès qu'il a voulu vivre en paix; (a)
Dans vos palais de porcelaine,
Recevez ces frivoles sons,

Enfilés sans art et sans peine
Au charmant pays des

pompons.
O Saxe! que nous vous aimons!
O Saxe! que nous vous devons
D'amour et de reconnaissance!
C'est de votre sein que sortit
Le héros qui venge la France,
Et la nymphe qui l'embellit.

Apprenez que cette dauphine,
Par ses grâces, par son esprit,
Ici chaque jour accomplit

Ce

que votre muse divine
Dans ses lettres m'avait prédit.
Vous penserez que je l'ai vue,
Quand je vous en dis tant de bien
Et que je l'ai même entendue;

Je vous jure qu'il n'en est rien,
Et que ma muse peu connue,
En vous répétant dans ces veis
Celte vérité toute nue,
N'est que l'écho de l'univers.

Une dauphine est entourée,
Et l'étiquette est son tourment.
J'ai laissé passer prudemment
Des paniers la foule titrée,
Qui remplit tout l'appartement
De sa bigarrure dorée. (b)
Virgile était-il le premier
A la toilette de Livie?

Il laissait passer Cornélie,
Les dues et pairs, le chancelier,
Et les cordons bleus d'Italie,
Et s'amusait sur l'escalier
Avec Tibulle et Polymnie.
Mais à la fin j'aurai mon tour;
Les dieux ne me refusent guère;
Je fais aux Grâces chaque jour
Une très dévote prière,

Je leur dis: << Filles de l'Amour,
Daignez, à ma muse discrète
Accordant un peu de faveur,
Me présenter à votre sœur,
Quand vous irez à sa toilette. »

Que vous dirai-je maintenant
Du dauphin, et de cette affaire
De l'amour et du sacrement?
Les dames d'honneur de Cythère
En pourraient parler dignement;
Mais un profane doit se taire.
Sa cour dit qu'il s'occupe à faire

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Une famille de héros,
Ainsi qu'ont fait très à propos
Son aïeul et son digne père.

Daignez pour moi remercier
Votre ministre magnifique:
D'un fade éloge poétique
Je pourrais fort bien l'ennuyer;
Mais je n'aime pas à louer;
Et ces offrandes si chéries
Des belles et des potentats,
Gens tous nourris de flatterics,
Sont un bijou qui n'entre pas
Dans son baguier de pierrerics,

Adieu; faites bien au Saxon
Goûter les vers de l'Italie,
Et les vérités de Newton;
Et que votre muse polie

Parle encor sur un nouveau ton
De notre immortelle Émilie.

VARIANTES.

(a) Dans la plupart des éditions, au lieu de ces quatre

vers, on lisait:

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LVIII. AU ROI.

PRÉSENTÉ A SA MAJESTÉ, AU CAMP DEVANT FRIBOURG.

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Novembre 1744.

Vous, dont l'Europe entière aime ou eraint la justice,
Brave et doux à la fois, prudent sans artifice,
Roi nécessaire au monde, où portez-vous vos pas?
De la fièvre échappé, vous courez aux combats!
Vous volez à Fribourg! En vain La Peyronie (*)
Vous disait : «< Arrêtez, ménagez votre vie;
Il vous faut du régime, et non des soins guerriers;
Un héros peut dormir couronné de lauriers. »
Le zèle a beau parler, vous n'avez pu le croire.
Rebelle aux médecins, et fidèle à la gloire,
Vous bravez l'ennemi, les assants, les saisons,
Le poids de la fatigue et le feu des canons.
Tout l'état en frémit, et craint votre courage.
Vos ennemis, grand roi! le craignent davantage:
Ah! n'effrayez que Vienne, et rassurez Paris:
Rendez, rendez la joie à vos peuples chéris:
Rendez-nous ce héros qu'on admire et qu'on aime.

Un sage nous a dit que le seul bien suprême,
Le scul bien qui du moins ressemble au vrai bonheur,
Le seul digne de l'homme, est de toucher un coeur.
Si ce sage eut.raison, si la philosophie

Plaça dans l'amitié le charme de la vie,

Quel est donc, justes dieux! le destin d'un bon roi,
Qui dit, sans se flatter: Tous les cœurs sont à moi?
A cet empire heureux qu'il est beau de prétendre!
Vous qui le possédez, venez, daiguez entendre,
Des bornes de l'Alsace aux remparts de Paris,
Ce eri que l'amour seul forme de tant de cris.

(*) Premier chirurgien du roi,

POÉSIES. TOME IV.

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