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Porter la flamme devant Troye:
Ainsi quand Phryné dans ses bras
Tenait le jeune Alcibiade,
Phryné ne le possédait pas;

Et son nom fut dans les combats
Égal au nom de Miltiade.

Jadis les amants, les époux

Tremblaient en vous voyant paraître.
Près des belles et près du maître,
Vous avez fait plus d'un jaloux;
Enfin, c'est aux héros à l'être.
C'est rarement que dans Paris,
Parmi les festins et les ris,
On démêle un grand caractère:
Le préjugé ne conçoit pas
Que celui qui sait l'art de plaire
Sache aussi sauver les états.
Le grand homme échappe au vulgaire;
Mais lorsqu'aux champs de Fontenoi
Il sert sa patrie et son roi;

Quand sa main des peuples de Gènes
Défend les jours et rompt les chaînes;
Lorsque aussi prompt que les éclairs,
Il chasse les tyrans des mers
Des murs de Minorque opprimée,
Alors ceux qui l'ont méconnu
En parlent comme son arméc:
Chacun dit: « Je l'avais prévu."
Le succès fait la renommée.
Homme aimable, illustre guerrier,
En tout temps l'honneur de la France,
Triomphez de l'Anglais altier,
De l'envie et de l'ignorance.
Je ne sais si dans Port-Mahon
Vous trouverez un statuaire:

POÉSIES. TOME IV.

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Mais vous n'en avez plus à faire: (*)
Vous allez graver votre nom›
Sur les débris de l'Angleterre;
Il sera béni chez l'Ibère,
Et chéri dans ma nation.
Des deux Richelieu sur la terre
Les exploits seront admirés:
Déjà tous deux sont comparés,
Et l'on ne sait qui l'on préfère.
Le cardinal affermissait
Et partageait le rang suprême
D'un maître qui le haïssait;
Vous vengez un roi qui vous aime.
Le cardinal fut plus puissant,
Et même un peu trop redoutable;
Vous me paraissez bien plus grand,
Puisque vous êtes plus aimable.

LXXVIII. A M. LE PRÉSIDENT HÉNAULT,

SUR SON BALLET DU TEMPLE DES CHIMÈRES, MIS EN MUSIQUE

PAR M. LE DUC de Nivernois, et représenté CHEZ M. LE MARÉCIAL DE BELLE-ISLE, EN 1760.

VOTRE amusement lyrique

M'a paru du meilleur ton.

(*) Doit-on dire j'ai affaire à quelqu'un, ou j'ai à faire à quelqu'un? Voilà encore une de ces incertitudes que les livres classiques ne lèvent point complétement, et que les exemples ne font qu'augmenter. M. d'Alembert écrivait affetre; et M. de Voltaire à faire. Cette dernière façon paraît préférable, en ce qu'elle peut également s'employer par rapport aux lieux, et par rapport aux personnes. Fare est une de ces expressions vagues et générales comme le mot chose, qu'on substitue à des mots plus précis, comme j'ai à plaider à Rouen, j'ai à parler à Simon. On pourrait dire aussi, j'ai affaire à Rouen, par syncope, en sous-entendant une; mais on ne peut pas dire dans ce sens : j'ai une affaire à Simon.

Si Linus fit la musique,

Les vers sont d'Anacreon.
L'Anacréon de la Grèce
Vaut-il celui de Paris?
Il chanta la douce ivresse
De Silène et de Cypris;
Mais fit-il avec sagesse
L'histoire de son pays?
Après des travaux austères,
Dans vos doux délassements
Vous célébrez les chimères.
Elles sont de tous les temps,
Elles nous sont nécessaires;
Nous sommes de vieux enfants:
Nos erreurs sont nos lisières;
Et les vanités légères

Nous bercent en cheveux blancs.

LXXIX. A M. LE MARQUIS DE XIMENES,

QUI LUI AVAIT ADREssé une épître. — 1761.

Vous flattez trop ma vanité;

Cet art si séduisant vous était inutile;
L'art des vers suffisait, et votre aimable style
M'a lui seul assez enchanté.

Votre âge quelquefois hasarde ses prémices
En esprit ainsi qu'en amour:
Le temps ouvre les yeux, et l'on condamne un jour
De ses goûts passagers les premiers sacrifices.
Ala moins aimable beauté,

Dans son besoin d'aimer on prodigue son âme;
On prête des appas à l'objet de sa flamme;

Et c'est ainsi que vous m'avez traité.
Ah! ne me quittez point, séducteur que Vous êtes,

Má muse a reçu vos serments...

Je sens qu'elle est au rang de ces vieilles coquettes
Qui pensent fixer leurs amants.

LXXX. A M. LE DUC DE RICHELIEU,

ALORS GOUVERNEUR DU LANGUEDOC. (*)

VAILLANT Séraskier des Gaulois

Grand bacha de Septimanie,

Favori du plus graud des rois,'
Homme charmant, rare génie,
Courtisan des grands redouté,
Qui, dans le sein du sérail même,
Conservant cette liberté

Que détruit le pouvoir suprême,
Faites briller la vérité

Aux yeux du sultan qui vous aime;
Qui, par un doux tempérament,
Conciliez adroitement

Les intérêts d'une province
Dont vous tenez le gouvernail,
Avec les intérêts du prince
Et les intrigues du sérail:
Pourquoi troublez-vous la retraite
D'un dervis du monde ignoré,
Qui, dans sa niche resserré,
Y goûte la douceur parfaite

De ce quiétisme épuré

Qu'un mondain traite de chimère,

(") Cette pièce, qui manque à l'édition de Kohl, fut in primée dans l'Almanach des Muses de 1775. L'auteur ne l'ayant pas désavouée, nous avons cru devoir la recueillir. Elle est sans date; mais il est probable qu'elle fut écrite quelques années après la nomination de M. le duc de Richelieu au gouvernement de Guienne, qui eut lieu en 155. (Note des éditeurs.)

Et qu'un philosophe éclairé

Aux grandeurs du monde préfère.

Fier de ma médiocrité,

Dans une paisible indolence
J'ai trouvé la félicité:

Mais, plus sensible qu'on ne pense,
Je regrette la jouissance

D'un ami, dont la Providence
Ne me permet pas de jouir.
Vous me reprochez un silence-
Que je romp rais avec plaisir,
Si j'avais la folle arrogance
D'imaginer qu'un grand émir
Qui, dans le sein de l'abondance,
Ne saurait former un désir,
M'honore de son souvenir
Après une très longue absence.
Ah! si mes voeux vifs, empressés,
Pouvaient toucher l'Etre suprême,
Aimable bacha, vous scriez
Plus heureux que Mahomet même.
Mais, que dis-je? ils sont exaucés
Ces voeux ardents: vous jouissez
Déjà de ce bonheur immense
Que, dans son divin Alcoran,
Le prophète, pour récompense,
Promet au zélé musulman.
Près d'une ville enchanteresse,
Est un sérail délicieux,

Où, dans les bras de la Paresse,
Loin du monde et des curieux,
Vous passez les moments heurenx
Que notre bon sultan vous laisse.
Dans ce paradis enchanté,

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