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Où tout ravit, charme, intéresse, Vous cherchez la félicité Dans le sein de la volupté, Par le conseil de la sagesse; Vos désirs, aiguisés sans cesse Par les objets les plus piquants,' Dans la plus séduisante ivresse Plongent à l'envi tous vos sens. Des houris la troupe immortelle, Que Dieu créa pour vos plaisirs, Dans ce sérail, se renouvelle Sans cesse, au gré de vos désirs. C'est là qu'inconstant et fidèle, Changeant d'objet, aimant toujours, Vous ne trouvez point de cruelle: La houri. si vive et si belle, Qui vous inspire tant d'amours, Cédant à la houri nouvelle Que vous aimerez à son tour, Verra bientôt revenir celle Que vous adoriez l'autre jour; L'espoir de ce charmant retour Maintient une paix éternelle Dans ce voluptueux séjour. N'est-il pas l'image parfaite Du paradis, que le prophète Nous a promis pour l'avenir? Puissiez-vous toujours en jouir! Ce sont les voeux qu'en sa retraite Élève au ciel un saint faquir,

LXXXI. A DAPHNÉ, CÉLÈBRE ACTRICE. (*)

TRADUITE DE L'ANGLAIS. — 1761.

BELLE Daphné, peintre de la nature,
Vous l'imitez et vous l'embellissez.
La voix, l'esprit, la grâce, la figure,
Le sentiment n'est point encore assez;
Vous nous rendez ces prodiges d'Athène
Que le génie étalait sur la scène.

Quand dans les arts de l'esprit et du goût
On est sublime, on est égal à tout;
Que dis-je? on règne, et d'un peuple fidèle
On est chéri, surtout si l'on est belle.
O ma Daphné! qu'un destin si flatteur
Est différent du destin d'un auteur!

Je crois vous voir sur ce brillant théâtre,
Où tout Paris (**), de votre art idolâtre,
Porte en tribut son esprit et son cœur.
Vous récitez des vers plats et sans grâce,
Vous leur donnez la force et la douceur:
D'un froid récit vous réchauffez la glace.
Les contre-sens deviennent des raisons.
Vous exprimez, par vos sublimes sons,
Par vos beaux yeux, ce que l'auteur veut dire;
Vous lui donnez tout ce qu'il croit avoir;
Vous exercez un magique pouvoir
Qui fait aimer ce qu'on ne saurait lire.
On bat des mains, et l'auteur ébaudi
Se remercie et pense être applaudi.

La toile tombe, alors le charme cesse.

(*) Mademoiselle Clairon.

(**) Le traducteur a mis Paris aulieu de Londres.

Le spectateur apportait des présents
Asscz communs de sifflets et d'encens:
Il fait deux lots quand il sort de l'ivresse,
L'un pour l'auteur, l'autre pour son appui;
L'encens pour vous, et les sifflets pour lui.

Vous cependant, au doux bruit des éloges
Qui vont pleuvant de l'orchestre et des loges,
Marchant en reine, et traînant après vous
Vingt courtisans l'un de l'autre jaloux,
Vous admettez près de votre toilette
Du noble essaim la cohue indiscrète;
L'un dans la main vous glisse un billet doux;
L'autre à Passi (*) vous propose une fête;
Josse avec vous veut souper tête à tête;
Candale y soupe, et rit tout haut d'eux tous.
On vous entoure, on vous presse, on vous lasse.
Le pauvre auteur est tapi dans un coin,
Se fait petit, tient à peine une place.
Certain marquis l'apercevant de loin,

Dit: « Ah! c'est vous, bonjour, monsieur Pancrace,
Bonjour: vraiment votre pièce a du bon. »

Pancrace fait révérence profonde,

Bégaie un mot, à quoi nul ne répond;

Puis se retire, et se croit du beau monde.

Un intendant des plaisirs dits menus,
Chez qui les arts sont toujours bien venus,
Grand connaisseur, et pour vous plein de zèle,
Vous avertit que la pièce nouvelle

Aura l'honneur de paraître à la cour.

Vous arrivez conduite par l'amour:

On vous présente à la reine, aux princesses,
Aux vieux seigneurs, qui dans leurs vieux propos

(*) Le traducteur a mis Passi au lieu de Kinsington.

Vont regrettant le chant de la Duclos.
Vous recevez compliments et caresses;
Chacun accourt, chacun dit: la voilà ;
De tous les yeux vous êtes remarquée,
De mille mains on vous verrait claquée
Dans le salon, si le roi n'était là.
Pancrace fuit: un gros huissier lui ferme
La porte au nez; il reste comme un terme,
La bouche ouverte et le front interdit:

que

Tel Le Franc qui, tout brillant de gloire,
Ayant en cour présenté son mémoire,
Crève à la fois d'orgueil et de dépit.

C'est pour

Il gratte, il gratte, il se présente, il dit:
« Je suis l'auteur..... » Hélas! mon pauvre hère,
cela que vous n'entrerez pas.
Le malheureux, honteux de sa misère,
S'esquive en hâte, et mumurant tout bas
De voir en lui les neuf Muses bannies,
Du temps passé regrettant les beaux jours,
Il rime encore, et s'étonne toujours
Du peu de cas qu'on fait des grands génies.

Pour l'achever, quelque compilateur,
Froid gazetier, jaloux d'un froid auteur,
Quelque Fréron, dans l'Ane littéraire,
Vient l'entamer de sa dent mercenaire;
A l'aboyer il reste abandonné,

Comme un esclave aux bêtes condamné.
Voilà son sort, et puis cherchez à plaire.

Mais c'est bien pis, hélas! s'il réussit;
L'Envie alors, Euménide implacable,
Chez les vivants harpie insatiable,
Que la mort seule à grand'peine adoucit;
L'affreuse Envie, active, impatients,

Versant le fiel de sa bouche écumante,
Court à Paris, par de longs sifflements,
Dans leurs greniers réveiller ses enfants.
A cette voix, les voilà qui descendent,
Qui dans le monde à grands flots se répandent,
En manteau court, en soutane, en rabat,
En petit-maître, en petit magistrat:
Écoutez-les : cette œuvre dramatique
Est dangereuse, et l'auteur hérétique. (a)
Maître Abraham va sur lui distillant
L'acide impur qu'il vendait sur la Loire; (*)
Maître Crevier, dans sa pesante histoire
Qu'on ne lit point, condamne son talent.

Un petit singe à face de Thersite, (b)
Au sourcil noir, à l'œil noir, au teint gris,
Bel-esprit faux qui hait les bons esprits,
Fou sérieux que le bon sens irrite,
Écho des sots, trompette des pervers,'
En prose dure insulte les beaux vers,
Poursuit le sage et noircit le mérite.
Mais écoutez ces pieux loups-garous,
Persécuteurs de l'art des Euripides,
Qui vont hurlant en phrases insipides.
Contre la scène et même contre vous.
Quand vos talents entraînent au théâtre
Un peuple entier, de votre art idolâtre,
Et font valoir quelque ouvrage nouveau,
Un possédé, dans le fond d'un tonneau (**)
Qu'on coupe en deux, et qu'un vieux dais surmonte,
Crie au scandale, à l'horreur à la honte,

Et vous dépeint au public abusé

(*) Le traducteur a substitué la Loire à la Tamise.

(**) L'auteur anglais a, sans doute, en vue les chaires des presbytériens.

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