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C'est la première loi donnée au premier homme,
Avant qu'il eût mangé la moitié de sa pomme.
Mais ne détournons point nos mains et nos regards,
Ni des autres emplois, ni surtout des beaux-arts.
Il est des temps pour tout; et lorsqu'en mes vallées,
Qu'entoure un long amas de montagnes pelées,
De quelques malheureux ma main sèche les pleurs,
Sur la scène à Paris j'en fais verser peut-être;
Dans Versaille étonné j'attendris de grands cœurs,
Et sans croire approcher de Racine, mon maître,
Quelquefois je peux plaire, à l'aide de Clairon.
Au fond de son bourbier je fais rentrer Fréron.
L'archidiacre Trublet prétend que je l'ennuie;
La réprésaille est juste, et je sais à propos
Confondre les pervers, et me moquer des sots.
En vain sur son crédit un délateur s'appuie;
Sous son bonnet carré, que ma main jette à bas,
Je découvre en riant la tête de Midas.
J'honore Diderot malgré la calomnie;

Ma voix parle plus haut que les cris de l'envie;
Les échos des rochers qui ceignent mon désert,
Répètent après moi le nom de d'Alembert.
Un philosophe est ferme et n'a point d'artifice;
Sans espoir et sans crainte il sait rendre justice;
Jamais adulateur, et toujours citoyen,

A son prince attaché sans lui demander rien;
Fuyant des factions les brigues ennemies,
Qui se glissent parfois dans nos académies;
Sans aimer Loyola, condamnant saint Médard, (*)

est le ridicule de dire que l'homme fut condamné au travail. L'arabe Job est bien plus raisonnable, il dit que l'homme est né pour travailler, comme l'oiseau pour voler.

(*) Voyez les notes sur les convulsions et sur les billets de confession, deux ridicules et opprobres de la France, à la fin de la satire intitulée le Pauvre Diable,

Des billets qu'on exige il se rit à l'écart,
Et laisse aux parlements à réprimer l'Église.
Il s'élève à son Dieu, quand il foule à ses pieds
Un fatras dégoûtant d'arguments décriés,
Et son âme inflexible au vrai seul est soumise.
C'est ainsi qu'on peut vivre à l'ombre de ses bois,
En guerre avec les sots, en paix avec soi-même,
Gouvernant d'une main le soc de Triptolème,
Et de l'autre essayant d'accorder sous ses doigts
La lyre de Racine et le luth de Chapelle.
O vous! à l'amitié dans tous les temps fidèle,
Vous qui, sans préjugés, sans vice, sans travers,
Embellissez mes jours ainsi que mes déserts,
Soutenez mes travaux et ma philosophie!
Vous cultivez les arts; les arts vous ont suivie.
Le sang du grand Corneille, élevé sous vos yeux, (*)
Apprend par vos leçons à mériter d'en être.

Le pare de Cinna vient m'instruire'en ces lieux;
Son ombre entre nous trois aime encor à paraître.
Son ombre nous console, et nous dit qu'à Paris.
Il faut abandonner la place aux Scudéris.

LXXXIII A MADAME ÉLIE DE BEAUMONT,

EN RÉPONSE A UNE ÉPITRE EN VERS, AU SUJET DE

MADEMOISELLE CORNEILLE.

S'IL est au monde une beauté

Qui de Corneille ait hérité,

20 mai 1761.

Vous possédez cet apanage.

L'enfant dont je me suis chargé (**)
N'a point l'art des vers en partage;
Vous l'avez, c'est un avantage

(*) Mademoiselle Corneille, mariée à M. Du Pay, officier de l'état major.

(*) Mademoiselle Corneille.

Qui m'a quelquefois aflligé,
Et que doit fuir tout homme sage.
Ce dangereux et beau talent
Est pour vous un simple ornement,
Un pompon de plus à votre âge;
Mais quand un homme a le malheur
D'avoir fait en forme un ouvrage,
Et quand il est monsieur l'auteur,
C'est un métier dont il enrage.

Les vers, la musique, l'amour
Sont les charmes de notre vie:
Lesage en a la fantaisie,

Et sait les gouter tour à tour;
S'y livier toujours c'est folie.

LXXXIV. A MADEMOISELLE CLAIRON.

Le sublime en tout genre est le don le plus rare;
C'est là le vrai phénix; et, sagement avare,
La nature a prévu qu'en nos faibles esprits
Le beau, s'il est commun, doit perdre de son prix.
La médiocrité couvre la terre entière;
Les mortels ont à peine une faible lumière,
Quelques vertus sans force, et des talents bornés.
S'il est quelques esprits par le ciel destinés
A s'ouvrir des chemins inconnus au vulgaire,
A franchir des beaux arts la limite ordinaire,
Lanature est alors prodigue en ses présents;
Elle égale dans eux les vertus aux talents.
Le souffle du génie et ses fécoudes flammes
N'ont jamais descendu que dans de nobles âmes;
Il faut qu'on en soit digue, et le coeur épuré
Estle seul aliment de ce flambeau sacré.
Un esprit corrompu ne fat jamais sublime.

Toi que forma Vénus, et que Minerve anime,

1765.

Toi qui ressuscitas sous mes rustiques toits
L'Électre de Sophocle aux accents de tavoix,
(Non l'Électre française à la mode soumise,
Pour le galant Itys si galamment éprise;)
Toi qui peins la nature en osant l'embellir,
Souveraine d'un art que tu sus ennoblir,
Toi dont un geste, un mot m'attendrit et m'enflamme,
Si j'aime tes talents, je respecte ton âme.
L'amitié, la graudeur, la fermeté, la foi, (*)
Les vertus que tu peins, je les retrouve en toi;
Elles sont dans ton cœur ; la vertu que j'encense
N'est pas des voluptés la sévère abstinence.
L'amour, ce don du ciel, digue de son auteur,
Des malheureux humains est le consolateur.
Lui-même il fut un dieu dans les siècles antiques;
On en fait un démon chez nos vils fanatiques:
Très désintéressé sur ce péché charmant,
J'en parle en philosophe, et non pas en amant.
Une femme sensible, et que l'amour engage,
Quand elle est honnête homme, à mes yeux est un sage.

Que ce conteur heureux qui plaisamment chanta (**),
Le démon Belphegor et madame Honesta,
L'Ésope des Français, le maître de la fable,
Ait de la Champmêlé vauté la voix aimable,
Ses accents amoureux, et ses sons affétés,

(*) La foi, en poésie, signifie la bonne foi."

(**) La Fontaine, dans son prologue de Belphegor, dédié à mademoiselle Champmêlé, fameuse actrice pour son temps. La déclamation était alors une espèce de chant. La Motte a fait des stances pour mademoiselle Duclos, dans lesquelles il la loue d'imiter la Champmèlé: et ni l'une ni l'autre ne devaient être imitées. On est tombé depuis dans un autre défaut beaucoup plus grand; c'est un familier excessifet ridicule qui donne à un héros le ton d'un bourgeois. Le naturel, daus la tragédie, doit toujours se ressentir de la grandeur

Écho des fades airs que Lambert a notés: (***)
Tu n'étais pas alors; on ne pouvait connaître
Cet art qui n'est qu'à toi, cet art que tu fais naître.
Corneille, des Romains peintre majestueux,
T'aurait vue aussi noble, aussi romaine qu'eux.
Le ciel, pour échauffer les glaces de mon âge,
Le ciel me réservait ce flatteur avantage.
Je ne suis point surpris qu'un sort capricieux
Ait pu mêler quelque ombre à tes jours glorieux.
L'âme qui sait penser n'en est point étonnée;
Elle s'en affermit, loin d'être consternée;
C'est le creuset du sage; et son or altéré
En renaît plus brillant, en sort plus épuré.
En tous temps, en tous lieux le public est injuste;
Horace s'en plaignait sous l'empire d'Auguste.
La malice, l'orgueil, un indigne désir

D'abaisser des talents qui font notre plaisir,
De flétrir les beaux-arts qui consolent la vie;
Voilà le cœur de l'homme; il est né pour l'envie.
A l'Église, au barreau, dans les camps, dans les cours,
Il est, il fut ingrat, et le sera toujours.

Du siècle que j'ai vu tu sais quelle est la gloire;
Ce siècle des talents vivra dans la mémoire.
Mais vois à quels dégoûts le sort abandonna
L'auteur d'iphigénie, et celui de Cinna,
Ce qu'essuya Quinault, ce que souffrit Molière,
Fénelon dans l'exil terminant sa carrière,
Arnaud qui dut jouir du destin le plus beau,
Arnaud manquant d'asile, et même de tombeau.
De l'âge où nous vivons que pouvons-nous attendre?

du sujet, et ne s'avilir jamais par la familiarité. Baron,qui avait un jeu si naturel et si vrai, ne tomba jamais dans cette bassesse.

(***) Lambert, auteur de quelques airs insipides, très cé lèbre avant Lulli.

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