La lumière, il est vrai, commence à se répandre; Avec moins de talents on est plus éclairé; Mais le goût s'est perdu, l'esprit s'est égaré. Ce siècle ridicule cst celui des brochures, Des chansons, des extraits, et surtout des injures. La barbarie approche: Apollon indigné Quitte les bords heureux où ses lois ont régné; Et fuyant à regret son parterre et ses loges, Melpomene avec toi fuit chez les Allobroges. (*) LXXXV. A M. L'ABBÉ DE LA PORTE
Tu pousses trop loin l'amitié, Abbé, quand tu prends ma défense. Le vil objet de ta vengeance Sous ta verge me fait pitié. Il ne faut point tant de courage Pour se battre contre un poltron, Ni pour écraser un Fréron Dont le nom seul est un outrage. Un passant donne au polisson Un de fouet sur le visage: coup
Ce n'est que de cette façon Qu'on corrige un tel personnage, S'il pouvait être corrigé. Mais on le hue, on le bafoue, On l'a mille fois fustigé;
Il se carre encor dans la boue. Dans le mépris il est plongé, Sur chaque théâtre on le joue: Ne suis-je pas assez vengé?
() Mademoiselle Clairon venait de quitter le théâtre, et avait été passer quelque temps à Ferney.
SUR CE QU'ON AVAIT ÉCRIT A L'AUTEUR QUE PLUSIEURS CI- TOYENS DE PARIS S'ÉTAIENT MIS A GENOUX DEVANT LA STATUE ÉQUESTRE DE CE PRINCE, PENDANT LA MALADIE DU DAUPHIN, PÈRE DE LOUIS XVI. — 1766.
INTREPIDE Soldat, vrai chevalier, grand homme, Bon roi, fidèle ami, tendre et loval amant, Toi que l'Europe a plaint d'avoir fléchi sous Rome, Sans qu'on osat blâmer ce triste abaissement, Henri, tous les Français adorent ta mémoire; Ton nom devient plus cher et plus grand chaque jour; Et peut-être autrefois, quand j'ai chanté ta gloire, Je n'ai point dans les coeurs affaibli tant d'amour.
Un des beaux rejetons de ta race chérie, Des marches de ton trône au tombeau descendu, Te porte en expirant les voeux de ta patrie, Et les gémissements de ton peuple éperdu.
Lorsque la mort sur lui levait sa faulx tranchante, On vit de citoyens une foule tremblante Entourer ta statue, et la baigner de pleurs; C'était là leur antel, et dans tous nos malheurs, On t'implore aujourd'hui comme un dieu tutétairc. La fille qui naquit aux chaumes de Nanterre, Pieusement célèbre en des temps ténébreux, (a) N'entend point nos regrets, n'exauce point nos voeux, De l'empire français n'est point la protectrice. C'est toi, c'est ta valeur, ta bonté, ta justice, Qui préside à l'état raffermi par tes mains:
Ce n'est qu'en t'imitant qu'on a des jours prospères, C'est l'encens qu'on te doit : les Grecs et les Romains Invoquaient des héros, et non pas des bergères.
Osi, de mes déserts, où j'achève mes jours,
Je m'étais fait entendre au fond du sombre empire! Si, comme au temps d'Orphée, un enfant de la lyre, De l'ordre des destins interrompait le cours!
Si ma voix!... mais tout cède à leur arrêt suprême; Ni nos chants, ni nos cris, ni l'art et ses secours, Les offrandes, les voeux, les autels, ni toi-même, Rien ne suspend la mort. Ce monde illimité Est l'esclave éternel de la fatalité.
A d'immuables lois Dieu soumit la nature. Sur ces monts entassés, séjour de la froidure, Au creux de ces rochers, dans ces gouffres affreux, Je vois des animaux maigres, pâles, hideux, Demi-nus, affamés, courbés sous l'infortune: Ils sont hommes pourtant: notre mère commune A daigné prodiguer des soins aussi puissants A pétrir de ses mains leur substance mortelle, Et le grossier instinct qui dirige leurs sens, Qu'à former les vainqueurs de Pharsale et d'Arbelle. Au livre des destins tous leurs jours sont comptés; Les tiens l'étaient aussi. Ces dures vérités
Épouvantent le lâche, et consolent le sage.
Tout est égal au monde; un mourant n'a point d'âge; Le dauphin le disait au sein de la grandeur, Au printemps de sa vie, au comble du bonheur; Il l'adit en mourant, de sa voix affaiblie, A son fils, à son père, à la cour attendrie. O toi! triste témoin de son dernier moment, Qui lis de sa vertu ce faible monument, Ne me demande point ce qui fonda sa gloire, Quels funestes exploits assurent sa mémoire, Quels peuples malheureux on le vit conquérir, Ce qu'il fit sur la terre.... il t'app rit à mourir.
(a) Picusement célèbre en des temps ténébreux
A vu sans s'alarmer qu'on t'adressât des vœu
Elle-même avec nous t'eût rendu cet hommager. Tu l'as trop mérité; c'est toi, c'est ton courage Qui préside à l'état raffermi par tes mains, etc.
LXXXVII. A M. LE CHEVALIER DE BOUFFLERS.
CROYEZ qu'un vieillard cacochime,
Chargé de soixante et douze ans,
Doit mettre, s'il a quelque sens,;
Son âme et son corps au régime.
Dien fit la douce illusion
Pour les heureux fous du bel âge; Pour les vieux fous l'ambition, Et la retraite pour le sage.
Vous me direz qu'Anacréon, Que Chaulieu même et Saint-Aulaire, Tiraient encor quelque chanson De leur cervelle octogénaire.
Mais ces exemples sont trompeurs; Et quand les derniers jours d'automne Laissent éclore quelques fleurs, On ne leur voit point les couleurs Et l'éclat que le printemps donne: Les bergères et les pasteurs N'en forment point une couronne. La Parque de ses vilains doigts Marquait d'un sept avec un trois La tête froide et peu pensante De Fleuri qui donna des lois A notre France languissante: Il porta le sceptre des rois, Et le garda jusqu'à nonante. Régner est un amusement Pour un vieillard triste et pesant,
De tout autre chose incapable; Mais vieux bel esprit, vieux amant, Vieux chanteur est insupportable.
C'est à vous, ô jeune Boufflers! A vous dont notre Suisse admire Le crayon, la prose et les vers, Et les petits contes pour rire; C'est à vous de chanter Thémire, Et de briller dans un festin, Animé du triple délire
Des vers, de l'amour et du vin.
LXXXVIII. A M. FRANÇOIS DE NEUCHATEAU.
Si vous brillez à votre aurore, Quand je m'éteins à mon couchant; Si dans votre fertile champ Tant de fleurs s'empressent d'éclore, Lorsque mon terrain languissant Est dégarni des dons de Flore; Si votre voix jeune et sonore Prélude d'un ton si touchant, Quand je fredonne à peine encore Les restes d'un lugubre chant; Si des Grâces, qu'en vain j'implore, Vous devenez heureux amant; Et si ma vieillesse déplore
La perte de cet art charmant Dont le Dieu des vers vous honore: Tout cela peut m'humilier; Mais je n'y vois point de remède. Il faut bien que l'on me succède; Et j'aime en vous mon héritier.
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