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gai; si je suis malade, votre conversation me guérira bien vite,

Que m'importe le vain murmure
De cette canaille à tonsure (*)
Qui n'entend rien de mes écrits?
Tous les maudissons qu'ils me donnent,
Et les orémus qu'ils entonnent,
Sont tous pour moi du même prix.
Je consens qu'on m'excommunie,
Pourvu qu'un jour au Chambonin
Avec toi je passe ma vie.

Je consens que dans ton jardin
On m'enterre comme un impie

Honnête homme et mauvais chrétien,
Philosophe non sans folie,

Avec un cœur digne du tien.

Si tu m'aimes, il faudra bien

Et qu'on m'estime et qu'on m'envie.

Allez vous promener, madame, avec votre très humble servante; comptez que je vous suis respectueusement attaché pour la vie.

XLVIII. A M2 DE CHAMBONIN. — 1736.

AUTREFOIS pour payer le zèle

De Baucis et de Philémon,
On disait que de leur maison
Jupiter fit une chapelle.

Si j'avais son pouvoir divin,
Je n'imiterais pas ses augustes sottises;
Je démolirais vingt églises

Pour vous bâtir un Chambonin.

Vous êtes trop bonne, adorable amie. Quelque succès que l'Enfant prodigue puisse avoir, c'est un orphelin dont je ne m'avoue pas le père; mais je (*) Elle lui avait donné avis que des prêtres avaient écrit contre lui à la cour.

POESIES. TOME IV.

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par

suis bien plus flatté de l'intérêt que vous y prenez que de l'éloge du public. M. du Châtelet n'est point de retour. Les colonels sont contremandés, soit les excessives précautions de M. de Bellisle, soit par crainte de quelques remûments des ennemis. On ne croit point la paix faite. Je n'en sais rien. Tout ce que je sais, c'est que nous sommes des inoutons à qui le boucher ne dit jamais quand il les tuera.

XLIX. A M. DE FORMONT.

A Cirey, le 13.... 1736.

AIMABLE philosophe, nous avons reçu votre prose la prose est d'un sage, les vers sont d'un

et vos vers;

poëe.

Votre style juste et coulant,
Votre raison ferme et polie,
Plaisent tous deux également
A la philosophe Émilie,
Qui joint la force du génie
A la douceur du sentiment.
Entre vous deux assurément
Le ciel mit de la sympathie.
A l'égard de notre Linant,

Il vous approuve et dort d'autant,?
Commence un ouvrage et l'oublié.
Moi, je raisonne et versifie,

Mais non certes si doctement

Que votre sage Polymnie."

Voilà de la rimaille qui m'a échappé : venons à la raison, que je n'attraperai peut-être point.

Il est vrai que nous ne pouvons comprendre ni comment la matière pense, mi comment un être pensant est uni à la matière. Mais de ces deux cho

ses également incompréhensibles, il faut que l'une, soit vraie, comme de la divisibilité ou de l'indivisibilité de la matière, il faut que l'une ou l'autre soit, quoique ni l'un ni l'autre ne soit compréhensible. Ainsi, la création et l'éternité de la matière sont inintelligibles, et cependant il faut que l'une des deux soit admise.

Pour savoir si la matière pense ou non, nous n'avons point de règle fixe qui nous puisse conduire à une démonstration, comme en géométrie; cette vérité, «< entre deux points la ligne droite est la plus >>> courte », mène à toutes les démonstrations. Mais nous avons des probabilités; il s'agit donc de savoir ce qui est le plus probable. L'axiome le plus raisonnable en fait de physique est celui-ci : » Les mêmes effets doivent être attribués à la même cause. » Or les mêmes effets se voient dans les bêtes et dans les hommes, donc la même cause les anime. Les bêtes sentent et pensent à un certain point; elles ont des idées; les hommes n'ont au-dessus d'elles qu'une plus grande combinaison d'idées, un plus grand magasin. Le plus et le moins ne change point l'espèce, donc, etc. Or, personne ne s'avise de donner une âme immortelle à une puce; il n'en faudra donc point donner à l'éléphant ni au singe, ni à mon valet champenois, ni à un bailli de village, qui a un peu plus d'instinct que mon valet; enfin, ni à vous ni à Émilie.

La pensée et le sentiment ne sont pas essentiels, sans doute, à la matière, comme limpénétrabilité. Mais le mouvement, la gravitation, la végétation, la vie, ne lui sont pas essentielles, et personne n'ima

ginerait ces qualités dans la matière, si on ne s'en était pas convaincu par l'expérience,

Il est donc très probable que la nature a donné des pensées à des cerveaux, comme la végétation à des arbres; que nous pensons par le cerveau, de même que nous marchons avec le pied, et qu'il faut dire comme Lucrèce:

Primùm,animum dico, mentem quem sæpè vocamus, In quo consilium vitæ, regimenque locatum est, Esse hominis partem nihilominus ac manus et pes.

Voilà, je crois, ce que notre raison nous ferait penser, si la foi divine ne nous assurait pas du contraire; c'est ce que pensait Locke, et qu'il n'a pas osé dire.

De plus, quand même cette analogie desanimaux ne serait pas une extrême probabilité,lefrustra per plura quod potest per pauciora, est encore une excellente raison. Or, le chemin est bien plus court de faire penser un cerveau, que de fourrer dans un cerveau je ne sais quel être dont nous n'avons au cune idée. Cet être, qui croît et décroît avec nos sens, a bien la mine d'être un sixième sens; et sice n'était notre divine religion, je serais tenté de le croire ainsi.

Je trouve très mauvais que vous parliez de Newton comme d'un feseur de systèmes. Il n'en a fait aucun. Il a découvert dans la matière des propriétés incontestables, démontrées par les expériences. Il est aussi certain que les forces centripètes agissent sur tous les corps, sans aucune matière intermé. diaire, qu'il est certain que l'air pèse. Il est aussi sûr que la lumière se réfléchit dans le vide par

la

force de l'attraction, c'est-à dire, par les forces centripètes, qu'il est sûr que les rayons de la lumière se brisent dans l'eau.

Je vous en dirais davantage, mais j'ai une tragédie qui me presse. Le Franc m'a volé mon sujet et toutes mes situations; il s'est hâté de bâtir sur mon fonds, et est allé proposer son vol aux comédiens. C'est voler sur l'autel. Adieu, mille tendres compliments à Cideville. Émilie vous en fait beaucoup.

L. AM. LE COMTEDETRESSAN.

A Cirey, le 21 octobre 1736.

TANDIS qu'aux fanges du Parnasse,
D'une main criminelle et basse,
Rufus va cherchant des poisons,
Ta main delicate et légère
Cucille aux campagnes de Cythere
Des fleurs dignes de tes chansons.

Les Grâces accordent ta lyre;
Le Plaisir mollement t'inspire,
Et tu l'inspires à ton tour.
Que ta Muse tendre et badine
Se sent bien de son origine!
Elle est la fille de l'Amour.
Loin ce rimeur atrabilaire,
Ce cynique, ce plagiaire
Qui, dans ses efforts odieux,
Fail servir à la calomnie,
A la rage, à l'ignominie,
Le langage sacré des dieux.

Sans doute les premiers poëtes,
Inspirés, ainsi que vous l'ètes,
Étaient des dieux ou des amants:
Tout a changé, tout dégénère,
Et dans l'art d'écrire et de plaire;
Mais vous êtes des premiers temps.

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