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LXX. A M. DE MAIRAN.

A Bruxelles, ce 12 mars 174.

DEs savants digne secrétaire,
Vous qui savez instruire et plaire,
Pardonnez à mes vains cfforts.
J'ai parlé des forces des corps,
Et je vous adresse l'ouvrage : (*)
Et si j'avais, dans mon écrit,
Parlé des forces de l'esprit,

Je vous devrais le même hommage.

Je vous supplie, monsieur, quand vous aurez un moment de loisir, de me mander si vous êtes de mon avis. Il se peut faire que vous n'en soyez point, quoique je sois du vôtre, et que j'aye très mal soutenu une bonne cause.

Madame du Châtelet l'a mieuxattaquée que jene l'ai soutenue. Vous devriez troquer d'adversaire et de défenseur. Mais nous sommes elle et moi très réunis dans les sentiments de la parfaite estime avec laquelle je serai toute ma vie, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur. VOLTAIRE.

LXXI. A MME LA COMTESSE D'ARGENTAL.

A Bruxelles, 13 mars 1741.

AUTRES AIMABLE SECRÉTAIRE DE MON ANGE:
GARDIEN.

PRÈS de vous perdre la lumière,
C'est doublement être accablé:

Qui vous entend est consolé;

(*) Mémoires sur les Forees vives. Voyez le volume des Physique.

Mais celui qui, sachant vous plaire,
Vous aime et vit auprès de vous,
Celui-là n'a plus rien à craindre:

Quoi qu'il perde, son sort est doux,

Et les seuls absents sont à plaindre.

"Cependant il faut que mon cher et respectable ami cesse d'être Quinze-Vingts, car encore faut-il ̧ voir ce que l'on aime.

Quand il vous aura bien vue, madame, je vous demande en grâce à tous deux de lire le nouveau Mahomet qui est tout prêt. Je l'ai remanié, corrigé, repoli de mon mieux. Il est nécessaire qu'il soit entre vos mains avant Pâques, si mon conseil ordonne qu'il soit joué cette année.

Je n'ai vu aucune des pauvretés qui courent dans Paris. Nous étudions de vieilles vérités, et nous ne nous soucions guère des sottises nouvelles. Madame du Châtelet a gagné ces jours-ci un incident très considérable de son procès; et elle l'a gagné à force de courage, d'esprit et de fatigues. Cela abrégera le procès de plus de deux ans; et toutes les apparences sont qu'elle gagnera le fond de l'affaire comme elle a gagné ce préliminaire.

Alors, madame, nous irons vivre dans ce beau palais peint par Le Brun et Le Sueur (*), et qui est fait pour être habité par des philosophes qui aient, un peu de goût.

Je ne sais pas encore si le roi de Prusse mérite l'intérêt que nous prenons à lui: il est roi, cela fait trembler. Attendons tout du temps.

Adieu; je vous embrasse, mes chers anges gardiens. Madame du Châtelet vous aime plus que jamais.

(*) L'hôtel Lambert.

LXXII. A M. DE CIDEVILLE,

A Bruxelles, ce 13 mars 17411

DEVERS Pâque on doit pardonner
Aux chrétiens qui font pénitence.
Je la fais; un si long silence
A de quoi me faire damner;
Donnez-moi plénière indulgence.
Après avoir en grand courrier
Voyagé pour chercher un sage,
J'ai regagné mon colombier,
Je n'en veux sortir davantage;
J'y trouve ce que j'ai cherché,
J'y vis heureux, j'y suis caché.
Le trône et son fier esclavage,
Ces grandeurs dont on est touché,
Ne valent pas notre ermitage.
Vers les champs hyperboréens
J'ai vu des rois dans la retraite.
Qui se croyaient des Antonins;
J'ai vu s'enfuir leurs bons desseins
Aux premiers sons de la trompette.
Ils ne sont plus rien que des rois;
Ils vont par de sanglants exploits
Prendre ou ravager des provinces.
L'ambition les à soumis.

Moi, j'y renonce: adieu les princes;
11 ne me faut que des amis.

Ce sont surtout des amis tels que mon cher Cide. ville qui sont très au-dessus des rois. Vous me direzź que j'ai donc grand tort de leur écrire si rarement; mais aussi il faut m'écouter dans mes défenses. Malgré ces rois, ces voyages, malgré la physique qui m'a encore tracassé, malgré ma mauvaise santé, qui est fort étonnée de toute la peine que je donne à mon corps, j'ai voulu rendre Mahomet digne de

vous être envoyé. Je l'ai remanié, refondu, repoli, depuis le mois de janvier. J'y suis encore. Je le quitte pour vous écrire. Enfin je veux que vous le lisiez tel qu'il est; je veux que vous ayez mes prémices, et que vous me jugiez en premier et dernier ressort. La Noue vous aura mandé sans doute que nos deux Mahomets se sont embrassés à Lille. Je ui lus le mien ; il en parut assez content, mais moi je ne le fus pas, et je ne le serai que quand vous l'aurez lu à tête reposée. Ce La Noue me paraît un très honnête garçon, et digne de l'amitié dont vous l'honorez. Il faut que mademoiselle Gaucher ait récompensé en lui la vertu, car ce n'est pas à la figure qu'elle s'était donnée; mais à la fin elle s'est lassée de rendre justice au mérite.

Or, mandez-moi, mon cher ami, comment il faut s'y prendre pour vous faire tenir mon manuscrit. Je ne sais si vous avez reçu l'Anti-Machiavel que j'envoyai pour vous à Prault le libraire à Paris. Je le soupçonne d'être avec les autres dans la chambre infernale qu'on nomme syndicale. Il est plaisant que le Machiavel soit permis, et que l'antidote soit de contrebande. Je ne sais pas pourquoi on veut cacher aux hommes qu'il y a un roi qui a donné aux hommes des leçons de vertu. Il est vrai que l'inva. sion de la Silésie est un héroïsme d'une autre espèce que celui de la modération tant prêchée dans l'Anti-Machiavel. La chatte, métamorphosée en femme, court aux souris dès qu'elle en voit, et le prince jette son manteau de philosophes dès qu'il voit une province à sabienséance.

Puis fiez-vous à la philosophie!

Il n'y a que la philosophe madame du Châtelet dont je ne me défie pas. Celle-là est constante dans ses principes, et plus fidèle encore à ses amis qu'à Leibnitz.

A propos, monsieur le conseiller, vous saurez que cette philosophe agagné un préliminaire de son procès, fort important, et qui paraissait désespéré. Son courage et son esprit l'ont bien aidée. Enfin, je crois que nous sortirons heureusement du labyrinthe de la chicane où nous sommes.

Mais vous, que faites-vous? où êtes-vous ? Qua circum volitas agilis thima ? Mandez un peu de vos nouvelles au plus ancien et au meilleur de vos amis. Bonjour, mon très aimable, mon très cher Cideville Madame du Châtelet vous fait mille compliments. LXXIII. A M. LE COMTE D'ARGENTAL.

A Bruxelles, le 7 avril 1741.

vous qui cultivez les vertus du vrai sage,
L'amour des arts et l'amitié,

Vous dont la charmante moitié

Augmente encor vos goûts puisqu'elle les partage;
De mon esprit lassé qu'énervait sa langueur
Vous avez ranimé la verve dégoûtée;

Vous rallumez dans moi ce feu de Prométhé e
Dont la froide physique avait éteint l'ardeur:
Ranimez donc Paris où les beaux arts gémissent
Sans récompense et sans appui.

Qu'on pense comme vous, j'y revole aujourd'hui.
Mais de la France, hélas! les jours heureux finissent,
Apollon négligé fuit en d'autres climats.

De nos maîtres en vain j'avais suivi les pas,
En vain par une heureuse et pénible industrie
J'ai d'un poëme épique enrichi ma patrie.

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