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suré que la reine était très fâchée contre moi. J'ai
demandé pourquoi la reine était fâchée: on m'a ré-
pondu que
c'était parce que j'avais écrit à madame
la dauphine que le cavagnole est ennuyeux. Je con-
çois bien que, si j'avais commis un pareil crime, je
mériterais le châtiment le plus sévère; mais, en vé-
rité, je n'ai pas l'honneur d'être en commerce de
lettres avec madame la dauphine. Je me suis sou-
venu que j'avais envoyé, il y a plus d'un an, quel-
ques méchants vers à une autre princesse très aima-
ble, qui tient sa cour à quelques quatre cents lieues
d'ici, et qu'en lui parlant de l'ennui de l'étiquette,
et de la nécessité de cultiver son esprit, je lui avais.
dit:

On croirait que le jeu console,
Mais l'ennui vient à pas comptés
S'asseoir entre des majestés.

A la table d'un cavagnole.

Car il faut savoir qu'on joue à ce beau cavagnole ailleurs qu'à Versailles; au reste, monsieur. si la reine s'applique cette satire, je vous supplie de lu dire qu'elle a très grande raison.

Un esprit fin, juste et solide,

Un cœur où la vertu réside,
Animé d'un céleste feu,

Modèle du siècle où nous sommes,

Occupé des grandeurs de Dieu,

Et du soin du bonheur des hommes,
Peut fort bien s'ennuyer au jeu :
Et même son illustre père,

Des Polonais tant regretté,
Aux Lorrains ayant l'art de plaire,
Et qui fait ma félicité,

Pourrait dire avec vérité

Que le jeu ne l'amuse guère.

L

Ainsi, dussé je être coupable de lèse-majesté on de lèse-cavaguole, je soutiendrai très hardiment qu'une reine de France peut très bien s'ennuyer au jeu, et que même toutes les pompes de ce monde ne lui plaisent point du tout. Il y a quelque bonne âme qui, depuis long-temps, m'a daigné ser. vir auprès de la reine par des mensonges officieux; mais vous, monsieur, qui êtes malin et malfesant, je vous prie de lui dire les vérités dures que je ne puis dissimuler; ce sont des esprits malfesants et méchants comme le vôtre, qu'il faut employer quand on veut faire des tracasseries à la cour: j'oserais même proposer cette noirceur à M. le duc et à MME la duchesse de Luynes.

XCIV. A M. DE CIDEVILLE.

A Loisey, près de Bar, 24 décembre 1748.

Je ne suis plus qu'un prosateur bien mince、
Singe de Pline, orateur de province,
Louant tout haut mon roi qui n'en sait rien,
Et négligeant, pour enuuyer un prinee,
Un sage ami qui s'eu aperçoit bien.

Vous casanier, dans un séjour champêtre,
Pour des Philis vous me quittez peut-être.
L'amour encor vous fait sentir ses coups.
Heureux qui peut tromper des infidèles!
C'est votre lot. Vous courtisez des belles,
Et moi des rois : j'ai bien plus tort que vous.

Il est vrai, mon cher Cideville, que ma main est devenue bien paresseuse d'écrire, mais assurément mon cœur ne l'est pas de vous aimer. Je suis devenu courtisan par hasard; mais je n'ai pas cessé de travailler à Lunéville. J'y ai presque achevé

P'histoire de cette maudite guerre, qui vient enfin de finir par une paix que je trouve très glorieuse, puisqu'elle assure la tranquillité publique. Fatigué, excédé de confronter et d'extraire des relations, je n'écrivais plus à mes amis; mais soyez bien sûr qu'en compilant mes rapsodies historiques, je pensais toujours à vous. Je me disais: «< Approuvera-t il » cet endroit ? y trouvera-t-il des vérités qui puis» sent être bien reçues ? n'en ai-je pas dit trop ou » trop peu ? » Je vous attends à Paris pour vous montrer tout cela. J'y serai au mois de janvier. Nous allons passer les fêtes de Noël à Cirey, après quoi je compte rester presque tout l'hiver à Paris. J'ignore encore si j'y verrai Catilina. On dit qu'on l'a retiré; en ce cas, il faudra bien redonner Sémiramis, que j'ai retouchée avec assez de soin, et dont je me flatte que les décorations seront plus magnifiques sous l'empire du maréchal de Richelieu que sous le consulat du duc de Fleuri. J'ai un peu de peine à transporter Athènes dans Paris. Nos jeunes gens ne sont pas Grecs; mais je les accoutumerai au grand tragique, ou je ne pourrai.

Adieu, je vous embrasse de tout mon cœur.
XCV. A M. DARGET,

SECRÉTAIRE DE SA MAJESTÉ LE ROI DE

PRUSSE. (*)

Cirey, le 29 juin 1749.

O gens profonds et délicats,

Lumière de l'académie,

() M. Darget et plusieurs gens de lettres avaient envoyé à M. de Voltaire, par ordre du roi de Prusse, des certificat en prose et en vers sur la beauté du climat de Berlin.

Chacun prend de vos almanachs,
Vous donnez des certificats

Sur le beau temps et sur la pluie;
Mais il me faut un autre soin,
Et ma figure aurait besoin
D'un bon certificat de vie.

Chez vous tout brille, tout fleurit;
Tout vous y plaît, je dois le croire;
Je me doute bien qu'on hérit
Les climats dont on fait la gloire.
Vous et Frédéric votre appui,
Que j'appelle toujours grand homme
Quand je ne parle pas à lui,
Ce roi, ce Trajan d'aujourd'hui,
Plus gai que le Trajan de Rome,
Ce roi dont je fus tant épris,
Et vous. très graves personnages,
Qui passez pour ses favoris,

Et pour heureux autant que sages;
Vous, dis-je, et Frédéric-le-Grand,
Vous, vos talents et son génie,
Vous feriez un pays charmant
Des glaces de la Laponie.

Vous auriez beau certifier

Qu'on voit mûrir dans vos contrées

De Bacchus les grappes dorées

Tout aussi bien que le laurier:

De ma part je vous certifie
Que le devoir et l'amitié,
Qui depuis vingt ans m'ont lié,
Me retiennent près d'Émilie.
Cette Émilieincessamment

Doit accoucher d'un gros

enfant

Et d'un bien plus gros commentaire;

Je veux voir cet double affaire;

Je les entends très faiblement:

Mais, messieurs, ne voit-on donc faire

Que les choses que l'on entend?

Vous m'avoûrez, mon cher monsieur, que vous avez eu quelques beaux jours au commence

'ment de mai, vous avez payé depuis un peu cher cette faveur passagère. Mes plus beaux jours seront en automne. Je viendrai dans votre charmante cour, si je suis en vie : c'est un tour de force dans

l'état où je suis; mais que ne fait-on pas pour voir

Frédéric-le-Grand et les hommes qu'il rassemble auprès de lui!

Souvenez-vous de moi dans votre royaume.

XCVI. A M. DESTOUCHES.

A Paris, 1749.

'AUTEUR solide, ingénieux,

Qui du théâtre êtes le maître,
Vous qui fites le glorieux,

Il ne tiendrait qu'à vous de l'être:
Je le serai, j'en suis tenté,
Si mardi ma table s'honore
D'un convive si souhaité;
Mais je sentirai plus encore
De plaisir que de vanité.

Venez donc, mon illustre ami, mardi à trois heures; vous trouverez quelques académiciens nos confrères; mais vous n'en trouverez point qui soit plus votre partisan et votre ami que moi. Madame Denis dispute avec moi, je l'avoue, à qui vous estime davantage: venez juger cette querelle. Savez vous bien que vous devriez apporter votre pièce nouvelle? Vous nous donneriez les prémices des plaisirs que le public attend. L'abbé du Rénel ne va point aux spectacles, et il est très bon juge: ma nièce mérite cette faveur par le goût extrême qu'elle a pour tout ce qui vient de vous; et moi qui vous ai sacri- ' fié Oreste de si bon cœur; moi qui, depuis si long

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