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Et de votre lettre badine
Jointe à la profonde doctrine
De votre esprit calculateur.
"Eh bien! vous avez vu l'Afrique,
Constantinople, l'Amérique:
Tous vos pas ont été perdus.
Voulez-vous faire enfin fortune?
Hélas! il ne vous reste plus

Qu'à faire un voyage à la lune.

On dit qu'on trouve en son pourpris

Ce qu'on perd aux lieux où nous sommes:
Les services reudus aux hommes,

Et le bien fait à son pays.

Votre paquet du 5 janvier m'a été rendu au saint temps de Pâques. Il aurait eu le temps de faire le voyage du Brésil. Je devais, mon cher arpenteur desastres, vous envoyer l'histoire terrestre de Louis XIV; mais il y a trop de fautes de la part de l'éditeur, et de la mienne trop d'omissions, et trop de péchés de commissions.

Jene regarde cette esquisse que comme l'assemblage de quelques études dont je pourrai faire un tableau avec le secours des remarques qu'on m'a envoyées, et alors je vous prierai de l'accepter et de me juger. C'est un petit monument que je tâche d'élever à la gloire de ma patrie; mais il y a quelques pierres mal jointes qui pourraient me tomber sur le nez.

Ce n'est pas dans la lune que j'ai voyagé avec Astolphe et saint Jean pour trouver le fruit de mes peines; c'est dans le temple de la philosophie, de la gloire et du

repos.

cription de cettelettre fléau des médecins et de la mélancolie, était lecteur du roi de Prusse.

Adieu; je vous embrasse de tout mon cœur, et je vous aimerai toujours, fussé-je dans la lune."

CV. A M. DE LA CONDAMINE.

A Potsdam, 29 avril 1752.

'En! morbleu, c'est dans le pourpris

Du brillant palais de la lune,
Non dans le benoît paradis

Qu'un honnête homme fait fortune.

Du moins c'est ce que dit l'Arioste, l'un des meilleurs théologiens que nous ayons. Est-ce qu'il y avait pays au lieu de pourpris dans ma lettre? Eh bien ! il n'y a pas grand mal. Le conseiller aulique Francheville, mon éditeur, en a bien fait d'autres, et moi aussi; mais, mon cher cosmopolite, ne me croyez pas assez ignare pour ne pas savoir où est Carthagène; j'y envoie tous les ans plus d'un vaisseau, ou du moins je suis au nombre de ceux qui y en envoient, et je vous juré qu'il vaut mieux avoir ses facteurs dans ce pays là, que d'y aller. Mais quoique M. de Pontis eût pris Carthagène en deçà de la ligne, cela n'empêche pas que nous n'ayons été fort souvent nous égorger au-delà.

Je vous suis sensiblement obligé de vos remar ques; mais il y a bien plus de fautes que vous n'avez observé. J'ai bien fait des péchés d'omission et de commission. Voilà pourquoi je voudrais que la première édition, qui n'est qu'un' essai très informe, n'entrât point en France. Jugez dansquelles erreurs sont tombés les Lamartinière, les Réboulet et les tutti-quanti, puisque moi, presque témoin oculaire, je me suis trompé si souvent. Ce n'est pas au moins

sur le maréchal de La Feuillade. Je tiens l'anecdote de lui même; mais je ne devais pas en parler. La seconde édition vaudra mieux, et surtout le catalogue des écrivains qui, beaucoup plus complet et beaucoup plus approfondi, pourra vous amuser. Je J'avais dicté pour grossir le second tome, qui était trop mince; mais je le compose à présent pour le rendre utile.

Puisque vous avez commencé, mon cher La Condamine, à me faire des observations, vous voilà engagé d'honneur à continuer. Avertissez-moi de tout, je vous en supplie; je sais fort bien qu'il n'y a point d'esclaves à la place Vendôme, et je ne sais comment on y en trouve dans l'édition de mon conseil. ler aulique. Il y a plus d'une bévue pareille. Je vous dirai, et ignorantias meas ne memineris. Votre livre, qui vous doit faire beaucoup d'honneur, n'a pas besoin de pareils secours. Je souhaite que vous en tiriez autant d'avantage que de gloire; je ne suis pas surpris de ce que vous me dites, et je ne suis surpris de rien. Soyez-le si je ne conserve pas toujours pour vous la plus parfaite estime et la plus tendre amitié.

CVI. A M. DE CIDEVILLE.

A Plombières, 9 juillet 1752.

Mon cher et ancien ami, quoique chat échaudé ait la réputation de craindre l'eau froide, cependant j'ai risqué l'eau chaude. Vous savez que j'aimerais bien mieux être auprès des naïades de Forges que de celles de Plombières. Vous savez où je voudrais

être, et combien il m'cût été doux de mourir dans la patrie de Corneille, et dans les bras de mon cher Cideville; mais je ne peux ni passer, ni finir ma vie selon mes désirs. J'ai au moins auprès de moi à présent une nièce qui me console, en me parlant de vous. Nous ne fesons point de châteaux en Espagne, mais nous en fesons en Normandie. Nous imaginons que quelque jour nous pourrions bien vous venir voir. Elle m'a parlé, comme vous, du poëme de l'Agriculture. C'était à vous à le faire et à

dire:

O fortunatos nimiùm, sua nam bona noscunt!"

Pour moi je dis: Nos dulcia linquimus arva; mais ne me dites point de mal des livres de dom Calmet.

Ses antiques fatras ne sont point inutiles;
Il faut des passe-temps de toutes les façons,
Et l'on peut quelquefois supporter les Varrons,
Quoiqu'on adore les Virgiles.

D'ailleurs il y a cent personnes qui lisent l'histoire, pour une qui lit les vers. Le goût de la poésie est le partage du petit nombre des élus. Nous som mes un petit troupeau, et encore est-il dispersé, Et puis je ne sais si à mon âge il me siérait encore de chanter. Il me semble que j'aurais la voix un peu rauque. Et pourquoi chanter deserti ad Strymonis undam?

Enfin, je me suis vu contraint de songer sérieu sement à cette histoire générale, dont on aimprimé des fragments si indignement défigurés. On m'a forcé à reprendre malgré moi un ouvrage que j'avais abandonné, et qui méritait tous mes soins. Ce n'é

tait pas les sèches annales de l'Empire, c'était le tableau des siècles, c'était l'histoire de l'esprit humain. Il m'aurait fallu la patience d'un bénédictin, et la plume d'un Bossuet. J'aurai au moins la vérité d'un de Thou. Il n'importe guère où l'on vive, pourvu qu'on vive pour les beaux-arts; et l'histoire est la partie des belles-lettres qui a le plus de partisans dans tous les pays..

Les fruits des rives du Permesse
Ne croissent que dans le printemps;
D'Apollon les trésors brillants
Font le charme de la jeunesse;
Et la froide et triste vieillesse
N'est faite que pour le bon sens..

Adieu, mon cher ami; je vous aime bien plus que la poésie. Madame Denis vous fait mille compliments.

de

CVII. A. M. LE DUC DE LA VALLIÈRE.

Des bords du lac, 26 février 1955.

QUELLE lubie vous a pris, monsieur le duc! Je ne parle pas d'être philosophe à la cour; c'est un effort sagesse dont votre esprit est très capable. Je ne parle pas d'embellir Montrouge comme Champs; vous êtes très digne de bien nipper deux maîtresses à la fois. Je parle de la lubie de daigner relancer du sein de vos plaisirs un ermite des bords du lac de Genève, et de vous imaginer que

Dans ma vieillesse languissante,
La lueur faible et tremblante
D'un feu prêt à se consumer
Pourrait encor se ranimeg

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