aussi méchants sur mer que les Prussiens sur terre. Nous nous ruinons pour leur résister, et nous portons tout notre argent en Germanie. Jamais elle n'a été si dévastée, si sanglante et si riche. J'avoue, avec vous mon cher Assyrien, que Dieu a envoyé M. de Silhouette à notre secours. S'il y a quelque bon remède, il le trouvera; car il n'est pas comme la plupart de ses prédécesseurs, gens estimables, mais sans génie, qui traçaient leur sillon comme ils pouvaient avec la vieille charrue. J'augure beaucoup d'un traducteur de Pope, qui a vu longtemps l'Angleterre et la Hollande. Il n'est pas de ces vieux novices Pour le prix de ses grands services. Je ne sais pourquoi vous me mandez que tant de poëtes le persécutent avec des éloges en vers. Mes chers confrères n'entrent pour rien dans les obligations que l'état peut lui avoir; ils ne prendront point d'actions sur les fermes. En avez-vous pris? Il me semble que mes nièces en ont quelques-unes. L'opération est un peu à l'anglaise : eh! tant mieux! il faut faire du public une compagnie qui prête au public; c'est la grande méthode de Londres. CXXV. A M DE CHENEVIÈRES, QUI MANDAIT A L'AUTEUR QUE LOUIS XV AVAIT ANNONCÉ SA MORT A VERSAILLES. Aux Délices, 26 mai 1760. RESSUSCITER est sans doute un grand cas: : Pour ce prodige, il est quelques obstacles. Que deux plaisirs, et surtout deux miracles. J'ai grande envie de ressusciter entièrement,' c'est-à-dire de voir M. et Mme de Chenevières, et votre ami qui me fait d'aussi jolis compliments; mais. un maçon, un laboureur, un jardinier, un vigneron,. tel que j'ai l'honneur de l'être, ne peut quitter ses. champs sans faire une sottise. Je suis plus capable de faire des sottises. que des miracles. Bonjour, homme aimable. CXXVI. A M. LE MARQUIS ALBERGATI CAPACELLI, SÉNATEUR DE BOLOGNE. Aux Délices, 19 juin 1760 EN tout pays on se pique Aux critiques, aux rivaux Mais ce Goldoni m'a peinte. Ecco, o mio signore, la mia sentenza. Milusingo ch'ella sara firmata al vostro tribunale. Aspetto un Shaftesbury, e subito lo spedirò à voi. Mille complimenti à M. Algarotti. Aimez tonjours le théâtre pour être béni. Si nous jouons à Tournei quelque nouveauté, nous ne manquerons pas de l'envoyer à Bologna quæ docet. Je vous aime sans vous avoir vu, et j'aime le cher Algarotti, parce que je l'ai vu. Mille respects à l'un et à l'autre. CXXVII. A MADEMOISELLE FEL, ACTRICE DE L'OPÉRA. Aux Délices 3.7 auguste 1760. TRÈS AIMABLE Rossignol, l'oncle et la nièce, ou plutôt la nièce et l'oncle, avaient besoin de votre souvenir. Les gens qui n'ont que des oreilles vous admirent; ceux qui avec des oreilles ont du sentiment, vous aiment. Nous nous flattons d'avoir de tout cela. Et sachez, malgré toute votre modestie, que vous êtes aussi séduisante quand vous parlez que quand vous chantez. La société est le premier des concerts,et vous y faites la première partie. Nous savons bien que nous ne jouirons plus de votre commerce dont nous avons senti tout le prix: les habitants des bords de notre lac ne sont pas faits pour être aussi heureux que ceux des bords de la Seine. Voici ce que notre petit coindes Alpes dit de vous: De Rossignol pourquoi porter le nom? Elle nous fuit, peut-être nous oublie. On ne le voit qu'une fois dans sa vie. C'est ainsi qu'on vous traite, mademoiselle; et quand vous reviendriez, vous n'y gagneriez rien :on: vous traiterait seulement de phénix qu'on auraitvu deux fois. Pour moi, quelque forte envie quej'aie de venir vous rendre mes hommages, il n'y a pas d'apparence que j'aille à Paris. Le rôle d'un homme de lettres y est trop ridicule, et celui de philosophe trop dangereux. Je m'en tiens à achever mon château, et ne veux plus en bâtir en Espa→ gne. Vraiment vous faites à merveille de me parler de M. de La Borde. Je sais que c'est un homme d'un vrai mérite et nécessaire à l'état. Sono pochissimi isignori de cette espèce,. Adieu, mademoiselle; recevez sans cérémonie Tes assurances de l'attachement très véritable de l'oncle et de la nièce. Nos compliments à monsieur Votre frère. CXXVIII. A MADEMOISELLE CLAIRON. Aux Délices, le 19 septembre 1760. Nous sommes trois que même ardeur excite, Également à vous plaire empressés ; L'un vous égale; et l'autre vous imite, Et le troisième avec moins de mérite Que quand c'est vous qui les faites entendre. Celui qui vous égale quelquefois, mademoiselle, c'est M. le duc de Villars, quand il daigne nous lire quelque morceau de tragédie. Celle qui vous imita parfaitement hier dans Alzire, c'est madame Denis; et le vieil ermite que vous embellissez, vous vous doutez bien qui c'est. Nous jouâmes hier Alzire devant M. le duc de Villars; mais nous devrions partir pour venir voir la divine Aménaïde. Si jamais les pays méridionaux de la France ont le bonheur de vous posséder quelque temps, nous tâcherons de nous trouver sur votre route, et de vous enlever. Nous avons un acteur haut de six pieds et un pouce (*), qui sera très propre à ce coup de main. Nous vous supplierons de nous informer du chemin que vous prendrez; car, par la première loi de cette ancienne chevalerie que vous faites réussir à Paris (**), il est dit expressément, qu'aucun chevalier ne violera jamais une infante sans le consentement d'icelle. Comptez que je suis navré de douleur de ne pouvoir jouer le premier rôle dans une telle aventure. Ne comptez pas moins sur l'admiration et le tendre attachement du Claironien et Antifreronien, V.... Madame Denis et toute la troupe se mettent aux pieds de leur modèle. (*) M. Pictet. (**) On jouait alors la tragédie de Tancrède. |