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A l'amant heureux et trompé
Qui t'avait consacré sa vie?
Le ciel ne te donnait alors,
Pour tout rang et pour tous trésors,
Que les agréments de ton âge; (a)
Un cœur tendre, un esprit volage,
Un sein d'albâtre et de beaux yeux.
Avec tant d'attraits précieux,
Hélas ! qui n'eût été friponne?
Tu le fus, objet gracieux!
Et, que l'Amour me le pardonne!
Tu sais que je t'en aimais mieux.
Ah! madame, que votre vie,
D'honneur aujourd'hui si remplie,
Diffère de ces doux instants!
Ce large suisse à cheveux blancs
Qui ment sans cesse à votre porte,
Philis, est l'image du Temps:
On dirait qu'il chasse l'escorte
Des tendres Amours et des Ris;
Sous vos magnifiques lambris,
Ces enfants tremblent de paraître.
Hélas! je les ai vus jadis
Entrer chez toi par la fenêtre,
Et se jouer dans ton taudis.

Non, madame, tous ces tapis
Qu'a tissus la Savonnerie, (*)
Ceux que les Persans ont ourdis,
Et toute votre orfévrerie,

Et ces plats si chers que Germain (**)
A gravés de sa main divine;

(*) La Savonnerie est une belle manufacture de tapis, 'établis par le Grand Colbert.

(**) Germain, excellent orfévre, dont il est parlé dans le Mondain et le Pauvre Diable.

(a)

Et ces cabinets où Martin (*)
A surpassé l'art de la Chine;
Vos vases japonais et blancs,
Toutes ces fragiles merveilles;
Ces deux lustres de diamants
Qui pendent à vos deux oreilles;
Ces riches carcans, ces colliers,
Et cette pompe enchanteresse,
Ne valent pas un des baisers
Que tu donnais dans ta jeunesse.

VARIANTE.

Que la douce erreur de ton âge;
Deux tétons que le tendre Amour
De ses mains arrondit un jour;
Un cœur simple, un esprit volage;
Un cul (j'y pense encor, Philis,)
Sur qui j'ai vu briller des lis
Jaloux de ceux de ton visage.

Avec autant, etc.

XXIX. A MADEMOISELLE DE LUBERT,

QU'ON APPELAIT MUSE ET GRAGE.

Le curé qui vous baptisa

1732.

Du beau surnom de Muse et Grâce,
Sur vous un peu prophétisa;

Il prévit que sur votre trace

Croîtrait le laurier du Parnasse
Dont La Suze se couronna,
Et le myrthe qu'elle porta,
Quand d'amour suivant la déesse,
Les tendres feux elle mêla

Aux froides ondes du Permesse.
Mais en un point il se trompa ;
Car jamais il ne devina,
Qu'étant si belle elle sera

() Martin, excellent vernisseur.

Ce que les sots appellent sage,
Et qu'à vingt ans et par-delà,
Muse et Grâce conservera
La tendre fleur du pucelage,
Fleur délicate qui tomba

Toujours au printemps du bel âge,
Et le ciel fit pour

que

cela.

Quoi! vous en êtes encor là!
Muse et Grâce, que c'est dommage!
Vous me répondez doucement
Que les neuf bégueules savantes,
Toujours chantant, toujours rimant,
Toujours les yeux au firmament,
Avec leurs têtes de pédantes,
Avaient peu de tempérament;
Et que leurs bouches éloquentes
S'ouvraient pour brailler seulement,
Et non pour mettre tendrement
Deux lèvres fraîches et charmantes
Sur les lèvres appétissantes
De quelque vigoureux amant.
Je veux croire chrétiennement
Ces histoires impertinentes;
Mais, ma chère Lubert, en cas
Que ces filles sempiternelles
Conservent pour ces doux ébats
Des aversions si fidèles,
Si ces déesses sont cruelles,
Si jamais amant dans ses bras
N'a froissé leurs gauches appas,
Si les neuf Muses sont pucelles,
Les trois Grâces ne le sont pas.

Quitter donc votre faible excuse,
Vos jours languissent consumés
Dans l'abstinence qui les use:

Un faux préjugé vous abuse.
Chantez, et, s'il le faut, rimez;
Ayez tout l'esprit d'une Muse;
Mais, si vous êtes Grâce, aimez.

XXX. A UNE DAME,
QU SOI-DISANT TELLE. (*) — 1732.
Tu commences par me louer,

Tu veux finir par me connaître.
Tu me loûras bien moins; mais il faut t'avouer
Ce que je suis, ce que je voudrais être. (a)
J'aurais vu, dans trois ans, passer quarante hivers.
Apollon présidait au jour qui m'a vu naître.
Au sortir du berceau j'ai bégayé des vers.
Bientôt ce dieu puissant m'ouvrit son sanctuaire:
Mon cœur, vaincu par lui, se rangea sous sa loi.
D'autres ont fait des vers par le désir d'en faire:
Je fus poëte malgré moi.

Tous les goûts à la fois sont entrés dans mon âme ;
Tout art a mon hommage, et tout plaisir m'enflamme.
La peinture me charme; on me voit quelquefois,
Au palais de Philippe, ou dans celui des rois,
Sous les efforts de l'art admirer la nature,
Du brillant Cagliari (**) saisir l'esprit divin,

(*) Cette pièce fut imprimée dans le Mercure de France, en 1732. Un Breton, nommé Desforges-Maillard, qui fesait assez facilement des vers médiocres, s'était amusé à insérer dans les journaux des pièces de vers sous le nom de mademoiselle Malcrais de La Vigne. Plusieurs poëtes célèbres lui répondirent par des galanteries. Cette facétie dura quelque temps. Piron employa cette aventure d'une manière très heureuse dans sa Métromanic. M. de Voltaire, en conservant sa pièce, en retrancha toutes les choses galantes qu'il adressait à mademoiselle Malcrais, et qu'elle méritait si peu. De tous les vers qu'elle a faits ou inspirés, ce sont les seuls qui soient restés.

(**) Paul Véronèse.

Et dévorer des yeux la touche noble et sûre
De Raphaël et du Poussin.

De ces appartements qu'anime la peinture,
Sur les pas du plaisir je vole à l'Opéra.

J'applaudis tout ce qui me touche,
La fertilité de Campra,

La gaîté de Mouret, les grâces de Destouche: (*)
Pélissier par son art, Le Maure par sa voix, (b)
Tour à tour ont mes vœux et suspendent mon choix.
Quelquefois, embrassant la science hardie
Que la curiosité

Honora par vanité

Du nom de philosophie,

Je cours après Newton dans l'abîme des cieux;
Je veux voir si des nuits la courrière inégale,
Par le pouvoir changeant d'une force centrale,
En gravitant vers nous s'approche de nos yeux,
Et pèse d'autant plus qu'elle est près de ces lieux,
Dans les limites d'un ovale.

J'en entends raisonner les plus profonds esprits,
Maupertuis et Clairault, calculante cabale:
Je les vois qui des cieux franchissent l'intervalle,
Et je vois trop souvent que j'ai très peu compris.
De ces obscurités je passe à la morale;

Jelis au coeur de l'homme, et souvent j'en rougis.
J'examine avec soin les informes écrits,
Les monuments épars, et le style énergique
De ce fameux Pascal, ce dévot satirique.
Je vois ce rare esprit trop prompt à s'enflammer ;
Je combats ses rigueurs extrêmes:

Il enseigne aux humains à se haïr eux-mêmes;
Je voudrais, malgré lui, leur apprendre à s'aimer.
Ainsi mes jours égaux, que les Muses remplissent,
Sans soins, sans passions, sans préjugés fâcheux,

(*) Musiciens agréables.

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