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Quarante-huit caractères font vingt-quatre syllabes, à deux lettres par syllabe; et douze syllabes forment un vers alexandrin; en ce cas il faut deux vers, mais il y a nécessairement des syllabes qui ont trois ou quatre lettres; ainsi la chose devient impossible.

Pour exprimer une pensée bonne ou mauvaise, il faut deux vers ou quatre; c'est ce qui rend notre langue très peu susceptible du style lapidaire qui demande une extrême précision: nos articles, nos verbes auxiliaires, joints à la gêne de nos rimes, font un effet souvent ridicule dans les inscriptions Un vers latin dit plus que quatre vers français; j'oserais proposer celui-ci en attendant qu'on en fasse

un meilleur.

Arte manus regitur, genius prælucet utrique.

L'art conduit la main, le génie les éclaire tous deux. Voilà toute la chirurgie exprimée en peu de

mots.

Si on voulait absolument une inscription en français, on pourrait mettre:

D'où partent ces soins bienfesants?

Ils sont d'un monarque et d'un père:
Il veille sur tous ses enfants,

Il les soulage et les éclaire.

Mais voilà quatre-vingt une lettres au lieu de quarante-huit. Il faudrait donc rendre les caractères de moitié plus petits, et alors l'inscription serait peut-être inlisible. Je trouverais cette inscription française assez passable; mais vous voyez que c'est une rude tâche de faire des vers à tant le pied, à tant le pouce.

Le pauvre malade vous est très tendrement et très inutilement attaché, à vous et à madame Dir neuf ans.

CLXXIX. A MONSIEUR VASSELIER, DE LYON, (*)

QUI AVAIT ENVOYÉ DES PETITS

POIS A

L'AUTEUR.

28 avril 1773.

La neige a de nós champs fait blanchir la verdure,

Et nous mangeons des petits pois!

Ainsi donc vous changez les lois.
De l'aveugle et triste nature.
Si jamais quelque potentat
Veut achever par la justice
De changer les lois de l'état,

Il nous rendra plus d'un service.

Vous m'envoyez, mon cher ami, non-seulement des petits pois et des artichaux, mais encore de jolis vers: je vous remercie des uns et des autres. Défaites-vous donc de votre goutte; il me semble que vous en êtes trop souvent attaqué. Pour moi j'ai tous les maux ensemble; sans cela je serais actuelle

ment avec vous.

CLXXX. A MADAME LA COMTESSE DU BARRI

20 juin 1773.

MADAME, monsieur de La Borde m'a dit que vous lai aviez ordonné de m'embrasser des deux côtés de votre part.

(*) Cette lettre manque à l'édition de Kehl

Quoi! deux baisers sur la fin de ma vie!
Quel passe-port vous daignez m'envover!
Deux! c'est trop d'un, adorable Egérie;
Je serais mort de plaisir au premier.

Il m'a montré votre portrait ; ne vous fâchez pas, madame, si j'ai pris la liberté de lui rendre les deux baisers.

Vous ne pouvez empêcher cet hommage,
Faible tribut de quiconque a des

yeux.
C'est aux mortels d'adorer votre image;
L'original était fait pour les dieux.

J'ai entendu plusieurs morceaux de la Pandore de M. de La Borde; ils m'ont paru bien dignes de votre protection. La faveur donnée aux véritables beaux-arts, est la seule chose qui puisse angmenter l'éclat dont vous brillez.

Daignez agréer, madame, le profond respect. d'un vieux solitaire, dont le cœur n'a presque plus d'autre sentiment que celui de la reconnaissance.

CLXXXI. A M. LE COMTE DE SCHOUVALOF.

A Ferney, 15 octobre 1773.

L'AMOUR, Épicure, Apollon,
Ont dicté vos vers que j'adore.
Mes yeux ont vu mourir Ninon;
Mais Chapelle respire encore.

Je ne reviens point, monsieur, de ma surprise que Chapelle ait perfectionné son style à Pétersbourg. Quelques Français me demandent pourquoi je prends le parti des Russes contre les Turcs? Je leur réponds que quand les Turcs auront une impératrice comme Catherine II, et qu'il y aura à la

Porte ottomane des chambellans comme M. le comte de Schouvalof, alors je me ferai turc; mais je ne puis être que grec tant que vous ferez des vers comme Théocrite. Il y a même dans votre épître une philo. sophie qu'on ne trouve ni dans Théocrite ni dans aucun des anciens poëtes grecs.

Profitez de votre printemps;
Chantez, baisez votre bergère;
Faites des vers et des enfants.
Ma triste Muse octogénaire.
Qui cède aux outrages du temps,
Doit vous admirer et se taire.

CLXXXII. A M. DE RUHLIÈRES.

8 auguste 1774.

Ja vous remercie, monsieur, de tout mon cœur. Placé entre votre Germanicus et votre Mécène, vous ne dédaignez pas même un vieux Allobroge qui ne se voit depuis plus de vingt ans qu'entre Zuingle et Calvin, et dont la mémoire n'est guère à Paris qu'entre Fréron et l'abbé Sabotier. Cependant j'aime toujours les bons vers passionnément, comme sij'étais Français, comme si je soupais quelquefois entre vous et M. de Champfort. Vous m'avez deux fois traité selon mon goût; la première, quand mon ami Thiriot m'euvoya.

<< Avez. vous par hasard connu feu monsieur d'Aube
Qu'une ardeur de dispute éveillait avant l'aube?»>

La seconde, quand vous m'avez gratifié vous. même de votre épître sur le grand art de savoirse passer de fortune.

Vous avez rendu respectables
Les bons vers et la pauvreté;
L'ignorance et la vanité

Osaient les croire méprisables.

Vous direz à présent comme Horace:

Pauperies immunda domús procul absit. Ego utrum
Nave ferar magná, an parvá ferar, unus et idem.

Votre épître est comme elle doit être, et la satire ur la dispute était comme elle devait être. L'une était à la Boileau, l'autre à la Chaulieu.

Il me semble qu'il se forme enfin un siècle: et pour peu que Monsieur s'en mêle, le bon goût subsistera en France. Je m'y intéresse comme sij'étais encore de ce monde. Je ressemble aux vieilles catins, qui ont toujours du goût pour leur premier métier.

Je ne savais pas que l'abbé Chappe eût été un philosophe si plaisant. J'ai son grand et gros livre, et j'ai pris son parti hardiment contre madame la princesse Sharkof ou Sarrefok, car je ne prononce pas les noms russes si bien que vous. Cette dame est pour le moins aussi plaisante que l'abbé Chap、 pe.

Le vieux malade de Ferney est pénétré pour vous de l'estime la plus vraie. Mais puisque vous dites que vous êtes avec respect mon très humble serviteur, pardieu, je suis le votre avec plus de respect encore,

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