Images de page
PDF
ePub

CLXXXIII. A M LA MARQUISE DU DEFFANT Le 2 décembre 1774

Vous me donnez, madame, une rude commission. Tout le monde fait aisément des noëls malins, parce que tout le monde les aime; mais on n'a jamais fait de noëls galants à la louange de personne, pas même à celle de la Sainte-Famille, dont tous les chrétiens sont convenus de se moquer à la fin de décembre. Cependant, pour satisfaire à votre étrange empressement, j'ai invoqué l'ombre de l'abbé Pellegrip; tenez, voilà des couplets qu'elle vous envoie. Elle vous recommande de taire l'auteur, non pas, hélas ! par les yeux de votre tête, mais par toute l'amitié, par le tendre attachement que le vieux Pellegrin a pour vous.

NOELS POUR UN SOUPER.

Jésus dans sa cabane

Voyant venir Choiseul,

Malgré le bœuf et l'âne,
Lui fesant grand accueil,

Dit: « Je fais avec toi

Un pacte de famille;
Tu sais garder ta foi,

Et moi

Je ne quitterai pas

Tes pas,

Pour chercher une fille. >>

Quand madame sa femme
Vint baiser le bambin,

Marie au fond de l'âme
Eut un peu de chagrin ;
Cette bonne lui dit:

[blocks in formation]

Quand on aura chanté ces trois plats couplets, on pourra chanter en chœur celui-ci qui n'est pas. moins plat:

Laissez paître vos bêtes,

Vous, messieurs, qui ne l'êtes pas;
A nos petites fêtes

Ne vous ennuyez pas.

Votre château

Est grand et beau,
Mais à Paris

Toujours chéris,

Faut-il ailleurs.

Gaguer des cours?

Laissez paître vos bêtes,

Vous, messieurs, qui ne l'êtes pas, etc.

CLXXXIV. AMM LA MARQUISE DU DEFFANT.

5 décembre 1774.

L'OMBRE de l'abbé Pellegrin m'est encore apparue

cette nuit, et m'a donné les deux couplets suivants,

sur l'air : Or dites-nous, Marie.

[ocr errors]

Trois rois dans la cuisine

Vinrent de l'orient;

Une étoile divine

Marchait toujours devant.

Cette étoile nouvelle

Les fit très mal loger;
Joseph et sa pucelle

N'avaient rien à manger.

Hélas! mes pauvres sires,
Pourquoi voyagez-vous?
Restez dans vos empires,
Ou soupez avec nous.
Si la cour vous ennuie,
Voyez nous quelquefois;
La bonne compagnie

Doit toujours plaire aux rois.

Mon cher abbé, lui ai-je dit, je reconnais bien, à votre style, l'auteur de ces fameux noëls:

Lisez la loi et les prophètes,
Profitez de ce qu'ils ont dit.
Quand on a perdu Jésus-Christ,

Adieu paniers, vendanges sont faites.

Mais après tout, vos couplets pour le souper de Saint-Joseph peuvent passer, parce que la bonne compagnie dont vous me parlez, et que vous ne connaissez guère, est indulgente. S'il y a quelque allusion dans les couplets de vos noëls, cette allusion ne peut être qu'agréable pour les intéressés, et ne peut choquer personne, pas même la sainte Vierge et son mari, qui ne se sont jamais piqués d'avoir à Bethleem le cuisinier du président Hénault. Mais surtout ne montrez pas vos noëls à l'ingé

nieux Fréron, qui a les petites entrées chez madame la marquise du Deffant, et qui ne manquerait pas de dire beaucoup de mal de son cuisinier et de son feseur de noëls, quoiqu'il ne se connaisse ni en bonne chère ni en bons vers.

CLXXXV. A MM LA MARQUISE DU DEFFANT. 8 décembre 1774.

NOELS SUR L'AIR: Or dites nous, Marie.

IL devait venir boire

Un jour à Saint-Joseph;
Mais au bord de la Loire,.

Il prit sa route en bref:

Tous les cœurs le suivirent,
Car il les avait tous;
En soupirant ils dirent:
Nous partons avec vous.

On pleurait en silence,
Quand femme et sœur partit;
Plus de chant, plus de danse,
Et surtout plus d'esprit:
Les voilà qui reviennent,

Tout change en un moment,
Que tous nos maux obtiennent

Un pareil changement.

AIR: Joseph est bien marie.

Rions tous en ce séjour,
On ne rit guère à la cour.
Goûtons le bon temps si rare
Que cette cour nous prépare:
On dit qu'il revient ce temps
Où tous les cours sont contents.

Aurore des jours heureux,
Répandez de nouveaux feux.

Le bonheur qui nous enchante
Se fletrit s'il ne s'augmente.
Il faut toujours ajouter

Aux biens qu'on a pu goûter.

On pourrait chanter ensuite:

Laissez paître vos bêtes,
Vous, messieurs, qui ne l'êtes pas ;

A nos petites fètes

Ne vous ennuyez pas.
Votre château, etc.

Quand on commande un pet-en-l'air à sa coutųrière, on lui dit bien intelligiblement comment on veut qu'il soit fait. Il fallait dire qu'on ne voulait dans des noëls ni crèche, ni Jésus, ni Marie, quoique tout cela oit essentiel. On doit savoir qu'en chansons, hors de l'Église point de salut. Personne ne pouvait deviner ce qu'on demandait. Les femmes sont despotiques, mais elles devraient au moins expliquer leurs volontés. Ces couplets-ci ne valent pas les premiers, il s'en faut bien. Cela ressemble à une fête de Vaux, mais cela est assez bon pour un piano-forté,'qui est un instrument de chaudronnier en comparaison du clavecin. Au reste, il ne faut pas s'imaginer que tous les sujets soient propres pour ces petits airs, ni qu'on puisse deviner à cent lieues l'à-propos du moment, surtout quand on a sur les bras l'affaire la plus cruelle, auprès de laquelle toutes les tracasseries de cour sont des

roses.

« PrécédentContinuer »