XLVII. AU PRINCE ROYAL DE PRUSSE.
Vous ordonnez que je vous dise
Tout ce qu'à Cirey nous fesons:
Ne le voyez-vous pas, sans qu'on vous en instruise ? Vous êtes notre maître, et nous vous imitons; Nous retenons de vous les plus belles leçons De la sagesse d'Epicure.
Comme vous, nous sacrifions A tous les arts, à la nature;
Mais de fort loin nous vous suivons. Ainsi, tandis qu'à l'aventure Le dieu du jour lance un rayon Au fond de quelque chambre obscure, De ses traits la lumière pure Y peint du plus vaste horison La perspective en miniature. Une telle comparaison Se sent un peu de la lecture Et de Kirker et de Newton. Par ce ton si philosophique, Qu'ose prendre ma faible voix, Peut-être je gâte à la fois La poésie et la physique. Mais cette nouveauté me pique; Et du vieux code poétique Je commence à braver les lois. Qu'un autre, dans ses vers lyriques, Depuis deux mille ans répétés, Brode encor des fables antiques, Je veux de neuves vérités. Divinités des bergeries, Naïades des rives fleuries,
Satyres, qui dansez toujours,
Vieux enfants, que l'on nomme Amours,
Qui faites naître en nos prairies De mauvais vers et de beaux jours, Allez remplir les hémistiches De ces vers pillés et postiches Des rimailleurs suivant les cours. D'une mesure cadencée
Je connais le charme enchanteur: L'oreille est le chemin du coeur. L'harmonie est son bruit flatteur Sont l'ornement de la pensée; Mais je préfère avec raison Les belles fautes du génie A l'exacte et froide oraison D'un puriste d'académie. Jardins plantés en symétrie, Arbres nains tirés au cordeau, Celui qui vous mit au niveau En vain s'applaudit, se récrie, En voyant ce petit morceau: Jardins, il faut que je vous fuie; Trop d'art me révolte et m'ennuie. J'aime mieux ces vastes forêts; La nature libre et hardie, Irrégulière dans ses trails, S'accorde avec ma fantaisie. Mais dans ce discours familier En vain je crois étudier Cette nature simple et belle; Je me sens plus irrégulier, Et beaucoup moins aimable qu'elle Accordez-moi votre pardon Pour cette longue rapsodie; Je l'écrivis avec saillie, Mais peu maître de mà raison, Car j'étais auprès d'Émilie.
XLVIII. AU PRINCE ROYAL DE PRUSSE,
AU NOM DE MADAME LA MARQUISE DU CHATELET, A QUIEL AVAIT DEMANDÉ ce qu'elle feSAIT A GIREY. ———
Un peu philosophe et bergère, Dans le sein d'un riant séjour, Loin des riens brillants de la cour, Des intrigues du ministère, Des inconstances del'amour, Des absurdités du vulgaire Toujours sol et toujours trompé, Et de la troupe mercenaire Par qui ce vulgaire est dupé, Je suis heureuse et solitaire; Non pas que mon esprit sévère Haïsse par son caractère Tous les humains également: Il faut les fuir, c'est chose claire, Mais non pas tous assurément. Vivre seule dans sa tannière Est un assez méchant parti, Et ce n'est qu'avec un ami Que la solitude doit plaire. Pour ami j'ai choisi Voltaire; Peut-être en feriez-vous ainsi. Mes jours s'écoulent sans tristesse; Et dans mon loisir studieux Je ne demandais rien aux dieux Que quelque dose de sagesse, Quand le plus aimable d'entre eux, A qui nous érigeons un temple, A, par ses vers doux et nombreux, De la sagesse que je veux, Donné les leçons et l'exemple.
Frédéric est le nom sacré
De ce dieu charmant qui m'éclaire; Que ne puis-je aller à mon gré Dans l'Olympe où l'on le révère ! Mais le chemin m'en est bouché. Frédéric est un dieu caché, Et c'est ce qui nous désespère. Pour moi, nymphe de ces côteaux, Et des prés si verds et si beaux, Enrichis de l'eau qui les baise; Soumise au fleuve de la Blaise, A mon mari, ne vous déplaise, Je reste parmi mes roseaux; Mais vous, du séjour du tonnerre Ne pourriez-vous descendre un peu ? C'est bien la peine d'être dieu
Quand on ne vient pas sur la terre!
XLIX. AU ROI DE PRUSSE FRÉDÉRIC-LE-GRAND,
EN RÉPONSE A UNE LETTRE DONT IL HONORA L'AUTEUR A SON' AVÉNEMENT A LA COURONNE. — -1740.
Quor! vous êtes monarque, et vous m'aimez encore! Quoi! le premier moment de cette heureuse aurore, Qui promet à la terre un jour si lumineux, Marqué par vos bontés, met le comble à mes vœux! O cœur toujours sensible! âme toujours égale! Vos mains du trône à moi remplissent l'intervalle. Citoyen couronné, des préjugés vainqueur, Vous m'écrivez en homme, et parlez à mon cœur. (a) Cet écrit vertueux, ces divins caractères,
Du bonheur des humains sont les gages sincères. Ah, prince! ah, digne espoir de nos cœurs captivés! Ah! régnez à jamais comme vous écrivez! Poursuivez, remplissez des voeux si maguanimes;
Tout roi jure aux autels de réprimer les crimes; Et vous, plus digne roi, vous jurez dans mes mains De protéger les arts, et d'aimer les humaius. Et toi(*), dont la vertu brilla persécutée,
Toi qui prouvas un Dieu, mais qu'on nommait athée, Martyr de la raison, que l'envie en fureur
Chassa de son pays par les mains de l'erreur, Reviens, il n'est plus rien qu'un philosophe craigne; Socrate est sur le trône; et la Vérité règne.
Cet or qu'on entassait, ce pur sang des états, Qui leur donne la mort en ne circulant pas, Répandu par ses mains, au gré de sa prudence, Va ranimer la vie, et porter l'abondance. La sanglante injustice expire sous ses pieds; Déjà les rois voisins sont tous ses alliés,
Ses sujets sont ses fils, l'honnête homme est son frère; Ses mains portent l'olive et s'arment pour la guerre. Il ne recherche point ces énormes soldats, Ce superbe appareil, inutile aux combats, Fardeaux embarrassants, colosses de la guerre, Enlevés (**) à prix d'or aux deux bouts de la terre: Il veut dans ses guerriers le zèle et la valeur, Et, sans les mesurer, juge d'eux par le cœur. Ainsi pense le juste, ainsi règne le sage:
Mais il faut au grand homme un plus heureux partage; Consulter la prudence, et suivre l'équité,
Ce n'est encor qu'un pas vers l'immortalité.
Qui n'est que juste est dur; qui n'est que sage est triste; Dans d'autres sentiments l'héroïsme consiste:
(*) Le professeur Volf, persécuté comme athée par les théologiens de l'université de Hall, chassé par Frédéric II, sous peine d'ètre pendu, et fait chancelier de la même université, à l'avénement de Frédéric III.
(**) Un de ces soldats, qu'on nommait Petit-Jean, avait été acheté vingt-quatre mille livres.
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