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complimens pour lui de votre part: cela fait transir. Jamais un homme n'a été si bien pleuré : Gourville a couronné tous ses fidèles services dans cette occasion ; il est estimable et adorable par ce côté de son cœur, au-delà de ce que j'ai jamais vu; il faut m'en croire. Je vous rebats un peu ce chapitre, c'est qu'en vérité j'en suis pleine; c'est une perte publique, et particulière pour nous. Adieu, ma chère bonne, je ne connois point de degré au-delà de l'inclination naturelle que j'ai pour vous.

LETTRE 613.

A la même.

à Paris, vendredi 29 Mars 1680.

Vous aviez bien raison de dire que j'entendrois parler de la vie que vous feriez en l'absence de M. de Grignan et de ses filles : cette vie est toute extraordinaire; vous vous êtes jetée dans un Couvent, vous savez qu'on ne se jette point à SainteMarie, c'est aux Carmelites qu'on se jette. Vous vous êtes donc jetée dans un Couvent, vous avez couché dans une cellule; je suppose que vous avez mangé de la viande, quoique vous ayez mangé au réfectoire : le médecin qui vous conduit ne vous auroit pas laissé faire une folie. Vous avez trèshabilement évité les récréations. Vous ne me dites rien de la petite d'Adhémar; ne lui avez-vous pas permis d'être dans un petit coin à vous regarder?

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La pauvre enfant! elle étoit bien heureuse de profiter de cette retraite.

J'étois avant-hier tout au beau milieu de la Cour; Madame de Chaulnes enfin m'y mena. Je vis Madame la Dauphine, dont la laideur n'est point du tout choquante, ni désagréable; son visage lui sied mal, mais son esprit lui sied parfaitement; elle ne fait et ne dit rien, qu'on ne voie qu'elle en a beaucoup. Elle a les yeux vifs et pénétrans; elle entend et comprend facilement toutes choses; elle est naturelle, et non plus embarrassée ni étonnée, que si elle étoit née au milieu du Louvre. Elle a une extrème reconnoissance pour le Roi, mais c'est sans bassesse; ce n'est point comme étant au-dessous de ce qu'elle est aujourd'hui, c'est comme ayant été choisie et distinguée dans toute l'Europe. Elle a l'air fort noble, et beaucoup de dignité et de bonté : elle aime les vers, la musique, la conversation; elle est fort bien quatre ou cinq heures toute seule dans sa chambre; elle est étonnée de l'agitation qu'on se donne pour se divertir; elle a fermé la porte aux moqueries et aux médisances : l'autre jour, la Duchesse de la Ferté voulut lui dire une plaisanterie comme un secret sur cette pauvre Princesse Marianne*, dont la misère est à respecter; Madame

* C'étoit la Princesse de Conti. On a vu ci-dessus, page 118, par les plaisanteries qu'on faisoit à son mari, de quelle sorte de misère il falloit la plaindre. Dans une pièce de vers, «'nu ton fort leste, qui lui avoit été demandée par le GrandCondé, Chaulieu disoit s'adressant au Dieu des jardins :

Viens répandre en ces lieux tes dous et ta vertu

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la Dauphine lui dit avec un air sérieux: Madame, je ne suis point curieuse. Mesdames de Richelieu, de Rochefort et de Maintenon me firent beaucoup d'honnêtetés, et me parlèrent de vous. Madame de Maintenon, par un hasard, me fit une petite visite d'un quart-d heure; elle me conta mille choses de Madame la Dauphine, et me reparla de vous, de votre santé, de votre esprit, du goût que vous avez l'une pour l'autre, de votre Provence, avec autant d'attention qu'à la rue des Tournelles : un tourbillon me l'emporta, c'étoit Madame de Soubise qui réntroit dans cette Cour au bout de ses trois mois, jour pour jour. Elle venoit de la campagne; elle a été dans une parfaite retraite pendant son exil; elle n'a vécu que du jour qu'elle est revenue. La Reine et tout le monde la reçut fort bien. Le Roi lui fit une très-grande révérence : elle soutint avec très-bonne mine tous les différens complimens qu'on lui faisoit de tous côtés.

M. le Duc me parla beaucoup de M. de la Rochefoucauld, et les larmes lui en vinrent encore aux yeux. Il y eut une scène bien vive entre lui et Madame de la Fayette, le soir que ce pauvre homme étoit à l'agonie; je n'ai jamais tant vu de larmes, ni jamais une douleur plus tendre et plus vraie; Sur un jeune Héros qu'un tendre hymen engage,

Qui, malgré son grand courage,

Nous paroît trop abattu.

N. B. La date de 1687 qu'on a donnée à cette pièce dans l'édition de Saint-Marc, est évidemment fausse, puisque le Prince de Conti étoit mort en 1685.

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il étoit impossible de n'être pas comme eux; ils disoient des choses à fendre le coeur ; je n'oublierai jamais cette soirée. Hélas, ma chère enfant, il n'y a que vous qui ne me parliez point encore de cette perte; ah! c'est où l'on connoît encore mieux l'hor rible éloignement: vous m'envoyez des billets et des complimens pour lu vous n'avez pas envie que je les porte sitôt. M. de Marsillac aura les lettres de M. de Grignan, avec le tems; il n'y eut jamais une affliction plus vive que la sienne : Madame de la Fayette ne l'a point encore vu: quand les autres de la famille sont venus la voir, ç'a été un renouvellement étrange. M. le Duc me parloit donc tristement là-dessus. Nous entendìmes, après - dîner, le sermon du Bourdaloue, qui frappe toujours comme un sourd, disant des vérités à bride abattue, parlant à tort et à travers contre l'adultère : sauve qui peut, il va toujours son chemin. Nous revînmes avec beaucoup de plaisir. Mesdames de Guénégaud et de Carman étoient des nôtres : je les assurai fort qu'à moins d'une Dauphine, j'étois servante, à mon âge et sans affaires, de ce bon pays-là.

Madame de Vins, qui vouloit savoir des nouvelles de mon voyage, vint hier dîner joliment avec moi; elle causa long-tems avec Corbinelli et la Mousse; la conversation étoit sublime et divertissante; Bussy n'y gâta rien. Nous allâmes faire quelques visites, et puis je la remenai. Je vis Mademoiselle de Méri qui ne veut plus du tout de son bail; elle s'en prend à l'Abbé, qui croyoit que

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Madame de Lassai étoit demeurée d'accord de tout: il se défend fort bien, et maintient que ce logement est fort joli : c'est une nouvelle tribulation. Vous n'êtes pas en état d'envisager votre retour, vous êtes encore trop battus de l'oiseau, comme disoit l'Abbé au reversis : j'espère qu'après quelques mois de repos à Grignan, vous changerez d'avis, et que vous ne trouverez pas qu'un hiver à Grignan soit une bonne chose à imaginer.

Pour mon fils, il est vrai que je trouve du courage; je lui dis et redis toutes mes pensées; je lui écris des lettres que je crois qui sont admirables; mais plus je donne de force à mes raisons, plus il pousse les siennes; et sa volonté paroît si determinée, que je comprends que c'est là ce qui s'appelle vouloir efficacement. Il y a un degré de chaleur dans le désir qui l'anime, à quoi nulle prudence ne peut résister: je n'ai pas sur mon cœur d'avoir préféré mes intérêts à sa fortune; je les trouverois tout entiers à le voir marcher avec plaisir dans un chemin où je le conduis depuis si long-tems. Il se trompe dans tous ses raisonnemens, il est tout de travers : j'ai tâché de le redresser avec des raisons toutes droites et toutes vraies, appuyées du sentiment de tous nos amis; et je lui dis enfin : Mais ne vous défiez-vous de rien, quand vous voyez que vous seul pensez une chose que tout le monde désapprouve? Il met l'opiniâtreté à la place d'une réponse, et nous revenons toujours à ménager qu'au moins il ne fasse pas un marché extravagant. Adieu, ma très-chère,

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