j'ignore comment vous vous portez ; je crains votre LETTRE 614. A la même. à Paris, mercredi 3 Avril 1,680. MA chère enfant, le pauvre M. Fouquet est mort, pas une * Gourville assure dans ses Mémoires qu'il sortit de prison avant sa mort, et Voltaire le tenoit de sa belle-fille Madame de Vaux. Mais Madame de Sévigné le croyoit mort à Pignerol, ainsi que tout le public. Ce qu'en dit Mademoiselle de Monipensier confirme l'opinion générale. peine de l'état où vous êtes? J'ai vu le petit Beaumont, vous pouvez penser, si je l'ai questionné ; quand je songeois qu'il n'y avoit que huit jours qu'il vous avoit vu, il me paroissoit un homme tout autrement estimable que les autres : il dit que vous n'étiez pas si bien, quand il est parti, que vous étiez cet hiver. Il m'a parlé de vos soupers, qu'il trouvoit très-bons; de vos divertissemens, de l'honnêteté de M. de Grignan et de la vôtre, du bon effet que Mesdemoiselles de Grignan faisoient pour soutenir les plaisirs, pendant que vous vous reposiez il dit des merveilles de Pauline et du petit Marquis; jamais je n'eusse fini la conversation la première; mais il vouloit aller à Saint-Germain, car il m'a vue avant le Roi son maître. Son grandpère a eu la charge (1) qu'a eu le Maréchal de Bellefond: il étoit très-intime ami de mon père, et au lieu de chercher des parens, comme on a coutume de faire, mon père le prit, sans autre mystère, pour nommer sa fille, de sorte que c'étoit mon parrain. J'ai extrêmement connu cette famille: je trouve le petit-fils fort joli, mais fort joli; vous avez bien fait de ne point lui parler de votre frère; je n'ai parlé de cette affaire qu'à ceux à qui mon fils en a parlé lui-même, pour tâcher de trouver des marchands. Je vous crois présentement à Grignan. Je vois avec peine l'agitation de vos adieux, je vois, au sortir de votre solitude, qui vous a paru si courte, (1) De premier Maitre-d'hôtel du Roi. TOME V I un voyage à Arles; autre mouvement; et je vois le voyage jusqu'à Grignan, où vous aurez peut-être retrouvé une bise pour vous recevoir dans l'état où vous êtes : ah! ce n'est point sans inquiétude pour une personne aussi délicate que vous, qu'on se représente toutes ces choses. Vous m'avez envoyé une relation d'Anfossi, qui vaut mieux que toutes les miennes; je ne m'étonne pas si vous ne pouvez vous résoudre à vendre une Terre où il se trouve de si jolies Bohémiennes ; il n'y eut jamais une plus agréable et plus nouvelle réception. Vous êtes, en vérité, si stoïcienne et si pleine de réflexions, que je craindrois de joindre les miennes aux vôtres, de peur que ce ne fût une double tristesse : mais ce qui me paroît sage et raisonnable, et digne de l'amitié de M. de Grignan, ce seroit de mettre tous ses soins à pouvoir revenir ici au mois d'Octobre. Vous n'avez point d'autre lieu pour passer l'hiver. Je ne veux pas vous en dire davantage présentement; les choses prématurées perdent leur force et donnent du dégoût. Il n'est plus question d'aucun grand voyage; on ne parle que de Fontainebleau. Vous aurez trèsassurément M. de Vendôme cette année. Pour moi, je cours en Bretagne avec un chagrin insurmontable; j'y vais, et pour y aller, et pour y être un peu, et pour y avoir été. Après la perte de la santé, que je mets toujours avec raison au premier rang, rien n'est si fâcheux que le mécompte et le dérangement des affaires : je m'abandonne donc à cette cruelle raison. Jugez de l'excès de mon chagrin, vous qui savez avec quelle inquiétude je souffre le retardement de deux heures des courriers; vous comprenez bien ce que je vais devenir, avec encore un peu plus de loisir et de solitude, pour donner plus d'étendue à mes craintes: il faut avaler ce calice, et penser à revenir pour vous embrasser; car rien ne se fait que dans cette vue; et me trouvant au-dessus de bien des choses, je me trouve infiniment au-dessous de celle-là: c'est ma destinée; et les peines qui sont attachées à la tendresse que j'ai pour vous, étant offertes à Dieu, font la pénitence d'un attachement qui ne devroit être que pour lui. Mon fils vient d'arriver de Douai, où il commandoit la Gendarmerie pendant le mois de Mars. M. de Pompone a passé le jour ici, il vous aime, et vous honore, et vous estime parfaitement. Ma résidence pour vous auprès de Madame de Vins, me fait être assez souvent avec elle, et, envérité, on ne peut être mieux. La pauvre Mme. de la Fayette ne sait plus que faire d'elle-même; la perte de M. de la Rochefoucauld fait un si terrible vide dans sa vie, qu'elle en comprend mieux le prix d'un si agréable commerce : tout le monde se consolera, hormis elle, parce qu'elle n'a plus d'occupation, et que tous les autres reprennent leur place. Mademoiselle de Scudéry est très-affligée de la mort de M. Fouquet; enfin, voilà cette vie qui a tant donné de peine à conserver : il y auroit beaucoup à dire là-dessus; sa maladie a été des convulsions et des maux de cœur, sans pouvoir vomir. Je m'attends au Chevalier pour toutes les nouvelles, et sur-tout pour celles de Madame la Dauphine, dont la Cour est telle que vous l'imaginez; vos pensées sont trèsjustes : le Roi y est fort souvent, cela écarte un peu la presse. Adieu, ma très-chère et très-aimable: je suis plus à vous mille fois que je ne puis vous le dire. LETTRE 615. A la même. à Paris, vendredi 5 Avril 1680. Vous m'écrivez une fort grande lettre de votre main; cela commence par me donner beaucoup d'inquiétudes, quand je pense au mal que cela vous fait. Vous m'avez tant promis de vous ménager, que je comptois un peu sur les paroles que vous m'en donniez. Mais je ne puis m'empêcher d'être persuadée que vous me tiendrez celle de venir me voir cet hiver, et je veux croire que nous avons déjà passé la moitié du tems que nous devons être séparées. J'admire comme il passe, ce tems, quoiqu'avec bien des inquiétudes et bien de l'ennui. Vous dites fort bien, il est quelquefois aussi bon de le laisser passer, que de vouloir le retenir. Pour moi, qui le jette, comme vous savez, et le pousse jusqu'à ce que vous soyez ici, j'en suis avare quand vous y êtes, et suis désespérée de voir passer les |