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faut l'auteur de l'univers pour raison de tout ce qui arrive; quand c'est à lui qu'il faut m'en prendre, je ne m'en prends plus à personne, et je me soumets : ce n'est pourtant pas sans douleur, ni tristesse, mon cœur en est blessé; mais je souffre même ces maux, comme étant dans l'ordre de la Providence. Il faut qu'il y ait une Madame de Sévigné qui aime sa fille avec une extrême passion; qu'elle en soit souvent très éloignée, et que les souffrances les plus sensibles qu'elle ait dans cette vie, lui soient causées par cette chère fille. J'espère aussi que cette Providence disposera les choses d'une autre manière, et que nous nous retrouverons, comme nous avons déjà fait. Je dînai l'autre jour avec des gens qui, en vérité, ont bien de l'esprit, et qui ne m'ôtèrent point cette opinion.

Mais parlons plus communément, et disons que c'est une chose rude que de faire six mois de retraite pour avoir vécu cet hiver à Aix: si cela servoit à la fortune de quelqu'un de votre famille, je le souffrirois; mais vous pouvez compter qu'en ce pays-ci, vous serez trop heureuse, si cela ne vous nuit pas. L'Intendant ne parle que de votre magnificence, de votre grand air, de vos grands repas : Madame de Vins en est toute étonnée, et c'est pour avoir cette louange que vous auriez besoin que l'année n'eût que six mois; cette pensée est dure de songer que tout est sec pour vous jusqu'au mois de Janvier. Vous n'entendrez pas parler de la dépense de votre bâtiment, n'y pensez plus; c'est une chose si

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nécessaire, que j'avoue que sans cela, l'hôtel de Carnavalet est inhabitable. Je me réjouirai avec le Berbisi (1) de l'occasion qu'il a eue de vous faire plaisir. J'ai été ravie de votre joli couplet; quoi que vous disiez de Montgobert, je crois que vous n'y avez point nui, comme cet homme, vous en souvient-il (2)? Il est, en vérité, fort plaisant ce couplet vous avez cru que je le recevrois dans mes bois; je suis encore dans Paris, mais il n'en fera pas plus de bruit : je le chanterai sur la Loire, si je puis desserrer mon gosier qui n'est pas présentement en état de chanter. Je vous avouerai que j'ai grand besoin de vous tous ; je ne connois plus, ni la musique, ni les plaisirs ; j'ai beau frapper du pied, rien ne sort qu'une vie triste et unie, tantôt à ce faubourg, tantôt avec les sages veuves. M. de Grignan m'est bien nécessaire, car j'ai un coin de folie qui n'est pas encore mort.

Je vous ai parlé de la Princesse de Tarente, comme si j'avois reçu votre lettre : je vous ai conté le mariage de sa fille : écrivez-lui, elle en sera fort aise, vous lui devez cette honnêteté; elle s'est toujours piquée de vous estimer et de vous admirer: elle vient à Vitré, elle me fera sortir de ma simplicité, pour me faire entrer dans son amplification; je n'ai jamais vu un si plaisant style. Elle (1) M. de Berbisi, Président à mortier au Parlement de Dijon, et proche parent de Madame de Sévigné.

(2) Madame de Sévigné rappelle ici le conte de ce paysan, qui étant accusé en Justice d'être le père d'un enfant, assura qu'un autre l'avoit fait, mais qu'à la vérité il n'y avoit pas nui.

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amusa le Roi l'autre jour dans une promenade, en lui contant tout ce que je vous conterai, quand je serai aux Rochers; voilà les nouvelles que vous recevrez de moi : mais aussi vous pourrez vous vanter qu'il ne se passera rien en Allemagne, ni en Danemarck, dont vous ne soyez parfaitement instruite.

Montgobert m'a mandé des merveilles de Pauline, faites - m'en parler; c'est une petite fille charmante, c'est la joie de toute votre maison. Mademoiselle du Plessis ne m'en fera point souvenir, ne vous ai-je pas dit qu'elle est affligée de la mort de sa mère ? mais j'ai de bons livres et de bonnes pensées. Ne craignez point que j'écrive trop: je vous ai donné l'idée de la délicatesse de ma poitrine. Je vous recommande la vôtre; faites - moi écrire si vous aimez ma vie ; profitez du tems et du repos que vous avez; amusez-vous à vous guérir tout-à-fait ; mais il faut que vous le vouliez, et c'est une étrange pièce que votre volonté. Celle de vos musiciens étoit bonne à ténèbres mais vous les décriez, tantôt des musiciens sans musique, et puis une musique sans musiciens: j'admire la bonté de M. le Comte de souffrir que vous en parliez si librement.

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Je viens de recevoir une grande visite de votre Intendant, sa serrure étoit bien brouillée, mais je n'ai pas laissé d'attraper qu'il vous honore fort : il m'a loué votre magnificence; il dit que vous ètes toujours belle, mais triste et si abattue, qu'il

est aisé de voir que vous vous contraignez. Il est charmé de M. de Berbisi, que je remercierai, quoique je sache bien que votre recommandation est la seule cause des services qu'il lui a rendus. Je doute que cet Intendant retourne en Provence. J'ai eu tant d'adieux que j'en suis étonnée; vos amies, les miennes, les jeunes, les vieilles, tout a fait des merveilles. La maison de Pompone et Madame de Vins me tiennent bien au cœur. L'Abbé Arnauld arriva hier tout à propos pour me dire adieu. Pour Madame de Coulanges, elle s'est signalée, elle a pris possession de ma personne, elle me nourrit; elle me mène, et ne veut pas me quitter qu'elle ne m'ait vu pendue. Mon fils vient à Orléans avec moi, je crois qu'il viendroit volontiers plus loin.

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Madame la Dauphine est présentement à Paris pour la première fois la messe à Notre-Dame, dîner au Val-de-Grâce, voir la Duchesse de la Vallière, et point de Bouloi (1), je crois qu'elles se pendront. On fait tous les jours des fètes pour Madame la Dauphine. Madame de Fontanges, revient demain. Voyez un peu comme ce Prieur de Cabrières est venu redonner cette belle beauté à la Cour, Le petit de la Fayette a un régiment : vous voyez que M. de la Rochefoucauld n'a pas (1) C'est-à-dire, que Madame la Dauphine n'iroit point aux Carmelites de la rue du Bouloi.

* On a vu que ces Religieuses s'étoient beaucoup trop mèlées des tracasseries de la Cour. Elles ménageoient des entrevues entre la Reine et Madame de Montespan, etc. Le Roi d'un mot avoit fait cesser leur petite importance.

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emporté l'amitié de M. de Louvois : mais que veuxje conter, avec toutes ces nouvelles ? C'est bien à moi, qui monte en carrosse, à me mêler de parler. Adieu, ma chère enfant, il faut vous quitter encore, j'en suis affligée : je serai long-tems sans avoir de vos lettres, c'est une peine incroyable; du moins si je pouvois espérer que vous conserverez votre santé, ce seroit une grande consolation dans une si terrible absence.

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LETTRE 624.

A la même.

à Orléans, mercredi 8 Mai 1680. Nous voici arrivés sans aucune aventure considérable : il fait le plus beau tems du monde : les chemins sont admirables: notre équipage va bien : mon fils m'a prêté ses chevaux, et m'est venu conduire jusqu'ici. Il a fort égayé la tristesse du voyage; nous avons causé, disputé et lu, nous sommes dans les mêmes erreurs, cela fournit beaucoup. Notre essieu rompit hier dans un lieu merveilleux, nous fûmes secourus par le véritable portrait de M. de Sotenville; c'est un homme qui feroit les Géorgiques de Virgile, si elles n'étoient déjà faites, tant il sait profondément le ménage de la campagne : il nous fit venir sa femme, qui est assurément de la maison de la Prudoterie, où le ventre ennoblit (1). Nous fûmes deux heures avec (1) Voyez la Scène IV du premier Acte de George Dandin, Comédie de Molière,

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