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tout ce que vous me dites; mais c'est pour entendre vos raisons qu'on vous en parle. Je me doutai que la mort de cette mère de Madame de Dreux vous frapperoit l'imagination : je me repentis de vous l'avoir écrite, mais j'en étois si pleine moi-même, qu'il n'y avoit pas moyen de m'en taire.

Vous croirez peut-être, sur ce que je vous ai dit que vous aviez trop d'esprit, que je vais disant une sottise, qui seroit d'assurer, comme une buse, que ma fille est malade parce qu'elle a trop d'esprit : ah! vraiment je ne dis point de ces fadaises-là. Je vous ai écrit ce que j'en pense tout bonnement, et cela demeure entre nous; c'est que l'on cause sur cela, comme on fait avec Madame de la Fayette de sa santé; elle avoue tout franchement qu'elle ne songe qu'à se rendre bête, en ôtant de son esprit autant de pensées que l'on tâche ordinairement d'y en mettre : elle ne dispute point que son esprit ne lui fasse du mal, ainsi que toute sorte d'application; elle s'exempte de tout : je vous souhaiterois sur cela comme elle. L'affaire de M. de Luxembourg s'est, comme vous voyez, assez bien tournée. On vous envoie son Intendant * à Marseille sera une chose bien nouvelle pour lui que l'habit dégingandé de galérien, après avoir passé sa vie sous un chapeau de castor avec le manteau noir sur les épaules: enfin il est condamné; il a fait amende

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* Bonard qui, d'accord avec le Sage, ou trompé par ce mauvais Prêtre, avoit engagé son maître dans certaines machinations prétendues diaboliques contre une fille nommée Dupin,

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DE MADAME DE SÉVIGNÉ. 189 honorable, mais il a justifié son maître : tout ce que l'on peut dire là-dessus, c'est que c'est assurément un très-bon ou très- mauvais valet; il n'y a pas moyen de me contester ce discours. Il y auroit extrêmement à causer, à raisonner, à admirer sur tout cela.

Je lis mon petit livre de la Réunion du Portugal; je vous l'enverrois si j'étois dans votre continent; mais il me semble que je ne suis plus à portée de rien. Cette histoire est écrite en italien par un Gentilhomme Génois, nommé Codestage, homme de grande réputation *, et c'est un ami du Cardinal d'Estrées et de Madame de la Fayette qui l'a traduite; elle se laisse lire en perfection. Adieu, ma très-belle et très-aimable, voilà ma lettre de Provence achevée, elle sait bien se faire céder la place; j'irai faire tantôt des billets chez nos Soeurs. Vos lettres me servent d'entretien, d'un ordinaire à l'autre ; c'est vous qui me parlez, et c'est moi qui vous embrasse mille fois avec une tendresse qui ne peut se représenter.

* Cet ouvrage parut en italien sous le nom de Conestagio, dans l'année 1585. Mais on assure que le véritable auteur est D. Jean de Sylva Comte de Portalegro, qui avoit, comme Ambassadeur Espagnol, suivi le Roi de Portugal Emmanuel en Afrique. Ce livre est curieux. Lenglet ne donne point le nom du traducteur François.

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LETTRE 629.

A la même.

à Nantes, lundi 20 Mai 1680.

Il y a huit jours que je suis ici : je ne m'y amuse pas, assurément. Nous allons demain à la Seilleraie ce lieu est devenu tout joli depuis que vous n'y avez été : je n'y coucherai point : j'y mène une jeune fille qui me plaît, c'est une Agnès, au moins à ce que je pensois, et j'ai trouvé tout d'un coup qu'elle a bien de l'esprit, et une envie immodérée d'apprendre ce qui peut servir à être une personne honnête, éclairée et moins sotte qu'on ne l'est en Province; elle m'en a touché le cœur: sa mère est une dévote ridicule. Cette fille a fait de son Confesseur tout l'usage qu'on peut en faire; c'est un Jésuite qui a beaucoup d'esprit : elle l'a prié d'avoir pitié d'elle; et son esprit est tellement débrouillé, qu'elle n'est ignorante sur rien. Tout cela est caché sous un beau visage, sous une modestie extrême, sous une timidité naturelle, sous une jeunesse de dixsept ans. Je n'ai jamais vu ni mieux chanter, ni mieux entendre les airs de l'opéra. Elle est parente du Premier-Président, alliée de M. d'Harouïs : je voudrois bien qu'elle fût à la place de Mademoiselle du Plessis pour jusqu'à la Toussaint seulement; elle voudroit bien aussi que sa mère me ressemblât.

LETTRE 630.

A la même.

à Nantes, samedi 25 Mai 1680.

EN N attendant vos lettres, je m'en vais un peu vous entretenir. J'espère que vous aurez reçu une si grande quantité des miennes, que vous serez guérie pour jamais des inquiétudes que donnent les retardemens de la poste. Pour moi, ma trèschère, il me semble qu'il y a six mois que je suis ici, et que le mois de Mai n'a point de fin. Vous souvient-il des fantaisies qui vous prenoient quelquefois de trouver qu'il y a des mois qui ne finissent point du tout? Je n'étois point de cet avis quand j'étois avec vous; ma douleur étoit de voir courir le tems trop vite. Me voilà dans l'admiration du joli mois de Mai; que n'ai-je point fait ? que n'ai-je point vu? que n'ai-je point rêvé? et j'arriverai encore aux Rochers, avant qu'il finisse. Mon fils avoit fort envie que nous allassions à Bodégat, où effectivement nous avons beaucoup d'affaires; mais il désireroit sur-tout que j'allasse chez Tonquedec : comme je ne suis point si touchée de cette visite, je la diffère jusqu'au tems où je serai peut-être obligée d'aller à Rennes pour voir M. et Madame de Chaulnes. Je m'en vais présentement aux Rochers, où je ferai venir tous mes gens de Bodégat. Vous allez me demander si personne ne pouvoit agir ici pour moi; je vous dirai que non : il a fallu ma

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présence et le crédit de mes amis; cela m'a un peu consolée, joint au plaisir de passer une partie de mes après-dîners avec mes pauvres Filles de SainteMarie. Je leur ai fait prêter un livre dont elles sont charmées; c'est la fréquente (1): mais c'est le plus grand secret du monde. Je vous prie de lire la seconde partie du second Traité du premier tome des Essais de morale, je suis assurée que vous le connoissez, mais vous ne l'avez peut-être pas remarqué, c'est de la soumission à la volonté de Dieu. Vous voyez comme il nous la représente souveraine, faisant tout, disposant de tout, réglant tout, je m'y tiens : voilà ce que j'en crois; et si, en tournant le feuillet, ils veulent dire le contraire pour ménager la chèvre et les choux, je les traiterai sur cela comme ces ménageurs politiques **; ils ne me feront pas changer, je suivrai leur exemple, car ils ne changent pas d'avis pour changer de note.

Nous fûmes dîner l'autre jour à la Seilleraie, comme je vous avois dit : mon Agnès fut ravie d'être de cette partie, quoiqu'il n'y eût que le bon Abbé et l'Abbé de Bruc : elle a dix-neuf ans, mon Agnès, et n'est pas si simple que je pensois; elle a plus que le désir d'apprendre, elle sait assez de choses;

(1) Le livre de la fréquente Communion, de M. Arnauld.

* C'est par lui que commença cette guerre qu'il soutint toute sa vie contre les opinions Jésuitiques. Un tel livre, surtout à cette époque, étoit une véritable contrebande pour des Religieuses.

** On sourit de voir Madame de Sévigné accusant les Jansénistes de Jésuitiser.

c'est

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