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n'en sort point. Nous arrivâmes à Rennes la veille de l'Ascension; cette bonne Marbeuf vouloit m'avaler, et me loger, et me retenir; je ne voulus ni souper, ni coucher chez elle le lendemain, elle me donna un grand déjeûner - dîner, où le Gouverneur, et tout ce qui étoit dans cette Ville, vint me voir. Nous partîmes à dix heures, et tout le monde me disant que j'avois trop de tems, que les chemins étoient comme dans cette chambre, car c'est toujours la comparaison; ils étoient si bien comme dans cette chambre, que nous n'arrivâmes ici qu'après minuit, toujours dans l'eau; et de Vitré ici, où j'ai été mille fois, nous ne les reconnoissions pas; tous les pavés sont devenus impraticables, les bourbiers sont enfoncés, les hauts et bas, plus haut et bas qu'ils n'étoient ; enfin, voyant que nous ne voyions plus rien, et qu'il falloit tâter le chemin, nous envoyons demander du secours à Pilois; il vient avec une douzaine de gars; les uns nous tenoient, les autres nous éclairoient, avec plusieurs bouchons de paille, et tous parloient si extrêmement breton, que nous pâmions de rire. Enfin, avec cette illumination, nous arrivâmes ici, nos chevaux rebutés, nos gens tout trempés, mon carrosse rompu, etnous assez fatigués; nous mangeâmes peu, nous avons beaucoup dormi; et ce matin nous nous sommes trouvés aux Rochers, mais encore tout gauches et mal rangés. J'avois envoyé un Jaquais, afin de ne pas retrouver ma poussière depuis quatre ans; nous sommes au moins proprement.

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Nous avons été régalés de bien des gens de Vitré, des Récollets, Mademoiselle du Plessis en larmes de sa pauvre mère; et je n'ai senti de joie, que lorsque tout s'en est allé à six heures, et que je suis demeurée un peu de tems dans ce bois avec mon ami Pilois. C'est une très-belle chose que ces allées. Il y en a plus de dix que vous ne connoissez point. Ne craignez pas que je m'expose au serein; je sais trop combien vous en seriez fâchée. Vous me dites toujours que vous vous portez bien, Montgobert le dit aussi; cependant je trouve que la pensée de vous plonger deux fois le jour dans l'eau du Rhône, ne peut venir que d'une personne bien échauffée; je vous conseille, au moins, ma chère enfant, de consulter un auteur fort grave, pour établir l'opinion probable que le bain soit bon à la poitrine. Je fus témoin du mal visible que vous firent les demi-bains; c'étoit pourtant de l'avis de Fagon. Vous avez eu besoin d'avoir de la force pour soutenir l'excès de monde que vous avez eu : vingt personnes d'extraordinaire à table font mal à l'imagination. Voilà ce que Corbinelli appeloit des trains qui arrivoient; il se trouvoit pressé dans la galerie, et ne saluoit, ni ne connoissoit personne: en vérité, votre hôtellerie est toute des plus fréquentées; c'est un beau débris que celui qui se fait dans ces occasions. Vous souvient-il, ma fille, quand nous avions ici tous ces Fouesnels, et que nous attendions avec tant d'impatience l'heureux et précieux moment de leur départ? quel adieu gai

nous leur faisions intérieurement; quelle crainte qu'ils ne cédassent aux fausses prières que nous leur faisions de demeurer; quelle douceur et quelle joie, quand nous en étions délivrés; et comme nous trouvions qu'une mauvaise compagnie étoit bien meilleure qu'une bonne, qui vous laisse affligée, quand elle part; au lieu que l'autre vous rafraîchit le sang, et vous fait respirer d'aise : vous avez senti ce délicieux état. Je vous gronderois de m'avoir écrit une si grande lettre de votre écriture, sans que j'ai compris que cela vous étoit encore moins mauvais que de soutenir la conversation. Celle de M. de Louvois avec M. de Vardes a fait du bruit: on me la mande de Paris, et qu'il quitta les Grignan et les Montanègre pour cet exilé. On croit qu'il y a quelqu'Ambassade en campagne, dont ses enfans sont fort effrayés par la crainte de la dépense. Je vois pourtant que M. de Grignan a été fort bien traité de ce Ministre; ce voyage ne pouvoit pas s'éviter il a encore plus coûté à Montanègre (1). Je trouve bien honnête et bien noble de ne point avoir paru fâché de son dîné perdu ; je ne sais comment on peut donner de ces sortes de mortifications à des gens qui jettent de l'argent, et qui se mettent en pièces pour vous faire honneur.

* M. de Louvois avoit passé en Provence, allant négocier et signer le traité par lequel le Duc de Mantoué céda Casal à la France. Le Marquis de Boufflers en prit possession le 30 septembre 1631.

(1) M. de Montanègre commandoit en Languedoc comme M. de Grignan en Provence.

Madame de Coulanges me mande que Madame de Maintenon a perdu une canne contre M. le Dauphin; c'est Madame de Coulanges qui l'a fait faire: la pomme est une grenade d'or et de rubis; la couronne s'ouvre, on voit le portrait de Madame la Dauphine, et au-dessous, il più grato nasconde. Clément avoit fait autrefois cette devise pour vous; ce qui paroissoit une exagération à votre égard, est une vérité toute faite pour cette Princesse. Cette belle Fontanges est toujours assez mal. Mon fils dit qu'on se divertit fort à Fontainebleau. Les comédies* de Corneille charment toute la Cour. Je mande à mon fils que c'est un grand plaisir d'être obligé d'y être, et d'y avoir un maître, une place, une contenance; que pour moi, si j'en avois une, j'aurois fort aimé ce pays-là; que ce n'étoit que par ne point en avoir que je m'en étois éloignée; que cette espèce de mépris étoit un chagrin, et que je me vengeois à en médire, comme Montaigne de la jeunesse; que j'admirois qu'il aimât mieux passer son après-dîner, comme je fais, entre Mademoiselle du Plessis et Mademoiselle de Launaie, qu'au milieu de tout ce qu'il y a de beau et de bon.

Ce que je dis pour moi, ma belle, vraiment je le dis pour vous; ne croyez pas que si M. de Grignan et vous, étiez placés comme vous le méritez, vous ne vous accommodassiez pas fort bien de cette vie: mais la Providence ne veut pas que vous ayez

* On appela long-tems du nom générique de comédies toutes les pièces de théâtre gaies ou sérieuses.

d'autres grandeurs que celles que vous avez. Pour moi, j'ai vu des momens où il ne s'en falloit rien que la fortune ne me mît dans la plus agréable situation du monde; et puis tout d'un coup, c'étoient des prisons et des exils (1). Trouvez-vous que ma fortune ait été fort heureuse? je ne laisse pas d'en être contente, et si j'ai des momens de murmure, ce n'est point par rapport à moi. Vous me peignez fort agréablement la conduite des regards de Madame D....; c'est une économie envers ses amans qui seroit digne d'Armide. Vous vous doutiez bien que M. Rouillé (2) ne retourneroit pas : j'en suis fàchée, et le serois encore plus, si je ne croyois vos séjours de Provence finis. Ainsi vous aurez peu d'affaires avec lui; s'il y avoit quelque chose à démêler dans l'Assemblée, M. le Coadjuteur vous en rendroit bon compte, en l'absence de M. de Grignan.

Dimanche 2 Juin.

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Cette hôtellerie est bien différente de la vôtre; sous prétexte d'écrire, je n'ai vu que mes bois. J'ai lu cette Réunion du Portugal, qui m'a fort plu. Je n'ai pas encore choisi de lecture. Il pleut continuellement; quand la Princesse seroit à Vitré, je

(1) Madame de Sévigné entend parler sans doute de l'exil de M. de Bussy, chef de sa Maison, et de la prison de M. de Fouquet, son intime ami.

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Ajoutez l'exil des Arnauld, et plus anciennement la prison et les traverses du Cardinal de Retz, son parent et sou ami.

(1) Intendant de Provence.

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