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ces divers personnages, je fais des réflexions sur toutes ces choses dans mes bois. Je vois avec quelque sorte de consolation que personne n'est content dans ce monde : ce que tu vois de l'homme, n'est pas l'homme. Si j'avois quelqu'un pour m'aider à philosopher, je pense que je deviendrois une de vos écolières. Je m'en vais prendre quelque livre pour essayer de faire usage de ma raison : je ne prendrai pas votre père Sénault; où allez-vous chercher cet obscur galimatias *? Que ne demeurez-vous dans les droites simplicités de votre père (Descartes)? Il me faudra toujours quelque petite histoire; car je suis grossière, comme votre frère : les choses abstraites vous sont naturelles, comme elles nous sont étrangères. Ma fille, pour être si opposées dans nos lectures, nous n'en sommes pas moins bien ensemble; au contraire, nous sommes une nouveauté l'une à l'autre. Je m'en vais prier Dieu qu'il me donne son Saint-Esprit, car je ne me charge guère de demander en détail : Fiat voluntas tua sicut in cœlo et in terra: Devroit-on dire autre chose? Quand je fais des reproches au petit Mar quis, c'est pour avoir le plaisir de songer que je le fais répondre brusquement; je n'ai point l'idée que rien le touche plus joliment que cet endroit ; il n'est que trop sage et trop posé, il faut le secouer par des plaintes injustes.

* Jugement sévère ! « Le père Senault (dit Voltaire) est » compté parmi les premiers restaurateurs de l'éloquence. II >> fut pour Bourdaloue ce que Rotrou fut pour Corneille ».

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LETTRE 635.

A la même.

Aux Rochers, mercredi 12 Juin 1680.

COMMENT! j'ai donc fait un sermon sans y penser! J'en suis aussi étonnée que M. le Comte de Soissons, quand on lui découvrit qu'il faisoit de la prose*. Il est vrai que je me sens assez portée à faire honneur à la grâce de J. C. Je ne dis point, comme la Reine-Mère dans l'excès de son zèle contre ces misérables Jansénistes: Ah! fi, fi de la grâce. Je dis tout le contraire, et je trouve que j'ai de bons garans. Puisque vous m'avez dit vos visions sur le sujet de la fortune de vos beaux-frères, je vous dirai sincèrement que j'avois peur que l'air d'une maison où l'on parle quelquefois de cette divine grâce, ne fît tort à l'Abbé de Grignan; Dieu merci, je n'ai point fait de mal, non plus que vous; et si je me tais maintenant, comme je le dois et le veux faire, ce ne sera plus par la crainte de nuire à personne. Vos jeunes Prélats ne sont point du tout soupçonnés de cette hérésie. Je viens d'écrire au Chevalier, il m'a parfaitement oubliée; comme il n'est point Grignan sur la paresse, son oubli tire à conséquence. C'est aujourd'hui, ma fille, que l'on commence votre grand bâtiment; du But fera des

* Il est singulier que Molière eût été chercher dans un grand Seigneur la plus plaisante des âneries qu'il prête à son Bourgeois Gentilhomme.

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merveilles pour presser les ouvriers; il n'a pas été possible de commencer plutôt, il y aura assez de

tems.

Je vous envoie un billet de Madame de Lavardin, où vous verrez ce qu'elle pense. Je serois tentée de vous envoyer une grande lettre de Madame de Mouci, où elle prend plaisir de me conter tout ce qu'elle fait pour cette noce; elle me choisit plutôt qu'une autre, pour me faire part de sa conduite: elle a raison, ce second tome est digne d'admiration pour ceux qui ont lu le premier. Elle prend plaisir à combler M. de Lavardin de ses générosités, par l'usage qu'elle fait du souverain pouvoir qu'elle a sur sa mère. Elle a fait donner mille louis pour des perles; elle a fait donner tous les chenets, les plaques, chandeliers, tables et guéridons d'argent qu'on peut souhaiter; les belles tapisseries, les beaux vieux meubles, tout le beau linge et robes de chambres du marié, qu'elle a choisis. Son cœur se venge par les bienfaits; sans elle, c'étoit une noce de village; elle a fait donner des terres considérables; et pour comble de biens, elle fera qu'ils ne logeront point avec Madame de Lavardin. Cette mère est impérieuse, et d'une exactitude sur les heures, qui ne convient point à de jeunes gens. Madame de Mouci m'étale avec plaisir toute sa belle âme, et j'admire par quels tours et par quels arrangemens il faut qu'elle serve au bonheur de M. de Lavardin. L'envie d'être singulière, et d'étonner par des procédés non communs, est, ce me

semble, la source de bien des vertus. Elle me mande que si j'étois à Paris, elle seroit contente, parce que je l'entendrois; que personne ne comprend ce qu'elle fait, qu'au reste, je pâmerois de rire, de voir les convulsions de Madame de Lavardin, quand, par la puissance de l'exorcisme, elle fait sortir de chez elle le démon de l'avarice. Madame de Lavardin en demeure toute abattue, comme ces filles de Loudun *; je comprends que c'est une assez plaisante scène. La Marquise d'Huxelles m'écrit aussi fort agréablement. Ces veuves font des merveilles. Madame de Coulanges m'assure qu'elle part le 20 pour Lyon; elle me mande mille bagatelles. Cette ville va devenir la source de ce qu'il y aura de plus particulier à la Cour : mais pensezvous qu'elle veuille leur donner de cette bonne marchandise?

Il vint ici l'autre jour un Augustin indigne, trèsindigne, à qui je ne répondis sur ses magnifiques ignorances, (car il avoit un ton de prédicateur) qu'avec un cotal riso amaro; et comme il continuoit, je me sentis extrêmement tentée de lui jeter un livre à la tête. Je crois que c'est ainsi que

* Allusion à l'Histoire des Diables de Loudun. On sait que la haine farouche du Cardinal de Richelieu, les manœuvres du Capucin Joseph et la cruauté du Juge Laubardemont firent périr dans les flammes le malheureux Curé Urbain Grandier, comme convaincu du crime de magie, et cela sur la déposition d'Astaroth, Diable de l'ordre des Séraphins et chef des Diables possédans, d'Eusas, de Cham, d'Acaos, de Zabulon Nephtaïm, d'Uriel et d'Acas, de l'ordre des Principautés. . . Ce sont les termes de l'arrêt.

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Madame de Coulanges répondra aux Dames de Lyon. Vous aurez le petit Coulanges; il a renoncé à M. de Chaulnes et à la Bretagne pour Lyon et pour Grignan. Je serois bien de cet avis, ma trèschère; un de mes grands désirs seroit de m'y trouver avec vous tous : ah! que j'aimerois à souper à Rochecourbières, et que la musique de M. de Grignan, et ces beaux endroits de l'opéra qui me font toujours rougir les yeux, et cent fois répétés par vos échos, me feroient un véritable plaisir ! c'est, en vérité, une fort jolie partie. Vous êtes une trèsbonne et grande compagnie; c'est une ville que le château de Grignan. Il est vrai qu'à voir nos établissemens et nos humeurs, il semble que l'on ait fait un quiproquo. Cependant, à notre honneur, vous vous accommodez de votre place souveraine, exposée, brillante, la pauvre femme ! et moi, de ma médiocre fortune, de mon obscurité et de mes bois. C'est qu'en vérité je sais bien d'où tout cela vient; il faut lever les yeux, après les avoir tenus long-tems à terre.

L'autre jour on vint me dire : « Madame, il fait » chaud dans le mail, il n'y a pas un brin de »vent; la lune y fait des effets les plus plaisans du » monde ». Je ne pus résister à la tentation ; je mets mon infanterie sur pied; je mets tous les bonnets, coiffes et casaques qui n'étoient point nécessaires; je vais dans ce mail, dont l'air est comme. celui de ma chambre, je trouve mille coquesigrues, des moines blancs et noirs, plusieurs religieuses

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