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digne de ma fille; elle ne mettroit pas la main sur un livre qu'elle n'en fût contente: on ne sait auquel entendre. J'ai pris les Conversations chrétiennes ; elles sont d'un bon Cartésien qui sait par cœur votre recherche de la vérité, qui parle de cette philosophie et du souverain pouvoir que Dieu a sur nous; de sorte que nous vivons, nous nous mouvons et nous respirons en lui, comme dit Saint Paul, et c'est par lui que nous connoissons tout. Je vous manderai si ce livre est à la portée de mon intelligence; s'il n'y est pas, je le quitterai humblement, renonçant à la sotte vanité de contrefaire l'éclairée quand je ne le suis pas. Je vous assure que je pense comme nos frères ; et si j'imprimois, je dirois : je pense comme eux. Je sais la différence du langage politique à celui des chambres enfin, Dieu est tout-puissant, et fait tout ce qu'il veut, j'entends cela, il veut notre coeur, nous ne voulons pas le lui donner, voilà tout le mystère. N'allez pas révéler celui de nos filles de Nantes; elles me mandent qu'elles sont charmées de ce livre (1) que je leur ai fait prêter. Vous me faites souvenir de cette sottise queje répondis pour ne pas aller chez Madame de Bret..... * que je n'avois qu'un fils ; cela fit trembler vos Prélats. Je pensois qu'il n'y eût en gros

(1) Voyez la Lettre du 25 Mai.

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* C'est apparemment Madame de Bretonvilliers, que les Mémoires du tems font connoître comme amie trop officieuse de l'Archevêque de Paris, de Harlai, qui n'étoit pas Prélat aussi timoré que Moliniste rigoureux.

que le mauvais air de mon hérésie, je vous en parlois l'autre jour; mais je comprends que cette parole fut étrange. Dieu merci, ma chère Comtesse, nous n'avons rien gâté, vos deux frères ne seroient pas mieux jusqu'à présent, quand nous aurions été Molinistes. Les opinions probables, ni la direction d'intention dans l'hôtel de Carnavalet, ne leur auroient pas été plus avantageuses que tout le libertinage de nos conversations. J'en suis ravie, et j'ai souvent pensé à toute l'injustice qu'on pourroit nous faire là-dessus. Je ne comprends rien du tout à M. de la Trousse, ni à Madame d'Epinoi, ni à ce laquais qui a volé; je me ferai instruire, et vous enverrai la lettre. Vous verrez que cette bonne Lavardin est toute désolée; qui pourroit s'imaginer qu'elle ne fût pas transportée de marier son fils (1)? C'est pour les sots ces sortes de jugemens; tenonsnous-en à croire fermement que personne n'est heureux. Ce petit Chiverni me le paroît assez; voyez comme il a bien su se tirer de sa misère. Votre pauvre frère est bien propre à n'être jamais heureux en ce monde-ci : quant à l'autre, s'il en faut juger selon les apparences, je ne vois point jusqu'à présent qu'il soit dans le bon chemin. M. de Châlons est dans le ciel; c'étoit un saint Prélat et un honnête homine: nous voyons partir tous nos pauvres amis.

Je mandois l'autre jour à Madame de Vins que je lui donnois à deviner quelle sorte de vertu jo (1) Voyez la Lettre précédente.

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mettois ici le plus souvent en pratique, et je lui disois que c'étoit la libéralité. Il est vrai que j'ai donné d'assez grosses sommes depuis mon arrivée: un matin, huit cents francs; l'autre mille francs; l'autre cinq; un autre jour, trois cents écus : il semble que ce soit pour rire, ce n'est que trop une vérité. Je trouve des métayers et des meûniers qui me doivent toutes ces sommes, et qui n'ont pas un unique sou pour les payer: que fait-on! il faut bien leur donner. Vous croyez bien que je n'en prétends pas un grand mérite, puisque c'est par force mais j'étois toute prise de cette pensée en écrivant à Madame de Vins, et je lui dis cette folie. Je me venge de ces banqueroutes sur les lods et ventes. Je n'ai pas encore touché ces six mille francs de Nantes : dès qu'il y a quelque affaire à finir, cela ne va pas si vite. Je vis arriver l'autre jour une belle petite fermière de Bodégat, avec de beaux yeux brillans, une belle taille une robe de drap de Hollande, découpé sur du tabis, les manches tailladées : Ah, Seigneur ! quand je la vis, je me crus bien ruinée; elle me doit huit mille francs. M. de Grignan auroit été amoureux de cette femme, elle est sur le moule de celle qu'il a vue à Paris. Ce matin, il est entré un paysan avec des sacs de tous côtés, il en avoit sous ses bras, dans ses poches, dans ses chausses; car en ce pays c'est la première chose qu'ils font que de les délier; ceux qui ne le font pas sont habillés d'une étrange façon: la mode de boutonner le justaucorps par en bas n'y

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est point encore établie; l'économie est grande sur l'étoffe des chausses; de sorte que depuis le bel air de Vitré jusqu'à mon homme, tout est dans la dernière négligence. Le bon Abbé, qui va droit au fait, crut que nous étions riches à jamais : Ah, mon ami! vous voilà bien chargé, combien apportez-vous? Monsieur, dit-il, en respirant à peine, je crois qu'il y a bien ici trente francs : c'étoient tous les doubles de France qui se sont réfugiés dans cette Province avec les chapeaux pointus, et qui abusent ainsi de notre patience.

Vous m'avez fait un grand plaisir de parler de Montgobert: je crus bien que ce que je vous mandois sur son sujet étoit inutile, et que votre bon esprit auroit tout apaisé. C'est ainsi que vous devez toujours faire, ma fille, malgré tous les chagrins passagers : le fond de Montgobert est admirable pour vous; le reste est un effet du tempérament indocile et trop brusque : je fais toujours un grand honneur aux sentimens du coeur; on est quelquefois obligé de souffrir les circonstances et dépendances de l'amitié, quoiqu'elles ne soient pas agréables. J'enverrai un de ces jours à Montgobert de méchantes causes à soutenir à Rochecourbières : puisqu'elle a ce talent, il faut l'exercer. Vous aurez M. de Coulanges qui sera un grand acteur; il vous contera ses espérances; je ne les sais pas : il craint tant la solitude qu'il ne veut pas même écrire aux gens qui y sont. Grignan est tout propre à le charmer; il en charmeroit bien d'autres : je n'ai jamais

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vu une si bonne compagnie, elle fait l'objet de mes désirs : j'y pense sans cesse dans mes allées, et je relis vos lettres en disant, comme à Livry : Voyons et revoyons un peu ce que ma fille me disoit il y a huit ou neuf jours; car enfin, c'est elle qui me parle, et je jouis ainsi de cet art ingénieux de peindre la parole, et de parler aux yeux, etc. Vous savez bien que ce n'est pas les bois des Rochers qui me font penser à vous; je n'en suis pas moins occupée au milieu de Paris; c'est le fond et le centre; tout passe, tout glisse, tout est par-dessus ou à côté. J'ai oublié mon Agnès; elle est pourtant jolie; son esprit a un petit air de Province. Celui de Madame de Tarente est encore dans le grand air. Les chemins de Vitré ici sont devenus si impraticables, qu'on les fait raccommoder par ordre du Roi et de M. de Chaulnes ; tous les paysans de la Baronnie y seront lundi. Adieu, ma très-chère : quand je vous dis que mon amitié vous est inutile, ne comprenez-vous point bien comme je l'entends, et où mon cœur et mon imagination me portent ? Pensez-vous que je sois bien contente du peu d'usage que je fais de tant de bonnes intentions? Dites-moi si vous ne mettrez point la petite d'Aix avec sa tante (1), et si vous ôterez Pauline d'avec vous : c'est un prodige que cette petite, son esprit est sa dot; voulez-vous la rendre une personne toute commune?

) Marie-Adhemar de Monteil, sœur de M. de Griguan, Religieuse à Aubenas, ville du Bas-Vivarais. Voyez la Lettre du g Juin.

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