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vous, ma très-chère, et reposez-vous en me parlant ; cela me fait un bien que je ne puis vous dire. Je donne à examiner cette question à Rochecourbières, si cette joie que j'ai de ne guère voir de votre écriture, est une marque d'amitié ou d'indifférence. Je recommande cette cause à Montgobert (1); c'est que je suis toujours charmée de la confiance, et c'en est une que de croire fermement que j'aime mieux votre repos que mon plaisir, qui devient une peine, dès que je me représente l'état où vous met cette écritoire.

Je fais ici des promenades qui me font sentir l'amertume de votre absence, plus tristement encore que vous ne pouvez sentir la mienne au milieu de votre république; car assurément la compagnie de Grignan est si bonne et si grande, qu'elle doit vous donner plus de dissipation que le milieu de Paris. Votre petit bâtiment est achevé; on vous en mandera des nouvelles. En voulez-vous savoir de Mme. de la Hamélinière (2)? elle a été ici sept jours entiers, elle ne partit qu'hier, après que j'eus pris ma médecine. J'envie bien les chevaux gris qu'elle fit paroître dans ma cour : la familiarité de cette femme est sans exemple; elle s'en retourne chez M. le Marquis de la Roche-Giffard, d'où elle venoit; elle a son équipage; elle ne parle que de lui. Votre bon cousin ne laisse pas de l'adorer, et d'adorer aussi M. le Marquis. On parleroit long-tems là-dessus 97

(1) Voyez la Lettre du 15 Juin.
(2) Voyez la Lettre précédente.

les choses singulières me réjouissent toujours. Je vous assure que je fus fort touchée du plaisir de voir partir ce train; j'étois dans mon lit, mais je fus très - bien instruite du bruit du départ; je ne souhaite point qu'il me vienne d'autres visites: j'ai mille petites choses à faire, et j'ai à lire, car il ne faut point parler de lire avec cette compagnie-là. Je m'en vais reprendre mes conversations (1) toutes pleines de votre père. Mais une bonne fois, ma trèschère, mettez un peu votre nez dans le livre de la Prédestination des Saints, de Saint Augustin, et du don de la persévérance : c'est un fort petit livre, il finit tout. Vous y verrez d'abord comme les Papes et les Conciles renvoient à ce Père, qu'ils appellent le Docteur de la grâce: ensuite les lettres de Prosper et d'Hilaire, où il est fait mention des difficultés de certains Prêtres de Marseille, qui disent tout comme vous; ils sont nommés Sémipélagiens (2). Voyez ce que Saint Augustin répond à ces deux lettres, et ce qu'il répète cent fois. Le onzième chapitre du don de la persévérance me tomba hier sous la main, lisez-le, et lisez tout le livre, il n'est pas long; c'est où j'ai puisé mes erreurs ; je ne suis pas seule, c'est ce qui me console.

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Je serois fort heureuse dans ces bois, si j'avois une feuille qui chantât: ah, la jolie chose qu'une feuille qui chante! et la triste demeure qu'un bois

(1) Voyez la Lettre du 15 Juin.

(2) Le Concile d'Orange, tenu en 529, condamua les erreurs des Semipélagiens.

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où les feuilles ne disent mot, et où les hiboux prennent la parole ! je suis une ingrate, ce n'est que les soirs, et j'y entends mille oiseaux tous les matins. Vous n'en avez point où vous êtes, et vous ne faites qu'observer, comme vous disiez l'autre jour, de quel côté vient le vent; votre terrasse doit être une fort belle chose : j'y suis souvent avec vous tous, et mon imagination sait bien où vous trouver dans cette belle et grande Principauté.

Il me paroît que mon fils est à Fontainebleau, sans être à la Cour. On me mande de plusieurs endroits qu'il est toujours dans une grande, grande maison, où il paroît qu'il se trouve bien, puisqu'il n'en sort point. Vous savez que ce n'est pas ainsi qu'on fait sa cour; on ridiculise cette conduite fort aisément. Voilà le voyage de Flandre assuré; si les Dauphins (les Gendarmes) y vont, c'est une dépense à quoi on ne s'attendoit pas.

Le Chevalier m'a écrit une très-bonne et honnête lettre. J'ai fait réparation à M. d'Evreux ; je n'ai plus rien à demander à ces Grignans-là : pour l'aîné, c'est une autre affaire; tant qu'il aura ma fille si loin de moi, j'aurai toujours bien des choses à démêler avec lui. Il me semble que vous devez avoir maintenant M. l'Archevêque, et que vous êtes plus disposée que jamais à jouir de cette bonne et solide compagnie. Vous voilà donc privée de celle de M. Rouillé; vous le regretterez; mais ce n'est plus votre affaire, du moment que le Lieutenant - Général cède la place au Gouverneur

{ M. de Vendôme). Je sens présentement le plaisir de voir le Coadjuteur à la tête de cette assemblée avec un nouveau Gouverneur et un nouvel Intendant; il y fera des merveilles, et cela me paroît de la dernière importance pour vous. L'étoile est changée, le sort est rompu pour les Grignans, et peutêtre pour l'aîné; ni bonheur, ni malheur, rien n'est de longue durée en ce pays-là ; j'en excepte les prisonniers et les exilés, qui sont hors du commerce.

Madame de Vins m'écrit qu'elle a un plaisir sensible du cercle que nous faisons; vous lui parlez de moi, elle vous en parle ; je lui parle de vous, elle m'en parle : ainsi nous tournons autour d'elle; elle me dit cela fort agréablement. Elle est à Pompone, où elle apprend la philosophie de votre père. Le hasard a fait que Corbinelli, par moi, leur a donné un homme admirable pour enseigner le droit au fils aîné : cet homme sait tout, c'est un esprit lumineux, c'est une humeur et des mœurs à souhait : ils sont charmés de cet homme cette belle Marquise en fait son profit: elle est bien heureuse d'être aussi raisonnable qu'elle est, et de n'être point sujette à se pendre. Madame de Mouci me mande qu'elle est persuadée que Madame de Lavardin ne s'accommodera jamais avec les jeunes gens : elle les attendoit ce jour-là ils revenoient de la Cour : elle étoit toute troublée de ce dérangement, c'est qu'elle est toute renfermée en elle-même : je connois une autre mère qui ne se compte pour guère; elle a raison, et qui est

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toute transmise à ses enfans, et ne trouve de vraie douceur que dans sa famille : cette mère, en vérité, aime bien parfaitement sa chère fille : ce partage n'est pas à la mode de Bretagne. On me mande que M. de Chiverni, qui est Clermont, afin que vous ne vous y trompiez pas, sera dans deux ans un des plus grands Seigneurs de France: c'est ainsi que la fortune se joue. Je ne sais plus ce qu'est devenu le mariage de M. de Molac; je suis fort aise qu'ils n'aient point eu cette petite de Pompone; ils l'auroient assommée pour lui apprendre à devenir la fille d'un disgracié. Dieu vous conserve les bonnes et solides pensées qu'il vous donne : vous parlez si sagement de tous les plaisirs et de tout ce qui n'est point en votre puissance, que la philosophie chrétienne n'en sait pas davantage : j'en connois de plus misérables (1). Vous êtes, en vérité, et bien aimable, et bien estimable, et bien aimée, et bien estimée.

(1) Dernier vers du fameux Sonnet de Job, par Benserade, dont Madame de Sévigné se fait l'application.

* C'est ce sonnet, qui ayant paru en même-tems que celui de Voiture à Uranie, divisa toute la Cour en deux partis, qu'on nommoit les Jobelins et les Uranins. Les Uranins étoient en fort petit nombre, et avoient pour chef Madame de Longueville.

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