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tout ce que vous dites en cet endroit, en faisant les honneurs de vos lettres, et croyant que c'est une menace de m'assurer de leur continuation, est si peu sincèrè, que j'aurois fort envie de vous en gronder; et le joli tour que vous y donnez, ne vous garantiroit pas de mes reproches, si je ne voulois vous dire que celle que vous écrivez à mon fils m'a fort réjouie. La netteté du commencement m'a représenté nos folies, et la beauté des vers m'a fait regretter que vous n'ayez pas continué tout de bon. Si vous avez suivi ce dessein, faites-nous en part; ces deux vers latins que vous expliquez sont fort justes, et en un mot nous estimons et vos vers et votre prose, et tout ce qui vient de votre esprit. Mon fils est toujours votre adorateur, ma fille vous admire et vous estime au dernier point; je prétends que vous savez comme je suis pour vous, et que vous voyez clairement qu'il n'y a point de famille où l'on fasse plus de justice à votre mérite. Vous la faites à M. de Carcassonne, en le louant comme vous faites. Le pauvre Chevalier est ici depuis six semaines, accablé de son rhumatisme; il reçoit plusieurs visites de gens emmanchés de toutes les façons; ceux qui le sont à gauche, font voir au moins que leur goût est droit. Vous nous avez renvoyé M. de Noailles en très-mauvais état t;

de son esprit, assez pour entretenir avec lui une correspondance. Cependant on remarque avec un peu d'étonnement qu'il ne soit point fait mention de cet homme intéressant dans aucune des lettres précédentes.

I

il a un dévoiement si considérable, qu'il semble qu'il ait mangé lui seul tout ce qu'il a dépensé à Montpellier; enfin, il a été contraint de quitter le bâton, ce bâton l'objet de son amour, ce bâton qu'il est revenu prendre de si loin, ce bâton qui fait la récompense de tous les autres services.: il faut croire qu'il est bien mal, quand il le donne lui-même à M. de Luxembourg. Vous m'en dites beaucoup de bien en me parlant de la distinction et de l'épanouissement qu'il a eu pour vous: ję voudrois que sa générosité l'eût obligé de rendre à notre ami chagrin la visite qu'il lui a faite *. N'est-ce pas vous à qui j'ai entendu dire qu'il faut respecter les malheureux? il ne faut pas douter que cela n'ait augmenté le chagrin. Je le plains infiniment de l'avoir laissé prendre possession de son âme, et d'avoir surmonté la philosophie même chrétienne; mais je le plains encore plus, si votre cœur est encore fermé pour lui; un ami comme

* Anne Jules, Duc de Noailles, avoit été nommé pour commander en Languedoc, dont le Duc du Maine, encore dans la première jeunesse, venoit d'ètre fait Gouverneur. On se préparoit à y détruire le calvinisme. D'accord avec l'Intendant d'Aguesseau, père du célèbre Chancelier, Noailles essaya pendant quelque tems d'engager la Cour à l'emploi des moyens modérés ; et dans l'exécution même des mesures rigoureuses, il montra d'abord quelque humanité, mais il devint ensuite un des plus violens exécuteurs des dragonades, et ses dépêches, concertées avec Louvois, ne cessèrent d'exciter le Roi à des rigueurs dont il se repentit trop tard.

Il paroit ici qu'il n'avoit pas cru pouvoir, dans la place qu'il occupoit, rendre une visite à M. de Vardes alors exilé, et que Madame de Sévigué désigne sous le nom de l'ami chagrin.

vous seroit une véritable consolation dans tous ses maux. Notre ami (Corbinelli) est tout occupé ici de ses affaires, il y fait des merveilles, il est devenu le meilleur Avocat de Paris, et cette qualité lui est survenue pêle-mêle avec la perruque et le brandebourg; de sorte qu'on auroit plus deviné de le prendre pour un Capitaine de cavalerie, que pour un homme d'affaires. Voilà comme l'extérieur nous trompe. Si M. de Vardes ne l'avoit point jeté dans cette sorte d'occupation, sa reconnoissance et son inclination le menoit droit à vous; son cœur est toujours dans la perfection de toutes les vertus morales; elles seront chrétiennes quand il plaira à cette chère Providence que nous adorons toujours: il me paroît qu'elle vous traite bien par les sentimens qu'elle vous donne. Adieu, mon cher Mónsieur : nous aurions bien des choses à dire, ce sera peut-être quelque jour, que sait-on? Notre ami a fait son petit pot à part pour vous écrire : tant pis pour lui; il ne saura point que je me donne le plaisir de vous assurer ici de ma sincère et fidèle amitié.

LETTRE 684.

Madame DE SÉVIGNÉ au Comte DE BUSSY *. à Paris, ce 10 Janvier 1681.

JE E trouve plaisant que nous nous soyons réveillés chacun de notre côté. Je crois que c'est le même jour; et que nos lettres se sont croisées. J'ai remarqué que cela arrive souvent. Mais, mon Cousin, vous me mandez une chose étrange, je n'eusse jamais deviné le tiers qui est entre nous. Pensez-vous que l'on puisse estimer les lettres que vous avez mises dans ce que vous avez envoyé? Toute mon espérance, c'est que vous les avez raccommodées. Croyez-vous aussi que mon style, qui est tout plein d'amitié, ne se puisse point mal interpréter? Je n'ai jamais vu de lettres entre les mains d'un tiers qu'on ne pût tourner sur un méchant ton, et ce seroit une grande injustice à la naïveté et à l'innocence de notre ancienne amitié. Je serois ravie de voir tout cela mais le moyen? Je suis assurée, quoi que je dise, que vous n'avez rien fait que de bien, et c'en est un fort grand que de divertir un tel homme, et d'être en commerce avec lui. Pour moi, je crois qu'une Dame de mes anciennes amies, qui est tous les jours deux heures dans son cabinet, pourroit bien lire avec lui vos Mémoires, et vous seriez heureux, du goût et de l'esprit qu'elle a, d'être en si bonne main. Que sait-on ce que la Providence nous garde?

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* Cette Lettre est la réponse à celle de Bussy. Voyez ci-dessus page 441.

Je me réjouis que Madame..... ait donné une belle terre à notre heureuse veuve. Elle vous rend heureux aussi par la douceur de son amitié et de son fidèle attachement auprès de vous. C'est une créature bien estimable, et que j'estime infiniment aussi. Embrassez-la pour moi, et recevez tous les deux les amitiés et les complimens de ma fille. Elle voudroit bien que vous revinssiez, pendant qu'elle est ici. Sa santé est d'une délicatesse qui fait trembler ceux qui l'aiment. Adieu, mon cher Cousin. Notre ami est ici toujours tout à vous. Nous vous écrirons ensemble. Dites-nous toujours des nouvelles de votre commerce (avec le Roi).

LETTRE 685.

Дu même.

à Paris, ce 3 Avril 1681.

FAISONS la paix, mon pauvre Cousin. J'ai tort, je ne sais jamais faire autre chose que de l'avouer. On dit que ma Nièce ne se porte pas trop bien. C'est qu'on ne peut pas être heureuse en ce monde : ce sont des compensations de la Providence, afin que tout soit égal, ou qu'au moins les plus heureux puissent comprendre par un peu de chagrin et de douleur, ce qu'en souffrent les autres qui en sont accablés.

Je vous ai souhaité un lot à la loterie, pour commencer à rompre la glace de votre malheur. Cela se dit-il? Vous me le manderez; car je ne puis

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