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CHAPITRE XLIV.

Renversement de la Constitution et Règne des trente Tyrans à Athènes.

DEJA 20 années de guerre ont désolé l'Attique; une peste, non moins destructive, en a enlevé la plus grande partie des habitans, et plongé le reste dans tous les vices; Périclès n'est plus; et Alcibiade, fugitif depuis la malheureuse expédition de Sicile, après avoir dirigé quelque temps la ligue du Péloponèse contre son pays, est maintenant retiré auprès de Tisaphèrnes Satrape de Lydie.

Lå, touché des malheurs dont il fut en partie P'instrument, il commence à tourner les yeux vers sa patrie. De leur côté les citoyens d'Athènes, accablés sous le poids de leurs calamités, ayant à lutter à la fois contre toutes les forces du Péloponèse et de l'Asie, ne voyoient de ressource que dans le génie de leur illustre compatriote. On entama donc des négociations avec Alcibiade, mais celui-ci, banni par le peuple, refusa de retourner à Athènes, à moins qu'on ne changeât la forme du gouvernement, en substituant l'oligarchie à la constitution démocratique. Le tyran vouloit faire sa couche avant de s'y reposer.

Une prompte réconciliation, à quelque prix que ce fût, étoit devenue d'une nécessité absolue.

* Il y avoit eu une trêve qui devoit durer 50 ans, et qui fut rompue au bout de six ans et dix mois.

Agis, avec les forces Lacédémoniennes, bloquoit Athènes par terre et occupoit les campagnes voisines, dont les habitans s'étoient réfugiés dans la capitale. D'un autre côté l'armée Athénienne tenoit l'île de Samos, qu'elle venoit d'emporter. De manière que les habitans de l'Attique se trouvoient divisés en deux parties: l'une servant aux expéditions du dehors, l'autre demeurée à la défense de la ville.

La proposition d'Alcibiade, malgré ces circonstances calamiteuses, ne passa pas sans une forte opposition de la part du peuple et des soldats ; mais, comme il ne restoit que ce seul moyen d'échapper à une ruine presqu'inévitable, il fallut enfin se soumettre et consentir à l'abolition de la démocratie.

Alors commencèrent à Athènes les scènes tragiques, qui se renouvellèrent bientôt après sous les Trente Tyrans. On ne sauroit se figurer une position plus affreuse que celle de cette malheureuse cité, ni qui ressemblât davantage à l'état de la France, durant le règne de la convention. Attaquée au dehors par mille ennemis, et prête à succomber sous des armes étrangères, une aristocratie dévorante vint consumer au dedans le reste de ses habitans. D'abord il fut décrété, qu'il n'y auroit plus que les soldats et cinq mille citoyens à prendre part aux affaires de la république, et, pour faire perdre à jamais l'envie de s'opposer aux mesures des conjurés, on se hâta de dépêcher tous ceux qui passoient pour être attachés à l'ancienne constitu

tion. Le peuple et le Sénat s'assembloient encore, mais si quelqu'un osoit délivrer une opinion contraire à la faction, il étoit immédiatement assassiné. Environnés d'espions et de traîtres, les citoyens craignoient de se communiquer; le frère redoutoit le frère, l'ami se taisoit devant l'ami, et le silence de la terreur régnoit sur la ville désolée.

Ayant établi cette tyrannie provisoire, les conspirateurs procédèrent à l'achèvement d'une constitution. On nomma un comité des Dix, chargé de faire incessamment un rapport à ce sujet. Celuici, à l'époque fixée, donna son plan, qui consistoit à établir un conseil de Quatre Cens avec un pouvoir absolu, et le droit de convoquer les Cinq Mille à sa volonté.

On jugea par le premier acte du nouveau gouvernement ce qu'on devoit attendre de sa justice. Les Quatre Cens, armés de poignards et suivis de leurs satellites, entrèrent au Sénat dont ils chassèrent les membres. Ils renversèrent ensuite les anciens établissemens, firent massacrer ou exilèrent les ennemis de leur despotisme; mais ils ne rappellèrent aucun des anciens bannis, dont ils avoient d'abord embrassé la cause, soit dans la crainte d'Alcibiade, soit pour jouir des biens de ces infortunés. Je me figure le monde comme un grand bois, où les hommes s'entr'attendent pour se dévaliser.

Cependant l'armée, en apprenant les troubles d'Athènes, se déclara contre la nouvelle constitution. Alcibiade, que les tyrans avoient négligé,

qui ne soucioit ni de la démocratie, ni de l'aristocratie, et n'entretenoit pour les hommes qu'un profond mépris, ne se trouva pas plus disposé à favoriser les conspirateurs. Les soldats, de même que les troupes Françoises, fiers de leurs exploits, remarquoient que loin d'être payés par la répu publique, c'étoit eux au contraire qui la faisoient subsister de leurs conquêtes, et qu'il étoit temps de mettre fin à tant des calamités, en marchant à la ville coupable

Tandis que ces pensées agitoient les esprits, arrive un transfuge d'Athènes. On s'empresse autour de lui; les nouvelles les plus sinistres sortent de sa bouche.. Il rapporte que le crime est à son comble; que les tyrans ravissent les épouses, égorgent les citoyens, et jettent dans les cachots les familles unies aux soldats par les liens du sang. A ces mots, un cri d'indignation et de fureur s'élève du milieu de l'armée; elle jure d'exterminer les scélérats, chasse ses officiers, partisans de la faction aristocratique, ent nomme de plus populaires, et rappelle à l'instant Alcibiade.

Tout annonçoit la chûte des Quatre Cens. Il se trouvoit parmi eux des hommes d'un talent extraordinaire: Antiphon parlant peu, mais réviseur des discours de ses collègues; Phrynique, d'un esprit audacieux et entreprenant; Théramènes, plein d'éloquence et de génie. La discorde ne tarda pas à se mettre parmi eux. Les hommes

* Ce rapport étoit exagéré.

ressemblent peu à ces animaux justes, dont parlent les voyageurs, qui, après avoir chassé en commun, divisent également le fruit de leurs fatigues : les factieux s'entendent sur la proie, presque jamais sur la dépouille. Théramènes, sentant que le pouvoir leur échappoit, revenoit peu-à-peu à l'ancienne constitution, et se rangeoit du côté du peuple. Phrynique, par des motifs d'ambition, soutenoit le nouvel ordre de choses; et, pour se ménager des ressources, il députa secrètement à Sparte et se mit à bâtir une forteresse au Pirée afin d'y recevoir les ennemis, et de s'y retirer lui« même en cas d'événement. Sur ces entrefaites on apprend tout-à-coup qu'il vient d'être assassiné sur la place publique, comme Marat au milieu de ses triomphes. Théramènes, maintenant à la tête du parti populaire, insurge les citoyens, et se saisit du Général de la faction opposée. Les Quatre Cens courent aux armes pour leur défense. A l'instant même la flotte Lacédémonienne se montre à l'entrée du Pirée; le tumulte est à son comble. Théramènes vole au port; il parle aux soldats; il leur représente que le Fort a' été élevé par Tyrans, non pour la sûreté de la place, mais pour y introduire l'ennemi de la patrie, dont les vaisseaux sont déjà en vue. La rage s'empare des troupes; le Fort, rasé jusqu'aux fondemens, disparoît sous la main empressée d'une multitude furieuse; l'abolition du tribunal des Quatre Cens est prononcée par acclamation; les Conjurés épouvantés s'échappent de la ville; et la constitution

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