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Bientôt tu me déposeras dans la tombe, et les morts n'ont plus

de désirs." (Anacr. od. xxxvi.)

Si vous voulez que j'aime encore,
Rendez-moi l'âge des amours.
Au crépuscule de mes jours,
Rejoignez s'il se peut l'aurore.

Des beaux lieux où le dieu du vin
Avec l'amour tient son empire,

Le temps, qui me prend par la main,
M'avertit que je me retire.

De son inflexible rigueur

Tirons du moins quelque avantage :

Qui n'a pas l'esprit de son âge,

De son âge a tout le malheur.

Ainsi je déplorois la perte

Des plaisirs de mes premiers ans ;

Lorsque du ciel daignant descendre,
L'amitié vint à mon secours.
Elle étoit peut-être aussi tendre,
Mais moins belle que les amours.

Touché de sa grâce nouvelle,
Et de sa lumière éclairé,
Je la suivis mais je pleurai

De ne pouvoir plus suivre qu'elle.

(Volt. Mel, de Poësie.)

Si ces deux petits chefs-d'œuvre du goût et des gràces prouvent, que la bonne compagnie est partout une et la même; et qu'on s'exprimoit à la - cour d'Hipparque, comme à celle de Louis XV et de Louis XVI: ils montrent aussi, qu'un peuple, qui pense avec tant de délicatesse, s'éloigne à

grands pas de la simplicité primitive; et, par conséquent, approche des temps de révolutions.

Auprès d'Anacréon on voyoit briller Simonide, dont le cœur épanchoit sans cesse la plus douce philosophie: il excelloit à chanter les dieux. Mais lorsqu'il venoit à toucher sur sa lyre les notes plaintives de l'élégie; la tristesse et la volupté de ses accens, jettoient l'âme en un trouble inexprimable. Sa morale tendoit un peu à éteindre l'enthousiasme du grand. Il disoit que la vertu habite des rochers escarpés, où l'homme ne sauroit atteindre, sans être entraîné dans l'abîme; qu'il n'y a point de perfection; qu'il faut plaindre, et non censurer nos foiblesses; que nous ne vivons qu'un moment, mourons pour toujours, et que ce moment appartient aux plaisirs.

Si quelque chose peut nous donner une idée de ce mêlange ineffable de religion et de mélancolie, répandu dans les vers du poëte de Céos, ce sont les fragmens qu'on va lire. M. de Fontanes peut être appellé, avec justice, le Simonide François. Tout mon regret est de ne pouvoir insérer le morceau dans son entier. Malheureusement, le plan de cet Essai ne le permet pas.

Le poème est intitulé Jour des Morts; et retrace une fête de l'église Romaine, qui se célébre le second jour de Novembre de chaque année.

Déjà du haut des cieux le cruel Sagittaire

Avoit tendu son arc et ravageoit la terre ;
Les côteaux, et les champs, et les prés défleuris,
N'offroient de toutes parts que de vastes débris ;
Novembre avoit compté sa première journée.

Seul alors, et témoin du déclin de l'année,
Heureux de mon repos, je vivois dans les champs.
Et quel poète épris de leurs tableaux touchans,
Quel sensible mortel, des scènes de l'automne
N'a chéri quelquefois la beauté monotone ?
O! comme avec plaisir, la rêveuse douleur,
Le soir, foule à pas lents ces vallons sans couleur,
Cherche les bois jaunis, et se plait au murmure
Du vent qui fait tomber leur dernière verdure!
Ce bruit sourd a pour moi je ne sais quel attrait ;
Tout à coup si j'entends s'agiter la forêt,

D'un ami qui n'est plus, la voix long-temps chérie,
Me semble murmurer dans la feuille flétrie.

Aussi, c'est dans ces temps où tout marche au cercueil,
Que la religion prend un habit de deuil ;

Elle en est plus auguste, et sa grandeur divine

Croît encore à l'aspect de ce monde en ruine.

Ici, se trouve la peinture du prêtre, pasteur vénérable, qui console le vieillard mourant et soulage le pauvre affligé. L'homme juste se rend ensuite au temple. Après un discours analogue à la cérémonie,

Il dit, et prépara l'auguste sacrifice.

Tantôt ses bras tendus montroient le ciel propice;
Tantôt il adoroit humblement incliné.

O moment solennel! Ce peuple prosterné,

Ce temple dont la mousse a couvert les portiques,

Ses vieux murs, son jour sombre et ses vitraux gothiques,

Cette lampe d'airain qui, dans l'antiquité,

Symbole du soleil et de l'éternité,

Luit, devant le Très-Haut, jour et nuit suspendue,

La majesté d'un Dieu parmi nous descendue,

Les pleurs, les vœux, l'encens qui montent vers l'autel,

Et de jeunes beautés qui sous l'œil maternel
Adoucissent encor, par leur voix innocente,
De la religion la pompe attendrissante ;

Cet orgue qui se tait, ce silence pieux, L'invisible union de la terre et des cieux, Tout enflamme, agrandit, émeut l'homme sensible; Il croit avoir franchi ce monde inaccessible Où sur des harpes d'or l'immortel séraphin, Aux pieds de Jéhova, chante l'hymne sans fin. C'est alors que sans peine un Dieu se fait entendre ; e; Il se cache au savant, se révèle au cœur tendre; Il doit moins se prouver qu'il ne doit se sentir. La foule, précédée de la croix, et mêlant ses chants sacrés au murmure lointain des tempêtes, marche vers l'asyle des morts. Là, la veuve pleure un époux, la jeune fille un amant, la mère un fils à la mamelle. Trois fois l'assemblée fait le tour des tombes; trois fois l'eau lustrale est jettée. Alors le peuple saint se sépare; les brouillards de l'automne s'entrouvrent; et le soleil reparoît dans les cieux.

Simonide eut une destinée à-peu-près semblable à celle des poètes François de nos jours. Il vit les deux régimes à Athènes : la monarchie sous les Pisistratides, et la république après leur expulsion. Témoin des victoires des Grecs sur les Perses, il les célébra dans des hymnes triomphales; comblé des faveurs d'Hipparque, il l'avoit chanté; et il loua sans mesure les assassins de ce prince. Les monarques tombés doivent s'attendre à plus d'ingratitude que les autres hommes, parce qu'ils ont conféré plus de bienfaits.*

* Je déplorois un jour avec un bien bon ami, homme de toutes sortes de mérite, cette malheureuse flexibilité d'opinion qui a quelquefois obscurci les plus grandes qualités. Il me fit

Cependant Anacréon et Simonide n'étoient pas les seuls poètes qui eussent acquis l'immortalité. Toute la Grèce répétoit alors les vers de cette Sapho, si célébre par ses vices et son génie. II étoit encore donné à notre siècle de nous rappeller Je l'immoralité des goûts de la dixième muse. veux croire que ces mœurs ne se rencontroient pas parmi nous dans les rangs élevés, où la calomnie qui s'attache au malheur s'est plû à les peindre. Sapho eut encore une influence plus directe sur son siècle, en inspirant aux Lesbiennes l'amour des lettres. C'est ce qui fit naître les soupçons, que l'ode suivante n'est pas propre à dissiper.

A son Amie.

Heureux qui près de toi pour toi seule soupire ;
Qui jouit du plaisir de t'entendre parler :
Qui te voit quelquefois doucement lui sourire:
Les dieux, dans son bonheur, peuvent-ils l'égaler ?
Je sens de veine en veine une subtile flamme
Courir partout mon corps, si tôt que je te vois :
Et dans les doux transports où s'égare mon âme,
Je ne saurois trouver de langue, ni de voix.

Un nuage confus se répand sur ma vue,

Je n'entends plus, je tombe en de douces langueurs ;
Et pâle, sans haleine, interdite, éperdue,

Un frisson me saisit, je tremble, je me meurs.

cette réflexion qui prouve autant sa sensibilité, que l'excellence de sa raison. "Ceux qui s'occupent de littérature, me dit-il, sont jugés trop rigoureusement du reste de la société. Nés avec une âme plus tendre, ils doivent être plus vivement affectés. De là, le rapide changement de leurs idées, de leurs amours, de leurs haines; si surtout l'objet nouveau a quelque apparence de grandeur. D'ailleurs la plupart sont pauvres, et la première loi est de vivre."

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