y en Terminons par quelques mots sur la valeur de ce poème. M. Du Méril le traite fort mal; il n'y voit que « les préceptes usés d'une morale vulgaire ». M. Cousin estime, au contraire, que cette œuvre est d'un homme à bon droit qualifié de bel esprit. Notre avis est celui de M. Cousin. Il y a sans doute dans ce poème, dont la langue n'est pas toujours classique, plus d'un vers obscur et mal tourné; mais il a d'autres où sont très heureusement exprimées des pensées ingénieuses, et l'on ne s'étonne pas que plusieurs, devenus proverbiaux, aient été cités par les compilateurs et les scoliastes. Le moyen âge nous a laissé d'autres poèmes du même genre, mais où il y a peu de traits originaux, et il y en a beaucoup ici. Il beaucoup ici. Il y a même des maximes trop personnelles pour être universellement acceptables. Elles sont, dit M. Du Méril, d'un cénobite dont le cœur est desséché. Oui, sans doute; mais on a justement remarqué que les lettres authentiques d'Abélard sont loin d'être tendres. Il n'est pas rare que le malheur abatte et dessèche les cœurs les plus généreux, les plus vaillants. Ces vers, où nous trouvons encore plus d'amertume que de sécheresse, sont, en effet, le testament d'un cénobite, qui, cénobite par contrainte, fut un homme deux fois mutilé. LE POÈME par Abelard À SON FILS ASTRALABE. NOTICE SUR LE NUMÉRO 3143 DES MANUSCRITS LATINS DE LA BIBLIOTHÈQUE NATIONALE, PAR M. B. HAURÉAU. Ce volume nous offre d'abord une somme de théologie qui commence par ces mots : Ego novissimus omnium evigilavi et factus sum quasi qui collegit racemos post vindemiatores. Le nom de l'auteur manque ici. Mais dans le no 125 d'Avranches l'auteur est ainsi désigné : G. Pictavensis; dans le no 220 de Bruges, Guillelmus Parisiensis (1). Ce Guillaume de Paris ne peut être que Guillaume d'Auvergne, évêque de Paris, le manuscrit d'Avranches étant d'une date antérieure au dominicain Guillaume de Paris et à l'évêque de Paris Guillaume Beaufet. Il s'agit donc certainement de Guillaume d'Auvergne. Or, si cet ouvrage considérable était vraiment d'un théologien aussi renommé que Guillaume d'Auvergne, on en aurait conservé plus d'une copie sous son nom, et nous n'en connaissons pas une autre que celle de Bruges. Ainsi l'on peut déjà soupçonner une fausse attribution. Et dès qu'on a lu quelques pages du livre, ce soupçon devient une certitude; le style de Guillaume a toujours une ampleur qu'ici rien ne rappelle. L'auteur est un raisonneur subtil qui ne sait pas ce que c'est que faire une période, mais qui n'est inférieur à personne dans ces deux exercices de la palestre scolastique distinguer et argumenter. : Laude, Man. de Bruges, sous le n° 220. N° 3143 DES MSS. LATINS DE LA BIBLIOTHÈQUE NATIONALE. Le manuscrit d'Avranches vient du Mont-Saint-Michel. Oudin l'a vu, dit-il, indiqué sous ce titre dans un ancien catalogue, aujourd'hui perdu, de cette abbaye : Mag. Gualteri, Pictavensis, commentarii theologici. On connaît un Gautier, évêque de Poitiers, auteur de quelques autres écrits de son temps estimés, Gautier de Bruges, et, bien qu'Oudin ne soit pas toujours un témoin sincère, tout le monde l'a, dans cette occasion, cru sur parole: Sbaraglia (1), M. Ravaisson (2), l'auteur de la notice sur Gautier de Bruges qu'on lit dans le tome XXIX de l'Histoire littéraire, p. 564, enfin le rédacteur du plus récent catalogue des manuscrits d'Avranches (3). Eh bien, ils auraient dû, les uns et les autres, être plus défiants. C'est ce que viennent de prouver les savants éditeurs du Cartulaire de l'Université de Paris, en indiquant, dans le no 15747 de la Bibliothèque nationale, une autre copie (malheureusement incomplète) de la même somme, sous le nom d'un Geoffroy de Poitiers, et une autre encore, sous ce nom, dans la bibliothèque du chapitre de Tolède (4). Si le catalogue perdu du Mont-Saint-Michel nommait l'auteur, comme Oudin l'assure, Gautier de Poitiers, ce n'était là qu'une attribution conjecturale, puisqu'elle n'est pas, nous l'avons dit, autorisée par le manuscrit. Or notre no 15747 est du xir siècle, et du même temps est la rubrique où cet auteur est nommé Galfredus Pictavensis, Geoffroy de Poitiers. Et quand vivait ce Geoffroy de Poitiers? Bien peu d'années certainement avant le copiste de son livre. C'est donc le témoignage de celui-ci qui doit être tenu pour véridique. Nous faisons vivre Geoffroy de Poitiers au xe siècle. C'est une assertion qu'on ne trouvera confirmée par aucun bibliographe. En effet, aucun d'eux n'a parlé de lui. Ne cherchez pas sa notice dans l'Histoire littéraire. Son nom même ne se lit pas dans le riche Répertoire de M. l'abbé Ulysse Chevalier. Mais dans le tome cité du Cartulaire nous rencontrons, à la page 145, une lettre de Grégoire IX au roi de France, datée du 6 mai 1231, où il est mentionné d'une manière très flatteuse. Deux maîtres célèbres de Paris, dit cette lettre, vita, scientia et doctrina præclari, Geoffroy de Poitiers et Guillaume d'Auxerre, retournent en France, après avoir rempli près de la cour de Rome une mission que leurs collègues leur avaient confiée. Comme le but de cette mission avait été, paraît-il, de faire valider par le pape certains privilèges de l'Université que l'autorité civile jugeait contestables, ils craignent qu'on ne les ait accusés près du roi de l'avoir peu ménagé dans leurs entretiens avec le pape. C'est pourquoi le pape les renvoie avec une lettre de recommandation, priant le roi de les bien accueillir et de les autoriser à rentrer dans leurs chaires. Priver l'église de ces brillantes étoiles, qui tanquam stellæ micant in Ecclesiæ firmamento, c'est la vouer aux ténèbres. Guillaume d'Auxerre est bien connu. Aubry de Trois-Fontaines dit qu'il mourut à Rome en 1230 (1). On apprend aujourd'hui qu'il vivait encore au mois de mai 1231 et se préparait alors à quitter Rome pour rentrer à Paris. Nous corrigeons de nouveau cette erreur d'Aubry (2). Mais si l'on n'a pas encore obtenu de suffisantes informations sur la vie de Guillaume, tout le monde sait qu'il a fait une somme souvent imprimée, qui, pendant plusieurs siècles, a joui d'une grande célébrité. Geoffroy de Poitiers n'a pas eu cette bonne fortune. Ce n'est pas qu'on l'ait, après sa mort, tout à fait oublié. Au temps où florissait la théologie contentieuse, on l'a quelquefois cité, pour confirmer ses dires ou pour les réfuter. Ainsi Guillaume Vorillong le cite plusieurs fois dans son commentaire des Sentences (3). Mais son livre n'ayant pas été jusqu'à ce jour publié, l'on ignore ce qu'il vaut. Eh bien, il n'est certes pas sans valeur. L'intérêt des questions qu'il traite a tellement diminué, que, pour le lire aujourd'hui tout entier, il faudrait un courage vraiment extraordinaire et qui serait mal récompensé. Mais nous n'éprouvons aucune surprise en voyant le pape mettre l'auteur en si haut rang (1) Hist. litt. de la France, t. XVIII, 115. p. (9) Not. et extr. des man., t. XXI, 2' partie, p. 223. — ($) Guill. Vorillong, in Sent., lib. IV, cap. 1, et dist. 12. N° 3143 DES MSS. LATINS DE LA BIBLIOTHÈQUE NATIONALE. |