N° 3143 DES MSS. LATINS DE LA BIBLIOTHÈQUE NATIONALE. parmi les régents de l'école de Paris; c'était évidemment un habile gros livre n'est pas un servile commentaire des Sentences de Pierre le Lombard. Ce sont ses propres opinions que l'auteur expose, et il néglige un grand nombre de distinctions sur lesquelles il n'a rien à dire de nouveau. C'est néanmoins un cours de théologie à peu près complet : un cours écrit pour être lu devant des écoliers; écrit, ajoutons-nous, au jour le jour, où le professeur rappelle quelquefois dans la leçon qu'il fait celle qu'il a faite la veille: sicut heri diximus (1). Telle est la forme du livre. n'en On est sans doute plus curieux d'en connaître le fond. Mais nous pouvons donner qu'une vague idée; trop de questions y sont successivement discutées. Les rubriques de quelques chapitres ont été reproduites dans l'avant-dernier catalogue d'Avranches; mais ces rubriques, où les questions sont posées, laissent ignorer comment elles sont résolues; et c'est là seulement ce qu'on tient à savoir. Il ne s'agit jusqu'au revers du feuillet 14 que de l'essence divine et des personnes auxquelles elle est commune. Comme on le soupçonne, il y a là beaucoup de verbiage scolastique. Quiconque entreprend de disserter sur un mystère ne peut se défendre d'être prolixe. Que d'explications il faut donner pour faire comprendre aux autres ce que soi-même on ne comprend pas! Et cette prolixité n'est pas toujours exempte de témérité. L'auteur n'hésite pas à le reconnaître : Daturus, dit-il, legem Moyses præfixit terminos monti, quos transgredientes præcepit Dominus lapidari. Accedentibus ad montem fidei termini sunt præfixi quos transgredientes lapidantur, id est æternæ damnationi, nisi pœniteant, deputantur (2). Eh bien, nous voudrions avoir la certitude que Geoffroy n'a pas franchi ces limites et conséquemment n'a pas mérité d'être lapidé. Il est ensuite question des anges, sur la nature desquels Geoffroy la (1) No 15747, fol. 46, col. 4. Nous citons de préférence le n° 15747 parce que lecture en est plus facile celle du n° 3143. que (3) N° 15747, fol. 8, col. 2. tient à paraître aussi bien informé. Enfin l'homme entre en scène. Dieu, dit la Genèse, a créé l'homme à son image, avec la liberté de faire le bien et le mal. Après avoir démontré qu'il a fait le mal volontairement, l'auteur aborde le détail des vices qui procèdent du premier péché. Il parle ensuite des vertus, mais succinctement. Toutes les vertus de l'homme déchu sont imparfaites; aussi ne peut-il vraiment bien agir qu'avec le secours de la grâce: Ultro terra fructificat, non tamen sine pluvia. Réservant donc ce qu'il doit dire plus loin, pour compléter son cours, sur les vertus, l'auteur reprend la question des vices, qui l'intéresse davantage. S'il est, en effet, suffisamment versé dans la théologie dogmatique, il l'est plus encore dans la théologie morale; il a surtout étudié les cas de conscience. C'est d'ailleurs en les traitant qu'il se montre le plus subtil. Voici quelques-unes de ses décisions : Sacerdos scit quod ille decessit in odio fraterno; ergo scit quod est damnandus; ergo non debet orare pro illo. Contra dicit auctoritas: Cui communicamus vivo communicemus mortuo (1). Sed intelligendum est quantum ad sacramenta ecclesiæ. Debet enim recipi in cœmeterio et in ecclesia, ne faciat scandalum populo, et nunquam debet orare pro illo. Unde non debet dicere specialem orationem pro illo, sed generalem pro defunctis. Et, si amici exigunt ab eo ut dicat specialem orationem, dicat specialem; sed ita specialis erit pro omnibus, sicuti communis potest dici pro uno (2). On ne prévoyait certainement pas cette conclusion, qui permet de faire ce qu'il est dit plus haut qu'on ne doit faire jamais. La subtilité finale est surtout à noter. Les cas de conscience n'ont pas toujours été résolus de la même manière. On s'est montré selon les temps plus indulgent pour telle ou telle infraction aux lois de la morale. Il résulte de là qu'on trouve chez les casuistes de très précieuses informations sur les sentiments et les mœurs de leurs contemporains. Citons donc encore : pour Quæritur de abbate cui tradita est magna pecunia a quodam, et ipse juravit N° 3143 DES MSS. LATINS DE LA BIBLIOTHÈQUE NATIONALE. se redditurum poscenti. Sed factus hæreticus petit ab abbate ut expendat ad subversionem Ecclesiæ. Si abbas reddit, dabit gladium in manu furiosi; si non reddit, pejerabit. Dico quod non reddat, quia non tenetur. Cum enim juravit non credebat quod peteret hæreticus... Sed si præsumatur quod ille hereticus redi DE LA BIBLIOTHÈQUE turus sit ad fidem, reservanda est ejus pecunia; si non, danda est propinquis NATIONALE. suis catholicis; quod si non habet, ad consilium Ecclesiæ distribuatur, sicuti lex sancta innuit facere de re furata vel de re cujus dominus ignoratur, quæ dicit quod ad consilium sacerdotis debet dari (1). N° 3143 DES MSS. LATINS La conscience publique n'adhère plus à cette conclusion; elle dit, avec la loi civile, qu'on doit en tout cas restituer un dépôt à qui l'a confié. Mais l'hérétique était, au moyen âge, considéré comme étant hors la loi. Or on n'a plus de lui cette opinion. Y a-t-il même aujourd'hui beaucoup de gens qui sachent bien précisément ce que c'est qu'être hérétique? Si donc il est vrai que les principes généraux de la morale ont toujours été les mêmes, le cas ici discuté par Geoffroy montre comment et pourquoi l'application en a varié. Un autre cas : Quidam sacerdos injunxit cuidam mulieri ut jejunaret in pane et aqua. Si jejunat, scandalizabitur maritus ejus, cum ipse præcipiat ei comedere. Ergo debet ei obedire, scilicet ut comedat. Sed contra: major est sacerdos quam vir ejus, et sic dicit Augustinus : « Majori obediendum est ubi minor præcipit contrarium. » Ergo ista non debet comedere. Dicimus quod in hoc casu debet petere a sacerdote ut relaxet pœnitentiam illam ne faciat scandalum. Quod si forte ille noluerit, marito tenetur obedire, quia in hoc major est maritus quam sacerdos. Nous pensons que des casuistes plus rigides n'auront pas approuvé cette décision. Jamais, auront-ils dit, l'autorité du prêtre n'est inférieure à celle du mari. Mais le scandale! Il faut, dit saint Jérôme, faire ce qu'on doit faire sans craindre de le N'est-ce donc pas provoquer. aussi l'opinion de Geoffroy? Loin de la contredire, il professe qu'il la tient pour vraie. Mais dans certains cas, si vraie qu'il l'estime, il s'en écarte () N° 15747, fol. 62, col. 3; n° 3143, fol. 47, col. 1. plus ou moins. Nous allons montrer que la crainte du scandale ne le rend pas toujours de si facile accommodement: Voilà, sur un cas particulier, une décision curieuse. L'Église défend de faire gras le samedi. Cependant, si quelque moine reçoit de quelque abbé l'ordre d'enfreindre cette loi de l'Église, c'est à l'abbé, non pas à l'Église, que le moine doit obéir. Pourvu, toutefois, que les mets gras n'aient pas été donnés à l'abbé par des usuriers, car si c'est un don de telles gens, le devoir du moine sera de désobéir même à son abbé. Or on sait que, pour les clercs de ce temps-là, tous les bourgeois enrichis par le négoce étaient des usuriers. Tirer profit d'un trafic quelconque était, disaient-ils, un crime. On voit ici jusqu'où la haine des riches DE NATIONALE. Quæritur de illo qui est in die sabbati cum monachis comedentibus carnes, quorum cibo tota villa scandalizatur. Si iste non comedit carnes, scandalizabit LA BIBLIOTHÈQUE alios fratres; si comedit, pono quod sit vir magnæ auctoritatis, ex cibo illius scandalizabitur tota villa; et ita videtur esse perplexus. Dicimus quod contemnere debet scandalum fratrum, cum majus scandalum sit populi et cum dicat Apostolus: Si cibus meus scandalizat fratrem (1) et cet. Sed si abbas suus præcipiat ei comedere cum aliis fratribus, adhuc videtur insolubile, quia comedere carnes in genere licitum est. Ergo tenetur ei obedire. Contra: comedere carnes cum scandalo est prohibitum ab Apostolo; igitur non potest comedere quin comedat cum scandalo; ergo non potest comedere quin transgrediatur prohibitionem sacræ Scripturæ. Dico quod tenetur comedere et potest comedere cum scandalo sine peccato, cum teneatur comedere ratione præcepti ejus cui tenetur obedire. Sed pono quod carnes sunt allatæ abbati a fœneratoribus qui nihil habent nisi de usura, et hoc scit iste. Abbas præcepit ei ut comedat; tenetur ne illi obedire, cum videat ipsum et omnes alios comedere? Videtur quod ita. Contra Hieronymus : « Caveamus ne ab illis accipiamus munera qui de lacrymis pauperum congregant sibi divitias et simus socii furum. . . . Ergo non tenetur comedere. Scandalizabit ergo abbatem et omnes alios. Dico quod proculdubio tenetur non comedere et in talibus non tenetur suo abbati obedire, et, si scandalizatur, non refert (2). (1) Epist. prima ad Corinth., vi, 13. — (2) N° 15747, fol. 65, col. 1; no 3143, fol. 49, col. 1. N° 3143 MSS. LATINS N° 3143 DES MSS. LATINS DE LA BIBLIOTHÈQUE NATIONALE. peut faire dévier la logique d'un clerc habituellement modéré. C'est Videtur rationabiliter posse ostendi quod in omni causa et a quacumque persona, sit exigendum sacramentum calumniæ. Leges et canones inventi sunt ad decidendas lites et ad fines causis imponendos, ne lites sint perpetuæ, et quanto commodius et brevius hoc faciunt, tanto utilius; sed per juramentum calumniæ quotquot in anno deciduntur lites possent in una die determinari, quia si omnes scirent quod in ingressu litis oporteret eos tale præstare sacramentum, et si advocati præintelligerent quod non possent stare nisi pro justa causa, nec aliquis injustas acceptiones prætendere, pauci vel nulli invenirentur advocati ad lites prorogandas, et propterea pauci alios injuste accusarent, et ita facillime et succincte possent decidi omnes fere cause, sicut fit adhuc in sede Senonensi (1), A l'examen de ces problèmes succèdent de subtiles dissertations sur les vertus, particulièrement sur la charité, la justice et l'obéissance. Il s'agit ensuite du Dieu fait homme, de sa nature en tant qu'homme, et des épreuves morales qu'il a subies ou pu subir. Le livre finit par un mélange de dissertations sur les sacrements, les droits et les devoirs des clercs. Nous lisons dans le chapitre sur la simonie : Quæritur si magister scolarum potest operas suas locare; videtur quod non, cum habeat redditus institutos pro doctrina. Sed nonne, cum ipse instituat magistros, ipsi possunt locare? Dicimus quod magister scolarum semper tenetur legere, nisi necessaria subsit causa; magistri autem qui legunt bene possunt operas suas locare quantum ad ea quæ de moribus non agunt; sed quantum ad ea quæ de moribus agunt, non; sed tamen a filiis fœneratorum vel raptorum caveant ne aliquid percipiant, quoniam tenentur restituere (2). |