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N° 16409

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des espèces consiste, dit-il, en ce qu'elles possèdent des perfections diverses; ce qui les distingue, ce ne sont pas des degrés divers de la même perfection. Dieu peut améliorer l'univers en augmentant le degré de la perfection propre à chaque espèce: Deus universum potest meliorare meliorando formas graduales ipsius sola intensione seu multiplicatione earum in seipsis; mais il ne le peut faire en transférant les perfections d'une espèce à une autre. Cette proposition d'Évrard avait paru, même de son temps, originale. Nous la retrouvons ainsi reproduite sous son nom dans notre n° 16535, fol. 114 vo: Conclusio Evrardi est ista, quod proportiones et figuræ perfectionum multiplicant species rerum. Probatur, quia species variantur per varietates perfectionum, nec súnt varietates graduum ejusdem perfectionis. Ces conclusions d'Évrard sont combattues point par point dans une thèse qu'on peut lire au fol. 205 du même n° 16535. L'auteur de cette thèse contredit aussi plusieurs propositions du carme et de Simon (fol. 221).

Au revers du feuillet 31: Positio Cordigeri de potentia Dei. Cette pièce est aussi dans le n° 16408, fol. 15. Voici la question à résoudre : Utrum ineffabile primum esse sit omnipotens esse? Cet être premier, qu'on ne saurait convenablement nommer, c'est Dieu: Ad plenum et perfecte sicuti est apprehendi non potest et per consequens nec ipsum fari possumus. La proposition obscurément énoncée est donc, en fait, celle-ci : Dieu peut-il être défini tout-puissant? La réponse semble devoir immédiatement succéder à la question. Mais nous sommes en scolastique, et en scolastique il ne suffit pas d'alléguer l'évidence; il faut démontrer. Oui, répond-on, Dieu peut faire que toute chose possible devienne réelle. Il n'est pas seulement la cause finale de tout ce qui est; il en est encore immédiatement la cause efficiente. Tout vient de lui. Cela sans doute ne peut être clairement prouvé par des raisons philosophiques; mais cela n'en est pas moins certain. Je ne dis pas, ajoute le cordelier, je ne dis pas, qu'on m'entende bien, que Dieu puisse faire qu'une proposition fausse soit vraie. Distinguons entre l'enuntiabile et le possibile. L'omnipotence de Dieu ne s'exerce que dans le domaine du possible; mais dans ce domaine elle est absolue.

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Le cordelier, auteur de cette thèse, avait dit en l'exposant : In
lumine naturali primum esse simpliciter est ens nobilissimum et optimum in
fine nobilitatis et perfectionis; ergo omnis perfectio seu denominatio perfec-
tionis, quæ sibi non ostenditur sufficienter repugnare, congruit suæ perfec-
tioni et est sibi attribuenda. Hujus modi est causalitas activa. Soit! Ce-
pendant cela ne réclamait-il pas quelques explications complémentaires ?
Un religieux augustin, prenant la parole après notre cordelier, va le
provoquer à les fournir.

Fol. 32. Positio Augustinensis de potentia Dei et rerum perfectionibus.
C'est, de même, une seule question qui est ici traitée : Utrum ineffa-
bile primum esse, inter suum immensum esse et supremum creatum esse,
nobiliorem creaturam potuerit creavisse ? Cette question paraît d'abord
obscure, très obscure. Mais on voit bientôt qu'elle est uniquement
posée pour
montrer que les termes en sont faux et qu'elle n'est pas en
ces termes discutable.

En effet, il n'existe pas un être en qui soient représentées, comme
dans un miroir, toutes les entités. Donc cet esse supremum creatum est
une pure fiction. Toutes les choses ont été créées individuellement,
aussi parfaites que
les a voulues la bonté divine. Elles sont des nombres;
mais ces nombres ne tirent pas leur origine d'un nombre suprême;
c'est de l'unité divine qu'ils procèdent immédiatement. Cela confirme
le dire du cordelier en ce qui touche l'action directe de Dieu dans la
génération des choses, et réduit au néant la thèse prétendue platoni-
cienne du monde intermédiaire. Il n'y a donc pas entre les interlo-
cuteurs un vrai débat. Ils professent la même doctrine, mais l'exposent
en des termes différents.

Le chanoine de Saint-Augustin à qui nous devons rapporter cette
thèse est-il Simon du Val-des-Écoliers? On peut le supposer. Soit à
lui soit à quelque autre nous reprocherons d'avoir pris tant de dé-
tours pour arriver à une si simple conclusion. La même thèse est dans
le n° 16408, fol. 16.

Fol. 33. Positio Barbæ de simili materia. Aussi dans le n° 16408,
Nous avons plus d'une information sur ce docteur. Le 17 juin

fol.

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1343, Richard Barbe, originaire du diocèse de Rouen, se trouvait à la cour d'Avignon, envoyé par l'université de Paris. Il était alors maître ès arts, et, ne jouissant à ce titre d'aucune prébende, il priait le pape de vouloir bien lui en accorder, ou, du moins, lui en réserver une. Il quitta plus tard les arts pour la théologie. En 1363, étant bachelier en cette faculté, il est pourvu d'un canonicat dans l'église de Beauvais (1). Enfin, il fut proviseur du collège d'Harcourt de l'année 1369 à l'année 1380 (2). On le voit figurer, en 1375, dans une enquête qui fut ordonnée par le pape pour rechercher à qui devait être attribuée la traduction française d'un écrit latin condamné sous les noms de Marsile de Padoue et de Jean de Jandun (3). Nous le citerons encore en continuant la description de ce volume. Ses actes théologiques ont eu, comme il paraît, quelque succès.

Quelle est donc sa thèse sur la puissance divine? Tel en est d'abord l'énoncé Utrum ineffabile primum esse possit facere latitudinem perfectionis rerum infinitam terminatam ad primum gradum entis ? Nous n'avons ici, Thomas de Cracovie nous en prévient, qu'un résumé très sommaire d'une thèse fort longue. Quand, dit Richard Barbe, on suppose ce qui est l'objet de la question, c'est-à-dire la possibilité d'un premier degré de l'être infiniment parfait, on fait une hypothèse dont les termes obscurs veulent d'abord être expliqués. On la fait bien évidemment dans le monde des chimères; on ne saurait en effet supposer dans le monde réel une telle latitude de perfection entre les individus qui subsistent au sein des genres, des espèces, sans avoir d'abord admis comme possible l'unité formelle de ces individus; ce qui, ut omnes concedunt, ne se peut admettre. Mais se demande-t-on si Dieu aurait pu faire ce qu'il n'a pas fait? Assurément il aurait pu créer un être infiniment parfait; mais un seul : Ineffabile primum esse potest facere latitudinem perfectionis infinitam exclusive terminatam ad primum gradum entis.

Fol. 35. Positio fr. Angeli de Roma, contra quam aliter arguitur dis

(1) Chart. univ. Paris., t. II, sect. 1, p. 528, 529. -(9) Ch. Jourdain, Ind. chronol.,

p. 180. (3) D'Argentré, Collect., t. I, p. 397.- Chart. univ. Paris., t. III, p. 223,

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cipulus Huguelini. Même thèse dans le n° 16408, fol. 17. Nous ne
connaissons pas cet Ange de Rome. La question est celle-ci : Utrum
ineffabile primum esse ab æterno humanum esse potuerit assumpsisse? Dieu,
répond le disciple d'Hugolin, n'aurait-il pas pu créer ab æterno la nature
humaine; la créer non seulement intra, c'est-à-dire intellectuellement,
mais encore extra, c'est-à-dire réellement? Sans aucun doute il l'au-
rait
pu; donc il aurait pu lui-même de toute éternité revêtir cette na-
ture humaine qu'il a su de toute éternité devoir revêtir en tel temps.
Si courte que soit cette thèse, elle est encore trop longue. Il suffit de
poser des questions semblables pour avertir les gens qu'on va parler
pour ne rien dire.

Fol. 36. Positio Cordigeri de præscientia futurorum. Mème thèse dans le n° 16408, fol. 18. Question: Utrum ineffabile primum esse præscire valeat omnia nunc futura? Aucun théologien ne peut soutenir la négative. Mais notre carme croit devoir profiter de cette occasion pour distinguer, avec Pierre le Lombard (Sent. lib. III, dist. 14), la science de Dieu, celle du Christ et celle de l'homme. L'argumentation devient alors obscure; mais la conclusion n'a rien d'original.

Fol. 37. Positio Jacobite de incarnatione. Même thèse dans le no 16408, fol. 19. Question: Utrum ineffabile primum esse naturam creatam hypostatice valeat sustentare? Ce qui signifie : l'être divin peut-il être le support d'une créature individuellement déterminée ? Il ne peut, répond le jacobin, l'être de toute éternité, l'être premier et l'être créé n'étant pas coéternels. Mais il peut, ajoute-t-il, l'être dans le temps. Comment? Quia de facto est. Cette réponse, il faut le reconnaître, n'éclaircit rien.

Au même feuillet: Responsio Cordigeri de causalitate Dei respectu creatorum. Même réponse, no 16408, fol. 19. Question: Utrum necesse esse sit causa immediata cujuslibet effectus seu creati esse? L'augustin n'avait pas, comme on l'a vu, trouvé le langage du cordelier assez affirmatif en ce qui regarde la puissance divine. Eh bien, le cordelier va sur ce point le satisfaire. Voici sa réponse

Prima conclusio: Deus est immediata causa efficiens cujuslibet effectus. Ista
TOME XXXIV, 2° partie.

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probatur Deus agit quodlibet et per nihil determinatur ad agendum ; ergo et cet... Ex ista infero quod nulla creatura est immediata causa sui effectus, cum quælibet creatura per Deum determinetur ad agendum. Secunda conclusio: Deus est immediata causa formalis cujuslibet effectus creati. Ista probatur:

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LA BIBLIOTHÈQUE nam Deus est actualis expressio formalis cujuslibet rei sine medio ipsum formaliter exprimente. Ergo et cet... Ex hac infero primo quod forma non per hoc quod est pars totius inexistens formabili est causa formalis. Istud patet, nam Deus est causa cujuslibet creati esse et tamen nulli inexistit ut pars. Secundo, infero quod forma non per hoc quod educitur de potentia materiæ vel conservatur in ea est causa formalis. Patet quia causa formalis in actu est expressio formalis... Tertio infero quod nulla forma creata est causa immediata. Patet quia nulla talis est immediata expressio, et cet. Tertia conclusio: Deus est immediata causa finalis cujuslibet creati esse. Ista probatur, nam Deus est actualis attractio finalis omnium et ipse nullo medio fine attrahitur. Igitur et cet... Ex ista infero quod si ultimus finis creaturæ rationalis est formaliter actus beatificus, Deus est ultimus finis creaturæ rationalis.

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Nous avons transcrit le texte de ces conclusions parce qu'elles n'offrent pas seulement des arguties. Ce sont, en effet, les déclarations très précises d'un théologien qui professe le déterminisme le plus résolu. Il n'y a pas ici d'exception à la règle générale : c'est Dieu qui nous meut tous et nous détermine à faire tout ce que nous faisons. Il n'y a pas même, à proprement parler, de cause intermédiaire entre nous et Dieu. On croit communément que l'âme est en l'homme, en Socrate, son principe d'action. On se trompe l'âme, tirée de la puissance de la matière, n'est pas une vraie cause; c'est l'expression formelle d'une cause, qui, soit première, soit finale, est Dieu. Thomas Bradwardin ne s'était pas exprimé plus témérairement. Un théologien n'a qu'un pas à faire pour aller du déterminisme au panthéisme; mais notons que notre cordelier ne l'a pas fait : Deus est, dit-il, causa cujuslibet creati esse, et tamen nulli inexistit ut pars. N'ignorant pas sans doute la conséquence qu'on peut tirer de ses prémisses, il prend soin d'avertir qu'il la désavoue. Il faut lui tenir compte de ce désaveu.

Il faut que le religieux augustin réponde. Sa réponse est à notre feuillet 38 et au feuillet 28 du no 16408. Mais elle ne contient rien

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