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traduction de Marbode (1), soit pour distinguer l'i et l'u consonnes de j et de v, comme dans le psautier latin-français du xiro siècle récemment décrit par M. Delisle (2). Ici rien de pareil.

Les formes de langage employées par le copiste sont celles qu'on rencontre habituellement dans les plus anciens textes français écrits en Angleterre. Mais, à l'époque où furent écrits nos fragments, le français de Normandie et celui d'Angleterre ne se distinguaient sans doute encore par aucune différence sensible (3), de sorte qu'il ne me parait guère possible de prouver par la graphie que nos fragments ont été écrits en Angleterre plutôt qu'en Normandie. Tout au plus pourrait-on signaler l'emploi d'ai pour ei dans trai (IV, 35), et frai pour ferai (IV, 67), comme des traits spécialement anglo-normands; et encore faut-il reconnaître que ai, pour ei, oi, se rencontre dans l'ouest de la France. La notation des sons présente du reste peu de faits intéressants. Nous relèverons cependant quelques détails de la graphie.

Le groupe cz est employé au sens de notre ç dans czo, IV, 43 (en d'autres passages ceo), czucre, II, 18. Cette notation est particulièrement fréquente en Dauphiné ("), mais elle n'est pas sans exemple dans les pays de langue d'oui. On peut citer czo dans Sainte Eulalie (a czo qu'on lisait autrefois aezo); czavate, dans la chronique d'Ernoul, éd.

(1) L. Pannier, Les lapidaires français, p. 30.

(2) Notices et Extraits des manuscrits, XXXIV, 1, 267 et suiv.

(3) On n'a pas de manuscrits normands antérieurs au XIIIe siècle, sinon peut-être le manuscrit de l'ancienne version des Psaumes conservé à Oxford, qui parait avoir été exécuté à Montebourg. Et encore n'est-ce pas bien sûr.

(*) Non pas seulement dans les documents de la région grenobloise, comme le dit M. l'abbé Devaux (Essai sur la langue vulgaire du Dauphiné septentrional au moyen âge, 1892, p. 283). On trouve la même notation à Die; ainsi dans le censier de

Die (x siècle): czo, Ponczon, Valencza,
voir mon mémoire sur le langage de Die,
Romania, XX, 73, 74, 75, et l'héliogravure
jointe à cette publication; à Romans :
iczo, czo, en 1202 (P. Meyer, Recueil
d'anciens textes, partie provençale, no 51);
dans le Briançonnais, voir les formes
Brianczonii, Brianczone, Brianczonesii, ci-
tées dans le Dictionnaire topographique des
Hautes-Alpes, par J. Roman; en Savoie,
cza dans le Mystère de saint Bernard de
Menthon, v. 133, 200, 212, etc.; en lyon-
nais, voir Puitspelu, Dict. du patois lyonnais,
p.cvIII, note 6; enfin cz est fréquent dans les
écrits vaudois, en vers et en prose, qui sont,
comme on sait, du xv siècle et du xvIo.

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D'ORLÉANS.

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de Mas Latrie, p. 373(); chanczon, tanczon, Franczois, dans l'unique
manuscrit d'Aquin. L's se double avant une muette dans esscrit,
IV, 3; esspleit, I, 9; esspice, I, 22; jasspes, I, 29, etc. Il n'y a, d'ail-
leurs, aucune régularité dans l'emploi de l's doublée, ni en ce cas, ni
en aucun autre : obeïssant, II, 35; poisse, II, 8; poissons, II, 11; mais
oüses, III, 31; fuses, III, 32. - Notons enfin l'écrivain n'emploie
guère u pour marquer le son d'o fermé. Des cas comme columbes, I,
13, dejuste, II, 2, confundre, II, 10, peuvent s'expliquer par
le souve-
nir de l'orthographe latine ou par l'influence d'une nasale. Il y a cepen-
dant tuz, II, 51, pur, IV, 33.

que

La grammaire et la versification sont d'une parfaite régularité. La déclinaison est aussi bien observée que dans les meilleurs textes français il n'y a jamais désaccord entre la grammaire et la rime. Les rimes, sans être riches, sont exactes. C'est tout au plus si la rime nosdolors, II, 3-4, pourrait passer pour une assonance. Au sujet de la versification, je ferai une remarque qui pourrait s'appliquer à un grand nombre de nos anciens poèmes en vers octosyllabiques (les écrits de Chrétien de Troyes et de ses imitateurs mis à part) et qui, à ma connaissance, n'a pas encore été faite : c'est que les fins de phrase correspondent toujours au second vers d'une paire, et qu'en général il y a un repos plus ou moins marqué après chaque paire de vers. Il n'arrive jamais qu'une phrase commence avec le second vers d'une paire. On pourrait en quelque sorte considérer les deux vers réunis par la rime comme formant une unité, comme un vers de seize syllabes avec rime intérieure. Je vérifierai, dans un prochain mémoire, l'application de cette loi dans notre ancienne poésie.

La rédaction de ce recueil n'est probablement pas de longtemps antérieure à la copie que nous en avons. Je la placerais donc aussi dans la seconde moitié du xe siècle. On va voir que l'auteur de cette rédaction n'était pas un traducteur servile, et qu'il a su traiter sa matière

(1) Passage cité par M. Godefroy, qui traduit à tort czavale par « décombres D, en se fondant sur la traduction fort libre de Pippino, qui rend «czavates, pierres, roches » par lapidibus et ruderibus.

D

avec beaucoup d'originalité. Il n'est pas douteux que, si son œuvre nous était parvenue en entier, elle occuperait une place élevée parmi les anciens monuments de notre littérature.

III

Nous allons maintenant passer en revue les divers miracles qui se lisent dans les fragments d'Orléans.

1. Miracle de la basilique de Notre-Dame fondée par Constantin. Le texte est incomplet du commencement. Il n'est pourtant pas difficile d'y reconnaître le développement d'un récit conté pour la première fois par Grégoire de Tours, De gloria martyrum, 1. I, ch. ix, qui de là a passé en divers recueils de miracles, ordinairement sous une forme un peu abrégée (1). Voici ce récit :

a

Maria vere gloriosa genitrix Christi, ut ante partum, ita virgo creditur et post partum, quæ........ angelicis choris canentibus, in paradisum, Domino præcedente, translata est, cujus basilica ab imperatore Constantino admirabili opere fabricata renidet. Ad quam adductæ columnæ, cum præ magnitudine levari non possent, eo quod esset circuitus earum sedecim pedum, ac diebus singulis casso labore fatigarentur, apparuit artifici sancta Virgo per visum, dicens : « Noli mœstus esse; ego enim tibi ostendam qualiter hæ queant elevari columnæ. » Et ostendit ei quæ aptarentur machinæ, qualiter suspenderentur trochleæ atque funium extenderentur officia, illud addens : « Conjunge tecum tres pueros de scholis, quorum adjutorio hoc possis explere. » Quod cum ille evigilans quæ præcepta fuerant coaptasset, vocatis tribus pueris ab scholis, erexit summa velocitate columnas. Præstitum est populis spectare miraculum admirandum, ut quod multitudo virorum fortium levare nequiverat, tres pueruli absque virtute perfecti operis sublevarent.

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On observera que l'ancien poète a considérablement développé sa matière. Il fait preuve d'une certaine connaissance de la géographie

(1) Par ex. dans Vincent de Beauvais, Spec. hist., éd. de Douai (1624), liv. VII, ch. LXXXI. La même rédaction se retrouve dans le ms. Bibl. nat. lat. 5664, fol. 1,

et ailleurs. Au contraire, dans le ms. 6560,
fol. 124, de la fin du XIIe siècle, le texte
de Grégoire est conservé intact, sauf une
légère modification au commencement.

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de l'Orient en désignant les habitants de Constantinople par cette périphrase: Cil d'oltre le Bras Saint Jorie. Le Bras Saint-Georges est, comme on sait, la mer de Marmara. Nous aurons à faire la même remarque dans le paragraphe suivant.

2. Le deuxième miracle est le récit d'une famine dont eurent à souffrir les moines d'un couvent de Jérusalem. L'abbé leur enjoignit de se mettre en prière, et le lendemain leurs greniers étaient pleins de blé. La disette s'étant de nouveau fait sentir quelques années plus tard, les moines ont de nouveau recours à la prière, et cette fois ils trouvent l'autel chargé d'une immense quantité d'or. Ici encore l'original est fourni par Grégoire de Tours, De gloria martyrum, I, xı. Il a pénétré en quelques recueils de miracles, notamment dans le ms. Bibl. nat. lat. 6560, fol. 124, déjà cité à propos du miracle précédent. Voici le texte de Grégoire, amendé çà et là d'après ce manuscrit :

k

Monasterium est valde magnum in Jerusalem non modicam habens congregationem, in quo loco non solum devotio populi sæpe plurima confert, verum etiam imperatoris jussu ibi non minima largiuntur. Accidit autem quodam tempore ut, præ penuria egestatis, valde eis victus necessaria deficerent. Congregatio autem garrula monachorum, cum una atque alia die refectionis alimoniam non caperent, vociferant ad abbatem, dicentes largire cibos aut permittere unumquemque discedere in loco quo vitam protegere possit, « alioquin nec te consulto abs« cedemus, ne pereamus fame ». Hec, his dicentibus, ait abbas: « Oremus fratres « dilectissimi, et Dominus ministrabit nobis cibos; nec enim potest fieri ut deficiat « triticum in ejus monasterio quæ frugem vitæ ex utero pereunti intulit mundo. » Quibus vigilantibus tota nocte ac psallentibus, mane orto, repperiunt cuncta horreorum habitacula ita repleta tritico, ut vix vel reserari ostium possit. Accepto autem cibo gratias egerunt Deo. Post multos vero annos, iterum deficiente cibo, clamaverunt rursum monachi ab abbatem, qui ait : « Vigilemus ac deprecemur Dominum, et forsitan transmittere dignabitur alimenta. » Denique prosternuntur ad pavimentum templi, vigilataque nocte in psalmis et canticis spiritualibus, cum se post matutinos somno dedissent, venit angelus Domini et posuit super altare multitudinem innumerabilem auri. Erant autem ostia ædis obserata. Exurgentibus autem mane abbate cum monachis ad celebrandum cursum, viderunt multitudinem auri super altare. Et ait abbas custodi editui: «Quis præfectorum hic ingressus est qui hæc detulit?» Respondit : « Post

« egressum vestrum nullus hic hominum accessum habuit, sed ostiis munitis « claves mecum retinui, donec surgerem ad commovendum signum.» Tunc stupens abbas cum monachis munus cæleste intellexit, gratiasque agens Deo collegit, comparatisque victui necessariis plebem sibi creditam affluenter refecit. Nec mirum si beata Virgo sine labore servis suis protulit victum quæ, sine coitu viri concipiens, virgo mansit et post partum.

L'abbaye n'est pas désignée; mais on voit par les paroles de l'abbé et par la dernière phrase que c'était un monastère consacré à la Vierge. L'auteur de la rédaction en vers qu'on lira plus loin a voulu préciser : il identifie cet établissement avec l'église de Sainte-Marie latine, située tout auprès du Saint-Sépulcre, non loin de l'hôpital fondé par Charlemagne pour les pèlerins et du marché : N'est guaires loing de l'Ospital, | Endreit la rue est del Sepulchre | U Surïan vendent lu czucre. Suit une longue énumération des marchandises qu'on vendait en la rue du Saint-Sépulcre. L'emplacement de Sainte-Marie latine est fort exactement fixé, comme on pourra s'en convaincre en jetant les yeux sur l'ancien plan de Jérusalem reproduit en fac-similé, d'après un manuscrit du xire siècle, dans le tome III des Historiens occidentaux des croisades (1), ou sur le plan dressé par M. le marquis de Vogüé, d'après les documents du moyen âge, à la fin de ses Églises de la Terre-Sainte (Paris, 1860). On peut citer ici un passage de la description de Jérusalem qu'Ernoul a introduite dans sa chronique. C'est un document qui, pour le fond, est antérieur à la prise de Jérusalem par les Sarrasins en 1187(2):

A seniestre del Cange treuve on une rue toute couverte a vaute qui a non li rue des herbes. La vent on le fruit de la ville et les herbes et les espesses.

A main diestre de cel marcié sont les escopes des orfevres Suriiens..... Au cief de ces escopes a une abbeïe c'on apiele Sainte Marie le grant, si est de nonnains.

(1) Planche II en face de la page 510. (2) Édition de Mas Latrie (Soc. de l'Hist. de France), p. 193; Itinéraires à Jérusalem (Soc. de l'Orient latin), p. 34-35. M. Riant pense que ce texte a été retouché après TOME XXXIV, 2o partie.

1187 (Itinéraires, p. xvj). Mais le passage
que je cite ne paraît pas avoir été remanié.
Voir, sur l'hôpital et sur Sainte-Marie
latine, l'ouvrage précité de M. le marquis
de Vogué, ch. v (p. 247 et suiv.).

6

IMPRIMERIE NATIONALE.

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