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NOTICE

SUR

UN MANUSCRIT
D'ORLÉANS.

Après cele abeïe treuve on une abeïe de moines noirs c'on apiele Sainte Marie la latine. Après treuve on le maison de l'Hospital.

A la suite de son énumération des marchandises exposées dans la rue du Sépulcre, l'auteur donne une autre indication topographique d'une grande précision : « Très variée, dit-il, est la richesse qu'on vend « en la rue voûtée. Molt est diverse la divice | Qu'oem vent en la rue voltice. Cette « rue voûtée » n'est point autre que la rue « toute couverte «a vaute », autrement dite « la rue des Herbes», mentionnée dans le passage qu'on vient de lire. Il paraît bien que cette rue existe encore. M. de Vogüé, qui l'a constaté, cite à ce propos un texte de 1144, plus ancien par conséquent que la description conservée par Ernoul, où la même rue est ainsi désignée : « Voltas concambii Hospitalis... « in via quæ ducit ad Montem Sion (1). »

Faut-il conclure de l'exactitude des données topographiques que notre poète avait été à Jérusalem? Je n'oserais l'affirmer. Ces notions peuvent avoir été puisées dans quelque description de Jérusalem analogue à celle que je viens de citer, et qui, bien qu'ancienne, n'est pas le premier document de ce genre qu'on possède. Au commencement du xe siècle, plus tôt mème selon quelques-uns (2), le trouvère inconnu qui a composé le Voyage de Charlemagne à Jérusalem s'exprimait ainsi (3):

Quatre meis fut li reis en Jursalem la vile
Il et li duze per, la chiere compaignie...
Comencent un mostier k'est de Sainte Marie.
Li home de la terre la claiment la latine,
Car li lenguage i vienent de trestote la vile (4).

(1) Les églises de la Terre-Sainte, p. 253. (2) Voir notamment G. Paris dans la Romania, IX, 1 et suiv.

(3) Vers 204 et suiv. Je cite d'après le texte corrigé donné dans la seconde édition de M. Koschwitz (1883), que je modifie

sur quelques points. Le même passage a été cité et commenté par G. Paris, Romania, IX, 23.

(4) Ce vers (où li lenguage paraît bien douteux) se rattache mal à ce qui précède. Lacune?

Il i vendent lor pailies, lor teiles et lor siries,
Coste, canele et peivre, altres bones espices,
Et maintes bones herbes que jo ne vos sai dire.

L'énumération des marchandises (ce sont principalement des épices) mises en vente dans la rue du Saint-Sépulcre n'est pas sans intérêt pour la lexicographie. Mais la littérature du moyen âge offre, à une époque moins ancienne, il est vrai, d'autres exemples de listes de ce genre. Ainsi Robert de Blois, en l'un de ses enseignements, décrit ainsi une rue de Ninive où l'on vendait des épices :

Ensi se passent outre droit
Tant qu'il vindrent a la grant rue
Qui richemant fut portendue
De biaux dras et encortinée

Et desouz richemant pavée.
La vendoit on poivre et cumin,
Cannele, encens Alixandrin,
Gengibre fort et cintoual,
Noiz mugates et ganigal (1),
Enis, espices, pomes grenates,
Amandres et figues et dates.

(Bibl. de l'Arsenal, 5021, p. 27.)

Au temps où écrivait Grégoire de Tours, l'église Sainte-Marie latine n'existait pas encore. Notre poète a-t-il trouvé le nom de cette église en quelque rédaction postérieure de ce miracle? Il est permis d'en douter. Je crois qu'il a fait œuvre d'imagination. Il s'est montré bon trouvère. La fin du miracle fait défaut, comme aussi le commencement du suivant, par suite de la perte du feuillet (ou des feuillets) qui occupait le centre du cahier.

Le même miracle a été traité en vers par l'auteur du recueil que renferme le ms. fr. 818. On trouvera cette rédaction dans la notice qui suit celle-ci. Il a aussi fourni la matière d'une des cantigas d'Alphonse X de Castille (2).

(1) Lis. garingal. (2) Cantigas de Santa Maria de Don Alfonso el Sabio. Las publica la real Academia Española (Madrid, 1889, deux vol. in-fol.), n° CLXXXVII.

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3. La page suivante (notre folio 3 ro) est occupée par la fin d'un miracle qu'il n'est pas possible d'identifier. Ce qui en reste consiste en réflexions pieuses qui peuvent s'appliquer à bien des récits de ce genre.

4. La légende de saint Basile, attribuée à Amphilochus, raconte que ce saint évêque alla au-devant de l'empereur Julien, qui passait par Césarée lors de son expédition contre les Perses, et lui offrit en présent trois pains d'orge. L'empereur trouva le présent médiocre, et en retour fit donner du foin à l'évêque. Celui-ci répondit : « Nous avons offert « notre nourriture, et vous nous donnez la nourriture propre aux ani« maux. » Julien se retira irrité, menaçant de détruire la ville à son retour. Mais l'évêque et le peuple se mirent en prière. La Vierge Marie ressuscita Mercure, un chevalier chrétien que Julien avait tué et dont le tombeau était à Césarée. Sorti du tombeau tout armé, ce chevalier alla percer de sa lance l'empereur païen, qui expira en s'écriant : << Galiléen, tu as vaincu!»

Ce miracle a été détaché de la vie de saint Basile et introduit en de nombreux recueils de miracles de la Vierge et en plusieurs compilations. On le trouvera dans le Speculum historiale de Vincent de Beauvais, éd. de Douai (1624), 1. XIV, ch. XLIII, et dans la Légende dorée de Jacques de Varaggio, ch. xxx, où il est intercalé, sans autre motif que la similitude de nom, dans la vie de saint Julien (1). Les versions en langues romanes qu'on en possède sont nombreuses. On peut citer Adgar (éd. Neuhaus, p. 76), le recueil anonyme du ms. Roy. 20. B. xIv (livre I, ch. Iv) au Musée Britannique, Gautier de Coinci (éd. Poquet, col. 399), le recueil du ms. Bibl. nat. fr. 818 (2), les Cantigas d'Alphonse X (éd. de Madrid, no xv). Enfin le mème miracle a été mis sur la scène : c'est le treizième des miracles de Notre-Dame publiés par MM. G. Paris et U. Robert pour la Société des anciens textes français (II, 171).

(1) Éd. Græsse, p. 144. Le compilateur cite, à ce propos, Fulbert de Chartres.

(2) Je publie cette rédaction dans la notice consacrée à ce manuscrit.

Dans les fragments d'Orléans nous n'avons que le commencement du récit, mais c'est assez pour montrer qu'ici comme ailleurs le poète anonyme avait longuement développé sa matière. Pour qu'on en puisse juger, je vais transcrire le texte latin d'après un manuscrit de la vie de saint Basile (1) :

In illo tempore Julianus impius imperator, pergens adversus Persas, venit in partes Cesariensium civitatis. Basilius autem, simul cum coessentibus (2) sibi, obviavit ei, et obtulit ei pro benedictione tres ordaceos panes. Et videns eum imperator dixit : « Superphylosophatus sum te, o Basili. » Qui respondit ei : « Utinam << phylosophareris ! » Imperator autem jussit stipatores suos accipere quidem panes, et reddere ei fenum, dicens: «Hordeum enim pabulum est jumentorum quod << dedit nobis. Recipiat et ipse fenum. » Qui suscipiens dixit ei : «Nos quidem, « o imperator, ex quibus comedimus obtulimus tibi; tu autem ex quibus nutris « irracionabilitatem naturę reddidisti nobis. Voluntaria quidem irridens, non vo«luntaria vero nobis in pastum fecisti hoc fenum (3). » Julianus denique, audiens et in insania factus, dixit ad eum : «Pastio namque istius feni sine ablatione << dabitur tibi. Quando autem Persas subiciens reversus fuero, desolabo civitatem « tuam, et arabo eam, ut fiat triticum ferens magis quam homines ferens (4). Non « enim ignoro audatiam populo a te suasam, ut a me adoratam deam [postquam] <«eam statuerim, non ferens fascinationem confringeret (5) usque in finem. » Et hec dicens pergebat ad Persarum regionem. Regrediens autem in civitatem Basilius et advocans omnem multitudinem, narravit ei imperatoris verba, atque consolator illi fit obtimus dicens: «Pecuniam, fratres, ad nichilum reputantes << salutis vestrę providentiam facite ut, et si datum fuerit tempus tiranno impe«ratori, muneribus eum placemus. » Qui abeuntes in domos suas, que habebant unusquisque eorum in manibus, cum alacritate, attulit ad eum, auri scilicet et argenti, lapidumque preciosorum infinitam multitudinem. Qui, videns alacritatem et obauditionem eorum, posuit ea in gazophilatio, superscribens uniuscujusque nomen, et dicens eis : « Quia prepositorum Dominus potens est, « et illum exterminare et vobis restituere propria. » Statim ergo precepit clero et omni populo civitatis cum mulieribus et infantibus ascendere in montem Didimi, in quo honoratur et adoratur Dei genitricis venerabile templum; et tribus

(1)Il n'est pas à propos de citer le texte donné par les Bollandistes au 14 juin (juin, II, 944), ce texte étant celui d'une version due au P. Combefis.

(2) Vincent: assistentibus.

(3) Ms. feno.

(4) Vincent: homifera. De même Jacques

de Varaggio.

(5) Vincent: constringeret.

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diebus sustinentes (1), postulaverunt Deum dissipari iniqui imperatoris sensum.
Et adhuc postulantibus eis et vigilantibus in oratione contrito corde, vidit Basi-
lius in visu multitudinem militię celestis hinc et inde in monte, et in medio
eorum super thronum gloriosum sedentem quandam in muliebri habitu, et
dicentem ad proxime sibi stantes magnificos viros : « Vocate michi Mercurium,
« et abibit interficere Julianum in filium meum et Deum tumida blaspheman-
« tem. » Sanctus autem cum armatura sua adveniens, jussus ab ea, velociter
abiit. Et advocans que erat in muliebri habitu magnum Basilium, dedit ei li-
brum habentem in historia omnem mundi facturam; deorsum vero hominem
plasmatum a Deo; in principio autem libri superscriptio erat: Dic (2); in fine
autem ejus, ubi plasmatur homo: Parce. Suscipiens namque librum in pre-
sentia ejus, legit usque ad subscriptionem parce. Et continuo, absque somno
factus est, sub timore et gaudio contentus (3). Similem vero visionem mortis
Juliani vidit in ipsa nocte et Libanius sophista, cum esset cum eo in Perside, et
questoris dignitatem perageret. Expavescens ergo visione magnus Basilius, cum
Eubulo solo, evigilans, venit in civitatem; adiensque martirium sancti martiris
Mercurii, in quo et ipse jacebat et arma ejus conservabantur, querens ea et
non inveniens, vocavit custodem et sciscitabatur ab eo ubi illa fuissent. Qui
cum sacramento dicebat vespere ibi ea fuisse, ubi perpetuo conservabantur.
Credidit (4) ergo indubitanter sententię memorabilis pater noster Basilius, quia
vera est visio; et glorificans Deum, qui non despicit confidentes in se, in festi-
natione multa et gaudio inenarrabili recucurrit in montem, adhuc omnibus
dormientibus. Quos excitans ad orationem hortatus est et in voce exultationis
evangelizavit eis ex Deo sibi revelationem factam, et quia ista nocte interfectus
est tirannus; atque, cum omnibus gratias agens Deo, reversus est in civitatem.
Et veniens ad martirium sancti Mercurii invenit lanceam illius sanguine madi-
dam. Et iterum cum omnibus gratias agens Deo, imperavit cunctos venire in
magnam ecclesiam et participare divinę ministrationis.

(Bibl. nat. lat. 5318, fol. 2 v°; XII° siècle (5).)

(1) Vincent: jejunium suscipientes.
(2) Les mots in principio... dic man-
quent dans Vincent.

(3) Vincent: constitutus erat.

(4) La fin est abrégée dans Vincent.

(5) Même texte, sauf des variantes sans importance, dans Vincent de Beauvais. Le

recueil de miracles contenu dans le ms. Bibl. nat. lat. 14463 (fol. 71d) reproduit aussi le même texte, en modifiant les premières phrases. Ailleurs, par ex. dans le ms. Bibl. nat. lat. 5562 (fol. 17 v°), le récit est fort abrégé.

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