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Gais & brillans, après un long repas,'
Deux jeunes gens fe tenant fous les bras,
Lifant tout haut des lettres de leurs Belles,
Leur amitié, leur figure étaloient,

En détonnant quelques chanfons nouvelles ;
Ainfi qu'au Bal, à l'Autel ils alloient:
Nos étourdis pour rien s'y querellerent,
De l'Amitié l'Autel enfanglanterent;
Et le moins fou laiffa, tout éperdu,
Son tendre ami fur la place étendu.

Plus loin, venoient, d'un air de complaifance,
Life & Cloé, qui, dès leur tendre enfance,
Se confioient leurs plaifirs, leurs humeurs,
Et tous ces riens qui rempliffent les coeurs;
Se careffant, fe parlant fans rien dire,
Et, fans fujet, toujours prêtes à rire:
Mais toutes deux avoient le même Amant
A fon nom feul, ô merveille foudaine !
Life & Cloé prirent tout doucement
Le grand chemin du Temple de la Haine.

Enfin Zaïre y parut à fon tour,
Avec ces yeux où languit la moleffe
Où le Plaifir brille avec la Tendreffe.
Ah! que d'ennui, "dit-elle, en ce féjour !
Que fait ici cette trifte Déeffe?

Tout y languit; je n'y vois point l'Amour.
Elle fortit, vingt rivaux la fuivirent,
Sur le chemin vingt Beautés en gémirent;
Dieu fait alors où ma Zaire alla.

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Et la Déeffe en tout lieu célébrée,
Jamais connue & toujours defirée,
Gela de froid fur fes facrés Autels:
J'en fuis fâché pour les pauvres Mortels.

EN VOI.

MON cœur, ami charmant & fage,

Μ

Au vôtre n'étoit point lié,

Lorfque j'ai dit qu'à l'Amitié
Nul Mortel ne rendoit hommage.
Elle a maintenant à fa cour

Deux cœurs dignes du premier âge.
Hélas! Le véritable Amour

En a-t-il beaucoup davantage ?

LANTI-GITON.

Du Théatre aimable Souveraine !
Belle Cloé, fille de Melpomene !
Puiffent ces vers de vous être goûtés!
Amour le veut, Amour les a dictés.

Ce petit Dieu, de fon aile légere,
Un arc en main, parcouroit l'autre jour
Tous les recoins de votre Sanctuaire ;
Car le Théatre appartient à l'Amour :
Tous fes Héros font enfans de Cithére.
Hélas, Amour! que tu fus confterné,
Lorfque tu vis ce Temple profané,
Et ton Rival, de fon culte hérétique,
Etabliffant l'ufage antiphifique,
Accompagné de fes Mignons fleuris,
Fouler aux pieds les myrthes de Cypris!

Cet ennemi, jadis, eut dans Gomore
Plus d'un Autel, & les auroit encore,
Si, par le feu fon Païs confumé,

En Lac un jour n'eût été transformé ;
Ce conte n'eft de la Métamorphofe:
Car gens de bien m'ont expliqué la chofe
Très-doctement, & partant ne veux pas
Mécroire en rien la vérité du cas.
Ainfi que Loth, chaffé de fon azile,

Ce pauvre Dieu courut de Ville en Ville;
Il vint en Grece; il y donna leçon

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Plus d'une fois à Socrate, à Platon;

Chez des Héros il fit fa réfidence,
Tantôt à Romé, & tantôt à Florence;
Cherchant toujours, fi bien vous l'obfervez
Peuples polis, & par art cultivés.
Maintenant donc le voici dans Lutece,
Séjour fameux des effrénés defirs,
Et qui vaut bien l'Italie & la Grece,
Quoiqu'on en dise, au moins pour les plaifirs.
Là, pour tenter notre faible nature,
Ce Dieu paraît fous humaine figure,
Et fi n'a pris Bourdon de Pellerin,
Comme autrefois l'a pratiqué Jupin,

Quand, voïageant au Païs où nous fommes,
Quittoit les Cieux pour éprouver les hommes;
Il n'a point l'air de ce pefant Abbé,
Brutalement dans le vice abforbé,

Qui, tourmentant en tout fens fon espèce,
Mord fon Prochain, & corrompt la Jeuneffe;
Lui, dont l'œil louche, & le muffle effronté,
Font friffonner la tendre volupté;

Et qu'on prendroit, dans fes fureurs étranges,
Pour un Démon qui viole des Anges.

Ce Dieu fçait trop, qu'en un Pedant craffeux,
Le plaifir même eft un objet hideux.

D'un beau Marquis il a pris le visage,
Le doux maintien, l'air fin, l'adroit langage;
Trente Mignons le fuivent en riant;
Philis le lorgne, & foupire en fuiant.

Ce faux Amour fe pavane à toute heure,
Sur le Théatre aux Mufes deftiné,

ой

Où par Racine en triomphe amené,
L'Amour galant choififfoit fa demeure.
Que dis-je? Hélas! l'Amour n'habite plus
Dans ce réduit. Defefpéré, confus

Des fiers fuccès du Dieu qu'on lui préfere,
L'Amour honnête eft allé chez fa mere,
D'où rarement il defcend ici bas.

Belle Cloé, ce

n'ef

que fur vos pas

Qu'il vient encor: Cloé, pour vous entendre, Du haut des Cieux j'ai vu ce Dieu defcendre. Sur le Théatre il vole parmi nous,

Quand, fous le nom de Phédre ou de Monime,
Vous partagez entre Racine & vous

De notre encens le tribut légitime:
Que fi voulez que cet enfant jaloux,
De ces beaux lieux déformais ne s'envole,
Convertiffons ceux, qui devant l'idole
De fon Rival ont fléchi les genoux :
Il vous créa la Prêtreffe du Temple ;
A l'Hérétique il faut prêcher d'exemple:
Vous viendrez donc avec moi dès ce jour
Sacrifier au véritable Amour,

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