A M. LE MARECHAL DE VILLARS.
E me flattois de l'efpérance D'aller goûter quelque repos Dans votre Maifon de plaifance, Mais Vinache a ma confiance : Et j'ai donné la préference, Sur le plus grand de nos Héros, Au plus grand Charlatan de France. Ce difcours vous déplaira fort, Et je confeffe que j'ai tort De parler du foin de ma vie A celui qui n'eut d'autre envie Que de chercher par tout la mort. Mais fouffrez que je vous réponde, Sans m'attirer votre courroux, Qué j'ai plus de raisons que vous, De vouloir refter dans ce Monde: Car fi quelque coup de Canon, Dans vos beaux jours brillans de gloire, Vous eût envoyé chez Pluton,
Voyez la confolation
Que vous auriez dans la nuit noire, Lorfque vous fauriez la façon,
Dont vous auroit traité l'Hiftoire ?
PARIS Vous eût, premierement, Fait un fervice fort célébre, En prefence du Parlement;
* Medecin Empirique.
Et quelque Prélat ignorant Auroit prononcé hardiment Une longue Oraifon funebre, Qu'il n'eût pas fait affurément. Puis en vertueux Capitaine On vous auroit proprement mis Dans l'Eglife de Saint Denis, Entre du Guefclin & Turenne. Mais fi quelque jour, moi chétif, J'allois paffer le noir efquif, Je n'aurois qu'une vile Biere, Deux Prêtres s'en iroient gaïment Porter ma figure légere, Et la loger mefquinement Dans un recoin du Cimetiere; Mes Niéces, au lieu de priere, Et mon Janféniste de Frere, Riroient à mon enterrement; Et j'aurois l'honneur feulement, Que quelque Mufe médifante M'aflubleroit pour un moment, D'une Epitaphe impertinente.
Vous voyez donc très clairement, Qu'il eft bon que je me conferve, Pour être encor témoin long-tems De tous les Exploits éclatans
Que le Seigneur Dieu vous referve.
Très-finguliere Martel !
J'ai pour vous estime profonde ; C'eft dans votre petit Hôtel, C'eft fur vos foupers que je fonde Mon plaifir, le feul bien réel
Qu'un honnête homme ait en ce monde. Il est vrai qu'un peu je vous gronde ; Mais, malgré cette liberté,
Mon cœur vous trouve ,
Femme à peu de femmes feconde; Car, fous vos cornettes de nuit, Sans préjugés & fans faibleffe, Vous logez efprit qui féduit Ce qui tient fort à la Sageffe : Or votre fageffe n'eft pas, Cette pointilleufe Harpie,
Qui raisonne fur tous les cas Et qui, trifte foeur de l'Envie, Ouvrant un gofier édenté
Contre la tendre Volupté,
Toujours prêche, argumente & crie:
Mais celle qui fi doucement,
Sans effort & fans induftrie,
Se bornant toute au fentiment, Sçait jufqu'au dernier moment Répandre un charme fur la vie. Voiez-vous pas de tous côtés De très-décrépites Beautés, Pleurans de n'être plus aimables, Dans leur besoin de paffion, S'affoler de dévotion,
Et rechercher l'ambition D'être bégueules refpectables? Bien loin de cette trifte erreur, Vous avez, au lieu des Vigiles, Des foupers longs, gais & tranquiles, Des vers aimables & faciles, Au lieu des fatras inutiles De Quesnel & de le Tourneur;
Voltaire, au lieu d'un Directeur;
Et pour mieux chaffer toute angoiffe, Au Curé préférant Campra,
Vous avez lóge à l'Opera,
Au lieu de banc dans la Paroiffe: Et ce qui rend mon fort plus doux, C'est que ma maîtreffe, chez vous, La Liberté, fe voit logée: Cette Liberté mitigée,
A l'œil ouvert, au front ferein, A la démarche dégagée, N'étant ni prude, ni catin, Décente, & jamais arrangée, Soûriant d'un foûris badin A ces paroles chatouilleuses, Qui font baiffer un œil malin A Mesdames les Précieuses;
C'est là qu'on trouve la gaîté, Cette foeur de la Liberté, Jamais aigre dans la Satire,
Toujours vive dans les bons mots, Se moquant quelquefois des fots, Et très-fouvent, mais à propos, Permettant au Sage de rire. Que le Ciel béniffe le cours
D'un fort auffi doux que le vôtre, Martel; l'Automne de vos jours
Vaut mieux que le Printemps d'un autre.
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