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Un beau Palais, fait pour moi, c'eft tout dire,
Où tous les Arts foient en foule entaffes,

Où tout le jour je prétends qu'on m'admire.
L'argent eft prêt; je parle, obéiffez.
Il dit, & dort; auffi-tôt la Canaille
Autour de lui s'évertue & travaille.
Certain Maçon, en Vitruve érigé,
Lui trace un Plan d'ornemens furchargé;
Nul veftibule, encor moins de Façade;
Mais vous aurez une longue enfilade;
Vos murs feront de deux doigts d'épaiffeur,
Grands Cabinets, Salon fans profondeur,
Petits Trumeaux, Fenêtres à ma guife,
Que l'on prendrà pour des Portes d'Eglife;
Le tout boife, verni, blanchi, doré,
Et des Badauts, à coup sûr, admiré.

Réveillez-vous, Monseigneur, je vous prie,
Crioit un Peintre; admirez l'induftrie
De mes talens; Raphaël n'eut jamais
Entendu l'Art d'embellir un Palais.
C'est moi qui fais annoblir la Nature:
Je couvrirai Plat-fonds, Voûte, Vouffure,
Par cent Magots travaillés avec foin,
'D'un pouce ou deux, pour être vûs de loin,

"Craffus s'éveille; il regarde, il rédige,
A tort, à droit, regle, approuve, corrige.
A fes côtés, un petit Curieux,

Lorgnette en main, difoit: Tournez les yeux,
Voyez ceci, c'eft pour votre Chapelle;
Sur ma parole, achetez ce Tableau,

Ç'eft

C'est Dieu le pere, en fa gloire éternelle,
Peint galamment dans le goût du Vatau. (4)

Et cependant, un fripon de Libraire,
Des beaux Efprits Ecumeur mercenaire,
Tout Bellegarde à fes yeux étalloit,
Gacon, le Noble, & jufqu'à Desfontaines,
Recueils nouveaux, & Journaux à centaines,
Et Monfeigneur vouloit lire, & bâilloit.

Je crus en être quitte pour ce petit retardement, & que nous allions arriver au Temple, fans autre mauvaise fortune; mais la route eft plus dangereufe que je ne penfois. Nous trouvâmes bien-tôt une nouvelle embuscade.

Tel un Dévot infatigable,

Dans l'étroit chemin du falut,

Eft cent fois tenté par le Diable,
Avant d'arriver à fon but.

C'étoit un Concert que donnoit un Homme de Robe, fou de la Mufique qu'il n'avoit jamais apprife, & encore plus fou de la Mufique Italienne, qu'il ne connaiffoit que par de mauvais airs inconnus à Rome, & eftropiés en France par quelques Filles de l'Opera.

Il faifoit. exécuter alors un long Recitatif Français, mis en Mufique par un Italien qui ne savoit pas notre Langue. En vain on lui remontra que cette efpece de Mufique, qui n'eft qu'une déclamation nottée, eft néceffai

rement

rement affervie au génie de la Langue, & qu'il n'y a rien de fi ridicule que des Scénes Françaises chantées à l'Italienne, fi ce n'eft de l'Italien chanté dans le goût Français.

La Nature feconde, ingénieufe & fage,
Par ces dons partagés, ornant cet Univers

Parle à tous les Humains, mais fur des tons divers.
Ainfi que fon efprit, tout Peuple a fon langage,
Ses fons & fes accens à fa voix ajustés,
Des mains de la Nature exactement notés:
L'oreille heureufe & fine en fent la difference.
Sur le ton des Français, il faut chanter en France?
Aux loix de notre goût, Lully fut fe ranger;
Il embellit notre Art, au lieu de le changer.

Á ces paroles judicieuses, mon homme répondit en fecouant la tête: Venez, venez, dit-il, on va vous donner du neuf. Il fallut entrer, & voilà fon Concert qui commence,

Du grand Lully vingt Rivaux fanatiques,
Plus ennemis de l'Art & du Bon-Sens,
Défiguroient fur des tons glapiffans
Des. Vers Français, en fredons Italiques:
Une Bégueule en lorgnant se pâmoit,
Et certain Fat, yvre de fa parure,
En fe mirant chevrotoit, fredonnoit ;
Et de l'Index battant faux la mefure,
Crioit, brave, lorfque l'on détonnoit,

Nous

Nous fortimes au plus vite; ce ne fut qu'au travers de bien des avantures pareilles, que nous arrivâmes enfin au Temple du Goût.

Jadis en Grece on en pofa

Le fondement ferme & durable:
Puis, jufqu'au Ciel on exhauffa
La faîte de ce Temple aimable;
L'Univers entier l'encenfa;
Le Romain, long-tems intraitablé,
Dans ce féjour s'apprivoisa;
Le Mufulman, plus implacable,
Conquit le Temple, & le rafa.
En Italie on ramaffa

Tous les débris que l'Infidéle
Avec fureur en difperfa.

Bien-tôt FRANÇOIS PREMIER Ofa
En bâtir un fur ce modéle.
Sa Poftérité méprifa
Cette Architecture fi belle;
Richelieu vint, qui répara

Le Temple abandonné par elle.
LOUIS LE GRAND le décora ;

Colbert, fon Miniftre fidéle,

Dans ce Sanctuaire attira

Des Beaux-Arts la Troupe immortelle.

L'Europe jaloufe admira

Ce Temple en fa beauté nouvelle ;
Mais je ne fai s'il durera.

Je pourrois décrire ce Temple
Et détailler les ornemens

Que

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Que le Voyageur y contemple;
Mais n'abufons point de l'exemple
De tant de Faifeurs de Romans.
Sur-tout fuyons le verbiage.
De Monfieur de Félibien,
Qui noye éloquemment un rien
Dans un fatras de beau langage.
Cet Edifice précieux

N'eft point chargé des antiquailles
Que nos très Gothiques Ayeux
Entaffoient autour des murailles
De leurs Temples, groffiers comme eux.
Il n'a point les défauts pompeux
De la Chapelle de Verfailles,
Ce Colifichet faftueux,

Qui du Peuple éblouit les yeux,
Et dont le Connoiffeur fe raille.

Il eft plus aifé de dire ce que ce Temple n'eft pas, que de faire connaître ce qu'il eft. J'ajouterai feulement en general, pour éviter la difficulté.

Simple en étoit la noble Architecture,
Chaque ornement, à fa place arrêté,
Y fembloit mis par la néceffité;

L'art s'y cachoit, fous l'air de la Nature.
L'oeil fatisfait embraffoit fa ftructure,
Jamais furpris, & toujours enchanté.

Le Temple étoit environné d'une foule de Virtuoses, d'Artiftes & de Juges de toute efN

pece

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