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d'oeuvre d'efprit & d'éloquence. Rouffeau banni de France, s'eft brouillé avec tous fes Protecteurs, & a continué de déclamer inutilement contre ceux qui faifoient honneur à la France par leurs Ouvrages, comme Mrs. de Fontenelle, Crebillon, Destouches, Dubos &c.

(13) Leibnitz, né à Leipzik le 23. Juin 1646. mort à Hanovre le 14. Novembre 1716. Nul Homme de Lettres n'a fait tant d'honneur à l'Allemagne. Il étoit plus univerfel que Neuton, quoiqu'il n'ait peut-être pas été fi grand Mathématicien. Il joignoit à une profonde étude de toutes les parties de lá Phyfique, un grand goût pour les Belles-Lettres; il faifoit même des Vers Français. Il a paru s'égarer en Métaphyfique; mais il a celá de commun avec tous ceux qui ont voulu faire des Syftêmes. Au refte, il dut fa fortune à fa réputation. Il jouiffoit de groffes Penfions de l'Empereur d'Allemagne, de celui de Mofcovie, du Roi d'Angleterre & de plufieurs autres Souverains.

(14) Charles Rollin, ancien Recteur de l'Univerfité & Profeffeur Royal, eft le premier homme de l'Univerfité, qui ait écrit purement en Français pour l'Inftru&tion de la Jeuneffe, & qui ait recommandé' l'étude de notre Langue, fi néceffaire & cependant fi négligée dans les Ecoles. Son Livre du Traité des Etudes, refpire le bon goût, & la faine Littérature prefque par-tout. On lui reproche feulement de defcendre dans des minuties. Il ne s'eft guére éloigné du bon goût que quand il a voulu plaifanter, Tom. 3. pag. 305. en parlant de Cyrus. Auffi-tôt, dit-il, on équippe le petit Crus en Echanfon il s'avande gravement la ferviette fur l'épaule, & tenant la Coupe délicatement entre trois doigts; J'ai apprehendé, dit le petit Cyrus, que cette liqueur ne fût du poifon. Comment cela? Oui, mon Papa. Et en un autre endroit, en parlant des Jeux qu'on peut permettre aux Enfans. Une bale, un balon, un fabot, font fort de leur goût. Depuis le toit jufqu'à la Cave, tout parloit Latin chez Robert Etienne. Il feroit à fouhaiter qu'on corrigeât ces mauvaises plaifanteries, dans la premiere Edition qu'on fera de ce Livre, fi eftimable d'ailleurs. (15) Girardon mettoit dans fes Statues plus de grace, & Puget plus d'expreffion. Les Bains d'Apollon font de

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Girar

Girardon; mais il n'a pas fait les Chevaux, ils font de Marfy, Sculpteur digne d'avoir mêlé fes travaux avec Girardon. Le Milon & le Gladiateur font de Puget.

(16) Le Pouffin, né aux Andelis en 1594., n'eut de Maître que fon génie, & quelques Eftampes de Raphael, qui lui tomberent entre les mains. Le defir de confulter la belle Nature dans les Antiques le fit aller à Rome, malgré les obftacles qu'une extrême pauvreté mettoit à ce Voyage. Il y fit beaucoup de Chef-d'oeuvres, qu'il ne vendoit que fept Ecus pièce. Appellé en France par le Secretaire d'Etat Desnoyers, il y établit le bon goût de la Peinture; mais perfécuté par fes envieux, il s'en retourna à Rome, où il mourut avec une grande réputation, & fans fortune. Il a facrifié le Coloris à toutes les autres parties de la Peinture. Ses Sacremens font trop gris; cependant il y a dans le Cabinet de Mr. le Duc d'Orleans un raviffement de St. Paul, du Pouffin, qui fait pendant avec la vifion d'Ezechiel, de Raphael, & qui eft d'un coloris affez fort. Ce Tableau n'eft déparé du tout par celui de Raphael, & on les voit tous deux, avec un égal plaisir.

(17) Le Brun, Difciple de Nouet, n'a péché que dans le Coloris. Son Tableau de la Famille d'Alexandre eft beaucoup mieux coloré que fes Batailles. Ce Peintre n'a pas un fi grand goût de l'Antique que le Pouffin & Raphael; mais il a autant d'invention que Raphael, & plus de vivacité que le Pouffin. Les Eftampes des Batailles d'Alexandre font plus recherchées que celles des Batailles de Conftantin par Raphael & par Jules Romain.

(18) Eustache le Sueur étoit un excellent Peintre, quoiqu'il n'eût point été en Italie. Tout ce qu'il a fait étoit dans le grand goût; mais il manquoit encore de beau Coloris.

Ces trois Peintres font à la tête de l'Ecole Française.

(19) Rubens égale le Titien pour le Coloris; mais il eft fort au-deffous de nos Peintres Français pour la correction du deffein.

(20) Segrais eft un Poëte très-faible; on ne lit point fes Eglogues, quoique Boileau les ait vantées.

Son

Son Enéïdé eft écrite du ftile de Chapelain. Il y a un Opera de lui. C'eft Rolland & Angélique fous le titre de l'Amour guéri par le Tems. On voit ces Vers dans le Prologue:

Pour couronner leur tête.

En cette Fête,
Allons dans nos Jardins,
Avec les Lys de Charlemagne
Affembler les Jasmins

Qui parfument l'Espagne.

La Zaïde eft un Roman purement écrit, & entre les mains de tout le monde; mais il n'eft pas de lui.

(21) Voici ce que Mr. Huet Evêque d'Avranches rapporte, pag. 204. de fes Commentaires, Edition d'Amfterdam. Me. de la Fayette négligea fi fort la gloire qu'elle méritoit, qu'elle laiffa fa Zaide paroître fous le nom de Segrais; & lorfque j'eus rapporté cette Anecdote, quelques Amis de Segrais, qui ne favoient pas la vérité, fe plaignirent de ce trait, comme d'un outrage fait à fa mémoire. Mais c'étoit un fait dont j'avois été long-tems témoin oculaire, & c'eft ce que je fuis en état de prouver, par plufieurs Lettres de Me. de la Fayette & par l'Original du Manufcrit de Zaide, dont elle m'envoyoit les feuilles à mesure qu'elle les compofoit.

(22) Voici ce que Péliffon rapporte comme des Bons-mots. Sur ce qu'on parloit de marier Voiture, fils d'un Marchand de Vin, à la fille d'un Pourvoyeur de chez le Roi.

O que ce beau couple d'Amans
Va goûter de contentement!
Que leurs délices feront grandes,
Ils feront toujours en Feftin;
Car fi la Prou fournit les viandes
Voiture fournira le Vin!

Il

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Il ajoute que Madame Desloges jouant au jeu des Proverbes, dit à Voiture: Celui-ci ne vaut rien, perceznous-en d'un autre. Son Hiftoire de l'Académie eft remplie de pareilles minuties, écrites languiffamment, & ceux qui lifent ce Livre fans prévention, font bien étonnés de la réputation qu'il a eue; mais il y avoit alors quarante Perfonnes intereffées à le louer.

(23) On fait à quel point St. Evremond étoit mauvais Poëte. Ses Comédies font encore plus mauvaifes. Cependant il avoit tant de réputation, qu'on lui offrit cinq cens Louis pour imprimer fa Comédie de Sir Politick.

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(24) Voiture eft celui de tous ces Illuftres du tems paffé qui eut le plus de gloire, & celui dont les Ouvrages le méritent le moins, fi vous en exceptez 4 ou s petites Piéces de Vers, & peut-être autant de Lettres. Il paffoit pour écrire des Lettres mieux que Pline, & fes Lettres ne valent guére mieux que celles de le Pays & de Bourfaut. Voici quelques-uns de fes traits: Lorfque vous me déchirez le cœur, & que vous le mettez en mille pièces, il n'y en a pas une qui ne foit à vous, & un de vos fouris confit mes ,, plus ameres douleurs. Le regret de ne vous plus ,, voir me coûte, fans mentir, plus de cent mille lar,, mes. Sans mentir, je vous conféille de vous faire "Roi de Madére. Imaginez-vous le plaifir d'avoir un Royaume tout de Sucre. A dire le vrai nous y vivrions avec beaucoup de douceur.

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Il écrit à Chapelain : » Et notez quand il me vient ,, en la penfée, que c'eft au plus judicieux Homme de notre Siécle, au Pere de la Líonne & de la Pucelle que j'écris, les cheveux me dreffent fi fort à la tête qu'ils femblent d'un Hériffon. Souvent rien n'eft fi plat que fa Poëfie.

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Nous trouvâmes près Sercotte,
Cas étrange, & vrai, pourtant,
Des Boeufs qu'on voyoit broutant
Deffus le haut d'une Motte;
Et plus bas quelques Cochons
Et bon nombre de Moutons.

Ce

Cependant Voiture a été admiré, parce qu'il eft venu dans un tems, où l'on commençoit à fortir de la Barbarie, & où l'on couroit après l'Efprit fans le connoître. Il eft vrai que Despréaux l'a comparé à Horace; mais Defpréaux étoit alors jeune. Il payoit volontiers ce tribut à la réputation de Voiture, pour attaquer celle de Chapelain, qui paffoit alors pour le plus grand Génie de l'Europe.

(25) Il écrivit au Roi: Sire, un Homme comme moi qui a de la naiffance, de l'efprit & du courage. j'ai de la naiffance, & l'on dit que j'ai de l'efprit pour faire eftimer ce que je dis.

...

(26) L'Abbé de Chaulieu dans une Epître au Marquis de la Farre, connue dans le Public fous le titre du Déifte, dit;

J'ai vu de près le Styx, j'ai vu les Euménides,
Déja venoient frapper mes oreilles timides

Les affreux cris du Chien de l'Empire des Morts.

Le moment d'après il fait le portrait d'un Confeffeur, & parle du Dieu d'Ifraël. Dans une autre Piéce fur la Divinité, il dit:

D'un Dieu, moteur de tout, j'adore l'existence. Ainfi l'on doit paffer avec tranquillité

Les ans que nous départ l'aveugle Deftinée.

On trouve dans fes Poëfies beaucoup de contradiЄtions pareilles. Il n'y a pas trois Piéces écrites avec une correction continue; mais les beautés de fentiment & d'imagination qui y font répandues en rachetent les défauts.

L'Abbé de Chaulieu mourut en 1720. âgé de près de 80. ans, avec beaucoup de courage d'efprit.

(27) Le Marquis de la Farre, Auteur des Mémoires qui portent fon nom, & de quelques Piéces de Poefie, qui refpirent la douceur de fes moeurs, étoit plus aimable homme, qu'aimable Poete. Il eft mort en 1718. Ses Poëfies font imprimées à la fuite des Oeu

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