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DISCOURS

EN VERS

SUR L'HOMME,

AVERTISSEMENT

DE

L'EDITEUR.

Ous donnons cette fuite de Difcours en qui eft parvenue entre nos mains, & dont plufieurs ont été déja imprimés d'une maniere très-fautive.

Le premier Difcours prouve l'égalité des conditions, c'eft-à-dire, qu'il y a dans chaque Profession une mefure de biens & de maux, qui les rend toutes égales.

Le fecond, que l'homme eft libre qu'ainfi c'eft à lui à faire fon bonheur.

&

Le troifiéme, que le plus grand obstacle au bonheur, eft l'envie.

Le quatrième, que pour être heureux, il faut être modéré en tout.

Le cinquième, que le plaifir vient de Dieu. Le fixiéme, que le bonheur parfait ne peut être le partage de l'homme en ce monde; & que l'homme n'a point à fe plaindre de fon état.

PREMIER

ད་་

PREMIER DISCOURS,

De l'égalité des Conditions.

A MI, dont la vertu toujours facile & pure,

A fuivi par raison l'instinct de la Nature,
Qui fçais à ton état conformer tes defirs,
Satisfait fans fortune, & fage en tes plaifirs:
Heureux qui, comme toi, docile à fon génie,
Dirigea prudemment la courfe de fa vie!

Son cœur n'entend jamais la voix du repentir:
Enfermé dans fa sphere, il n'en veut point fortir.
Les états font égaux, mais les hommes différent :
Où l'imprudent périt, les habiles profperent.
Le bonheur eft le port où tendent les humains.
Les écueils font fréquens, les vents font incertains.
Le Ciel, pour aborder cette rive étrangere,
Accorde à tout mortel une barque légere,
Ainfi que les fecours, les dangers font égaux:
Qu'importe, quand l'orage a foulevé les eaux,
Que ta pouppe foit peinte, & que ton mât déploie
Une voile de pourpre & des cables de foie.
L'art du Pilote eft tout; &, pour dompter les vents,
Il faut la main du Sage, & non des ornemens.

Eh quoi! me dira-t-on ; quelle erreur eft la vôtre?
N'eft-il aucun état plus fortuné qu'un autre ?
Le Ciel a-t-il rangé les mortels au niveau ?
La femme d'un Commis, courbé fur fon bureau,

Vaut-elle une Princeffe auprès du Trône affife?
N'est-il pas plus plaifant pour tout homme d'Eglife,
D'orner fon front tondu d'un chapeau rouge ou vert,
Que d'aller, d'un vil froc obfcurément couvert,
Recevoir à genoux, après Laude ou Matine,
De fon Prieur cloîtré vingt coups de difcipline?
Sous un triple mortier, n'eft on pas plus heureux
Qu'un Clerc enfeveli dans un Greffe poudreux ?
Non; Dieu feroit injufte ; & la fage Nature,
Dans fes dons partagés, garde plus de mefure.
Penfe-t-on qu'ici bas fon aveugle faveur
Au char de la Fortune attache le bonheur ?
Jamais un Colonel n'auroit donc l'impudence
D'égaler en plaifirs un Maréchal de France?
L'Empereur est toujours, grace à tant de grandeurs,
Plus fortuné, lui feul, que les fept Electeurs :
Et le Roi des Romains feroit un téméraire,

De prétendre un moment au bonheur du Saint Pere.
Croi moi; Dieu, d'un autre oil, voit les faibles

humains,

Formés tous du limon qu'ont animé fes mains.
Admirons de fes dons le différent partage:
Chacun de fes enfans reçut un héritage.
Le terrain le moins vafte a fa fécondité;
Et l'ingrat qui fe plaint eft feul déshérité.
Poffédons fans fierté, fubiffons fans murmure
Le fort que nous a fait l'Auteur de la Nature.
Dieu, qui nous a rangé fous différentes loix,
Peut faire autant d'heureux, non pas autant de Rois,

ON dit, qu'avant la Boëte apportée à Pandore, Nous étions tous égaux; nous le fommes encore,

Avoir les mêmes droits à la félicité,

C'est pour nous la parfaite & feule égalité.

Vois-tu dans ces vallons ces Esclaves champêtres, Qui creufent ces rochers, qui vont fendre ces Hê

tres;

Qui détournent ces eaux; qui, la bêche à la main,
Fertilisent la terre en déchirant fon fein;
Ils ne font point formés fur le brillant modele
De ces Pafteurs galans qu'a chantés Fontenelle.
Ce n'eft point Timarette, & le tendre Tircis,
De roses couronnés, fous des mirthes affis,
Entrelaffant leurs noms fur l'écorce des Chênes;
Vantant avec efprit leurs plaifirs & leurs peines.
C'eft Pierrot, c'eft Colin, dont le bras vigoureux
Souleve un char tremblant dans un foffé bourbeux.
Perrette au point du jour eft aux champs la pre-
miere.

Je les vois haletans, & couverts de pouffiere,
Bravant dans ces travaux, chaque jour répétés,
Et le froid des Hivers, & les feux des Etés;
Ils chantent cependant, leur voix fauffe & ruftique,
Gayement de Pellegrin détonne un vieux cantique.
La paix, le doux fommeil, la force, la fanté,
Sont le fruit de leur peine & de leur pauvreté.
Si Colin voit Paris, ce fracas de merveilles,
Sans rien dire à fon cœur, affourdit fes oreilles :
Il ne defire point ces plaifirs turbulens;

Il ne les conçoit pas; il regrette ses champs.
Dans fes champs fortunés l'Amour même l'appelle;
Et tandis que Damis, courant de belle en belle,
Sous des lambris dorés, & vernis par Martin,
Des intrigues du temps compofant fon deftin,

Duppé

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