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UN Monarque de l'Inde, honnête homme & peu
fage,

Vers les rives du Gange, après un long orage,
Voyant de vingt Vaiffeaux les débris difperfés,
Des mâts demi rompus, & des morts entaffés,
Fit fermer par pitié le Port de fon rivage;
Défendit que jamais par un profane usage,
Les Pins de fes Forêts, façonnés en Vaiffeaux,
Portaffent fur les mers à des Peuples nouveaux
Les fruits trop dangereux de l'humaine avarice.
Un bonze l'applaudit, on vanta fa justice;
Mais bientôt trifte Roi d'un Etat indigent,
Il fe vit fans pouvoir, ainfi que fans argent.
Un voifin moins bigot, & bien plus fage Prince,
Conquit en peu de tems fa ftérile Province:
Il rendit la mer libre, & l'Etat fut heureux.

JE fuis loin d'en conclure, orateur dangereux,
Qu'il faut lâcher la bride aux paffions humaines ;
De ce courfier fougueux je veux tenir les rênes;
Je veux que ce torrent par un heureux fecours,
Sans inonder mes champs les abreuve en fon cours.
Vents épurez les airs, & fouflez fans tempêtes;
Soleil fans nous brûler, marche & luis fur nos têtes.
Dieu des êtres penfans, Dieu des cœurs fortunés,
Confervez les defirs que vous m'avez donnés,
Ce goût de l'amitié, cette ardeur pour l'étude,
Cet amour des beaux arts & de la folitude:
Voilà mes paffions. Vous qui les approuvés,
Vous, l'honneur de ces arts par vos mains cultivés,
Vous, dont la paffion nouvelle & genereufe,
Eft d'éclairer la terre & de la rendre heureufe ;'

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70 Cinquiéme Difcours, fur la nature du plaifir.

Grand Prince, efprit fublime, heureux prefent du

ciel,

Qui connaît mieux que vous les dons de l'Eternel ?
Aidez ma voix tremblante & ma lire affaiblie,
A chanter le bonheur qu'il répand fur la vie.
Qu'un autre en frémiffant craigne fes cruautés,
Un coeur aimé de vous ne fent que fes bontés.

SIXIEME

SIXIEME DISCOURS,

DE LA NATURE DE L'HOMME.

LA voix de la vertu préfide à tes concerts,

Elle m'apelle à toi par le charme des Vers.

Ta grande étude eft l'homme, & de ce Labyrinthe
Le fil de la raifon te fait chercher l'enceinte.
Montre l'homme à mes yeux: honteux de m'ignorer,
Dans mon être, dans moi, je cherche à pénétrer.
Defpréaux & Pafeal en ont fait la Satyre,
Pope & le grand Leibnits moins enclins à médire,
Semblent dans leurs écrits prendre un fage milieu,
Ils defcendent à l'homme, ils s'élevent à Dieu.
Mais quelle épaiffe nuit voile encore la nature ?
Sois l'Oedipe nouveau de cette enigme obfcure.
Chacun a dit fon mot, on a long-tems rêvé,
Le vrai fens de l'énigme eft-il enfin trouve?

JE SÇAIS bien qu'à fouper chez Laïs ou Catulle,
Cet examen profond paffe pour ridicule.
Là pour tout argument quelques couplets malins
Exercent plaifamment nos cerveaux libertins.
Autre tems, autre étude, & la raison severe
Trouve accès à fon tour, & peut ne point déplaire
Dans le fond de fon cœur, on fe plait à rentrer,
Nos yeux cherchent le jour, lent à nous éclairer,
Le grand monde eft léger, inappliqué, volage,
Sa voix trouble & féduit; eft-on feul, on eft fage.

Je veux l'être, je veux m'élever, avec toi
Des fanges de la terre au Trône de fon Roi.
Montre moi fi tu peux cette chaine invifible,
Du monde des efprits & du monde fenfible,
Cet ordre fi caché de tant d'êtres divers,
Que Pope après Platon, crut voir dans l'Univers.

Vous me preffez en vain. Cette vafte fcience, Ou paffe ma portée, ou me force au filence. Mon efprit refferré fous le compas Français, N'a point la liberté des Grecs & des Anglais. Pope a droit de tout dire, & moi je dois me taire, A Bourge un Bachelier peut percer ce mystere. Je n'ai point mes degrez, & je ne prétends past Hafarder pour un mot de dangereux combats. Ecoutés feulement un récit véritable, Que peut-être Fourmont prendra pour une fable. Et que je lûs hier dans un livre Chinois, Qu'un Jefuite à Pequin traduifit autrefois.

Un jour quelques Souris fe difoient l'une à l'autre, Que ce monde eft charmant! quel empire eft le nô

tre?

Ce Palais fi fuperbe eft élevé pour nous,

De toute éternité, Dieu nous fit ces grands trous.
Vois-tu ces gras Jambons fous cette voûte obfcure,
Ils y furent créés des mains de la nature.
Čes Montagnes de lard, éternels alimens,
Sont pour nous en ces lieux, jufqu'à la fin des tems,
Oui,

*Homme très-fçavant dans l'Histoire des Chinois, & même dans leur Langue.

Oui, nous fommes, grand Dieu! fi l'on en croit nos fages,

T

Le chef-d'œuvre, la fin, le but de tes ouvrages. Les Chats font dangereux & prompts à nous manger, Mais c'eft pour nous inftruire & pour nous corriger.

PLUS loin, fur le duvet d'une herbe renaiffante, Près des bois, près des eaux, une troupe innocente De Canards nazillans, de Dindons rengorgés, De gros Moutons bêlans, que leur laine a chargés, Difoient, Tout eft à nous, Bois, Prez, Etangs, Montagnes,

Le Ciel, pour nos befoins, fait verdir les Campa

gnes.

L'Afne paiffoit auprès, & fe mirant dans l'eau,

Il rendoit grace au ciel, en fe trouvant fi beau.
Pour les Afnes, dit-il, le Ciel a fait la Terre,
L'Homme eft né mon esclave, il me panfe, il me
ferre.

Il m'étrille, il me lave, il prévient mes defirs,
Il bâtit mon Sérail, il conduit mes plaifirs.
Refpectueux témoin de ma noble tendreffe,
Miniftre de ma joye, il m'amène une Aneffe,
Et je ris quand je vois cet Efclave orgueilleux,
Envier l'heureux don que j'ai reçû des Cieux,

L'HOMME Vint, & cria, Je fuis puiffant & fage, Cieux, Terres, Elemens, tout eft pour mon ufage, L'Ocean fut formé pour porter mes Vaiffeaux,

Les Vents font mes Couriers, les Aftres mes flam

beaux;

Ce

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