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jamais vû, c'eft en Hollande. Quand deux hommes veulent plaider l'un contre l'autre, ils font obligés d'aller d'abord au Tribunal des Juges Conciliateurs, apellés Faifeurs de paix. Si les Parties arrivent avec un Avocat & un Procureur, on fait d'abord retirer ces derniers, comme on ôte le bois d'un feu qu'on veut éteindre. Les Faiseurs de paix disent aux Parties: Vous êtes de grands fous de vouloir manger votre argent à vous rendre mutuellement malheureux; nous allons vous accommoder fans qu'il vous en coûte rien. Si la rage de la chicane eft trop forte dans ces Plaideurs, on les remet à un autre jour, afin que le temps adouciffe les Simptomes de leur maladie ; enfuite les Juges les envoïent chercher une seconde, une troifiéme fois; fi leur folie eft incurable, on leur permet de plaider, comme on abandonne à l'amputation des Chirurgiens des membres cangrénés, alors la Justice fait sa main.

Il n'eft pas néceffaire de faire ici de longues déclamations, ni de calculer ce qui en reviendroit au genre humain, fi cette Loi étoit adoptée. D'ailleurs je ne veux point aller fur les brifées de Monfieur l'Abbé de Saint P.... dont un Miniftre plein d'efprit appelloit les projets, les rêves d'un homme de bien. Je fcais que fouvent un Particulier qui s'avife de propofer quelque chofe pour le bonheur public, fe fait berner. On dit: De quoi se mêle-t-il? Voilà un plaifant homme, de vouloir que nous

foïons

foïons plus heureux que nous ne fommes ! Ne fçait-il pas qu'un abus eft toujours le patrimoine d'une bonne partie de la Nation? Pourquoi nous ôter un mal où tant de gens trouvent leur bien? A cela je n'ai rien à répondre.

DE

DE LA GLOIRE,

OU

ENTRETIEN AVEC UN CHINOIS.

N 1723. il y avoit en Hollande un Chi

EN

nois; ce Chinois étoit lettré & Négociant; deux chofes qui ne devroient point du tout être incompatibles, & qui le font devenues chez nous, graces au refpect extrême qu'on a pour l'argent, & au peu de confidération que l'efpece humaine a montré, montre & montrera toujours pour le mérite.

Ce Chinois, qui parloit un peu Hollandais, fe trouva dans une Boutique de Libraire avec plufieurs Sçavans; il demanda un livre; on lui propofa l'Hiftoire Univerfelle de M. Boffuet, mal traduite. A ce beau mot d'Hiftoire Univerfelle, Je fuis, dit-il, trop heureux; je vais voir ce qu'on dit de notre grand Empire, de notre Nation, qui fubfifte en Corps de Peuple depuis plus de cinquante mille ans, de cette fuite d'Empereurs qui ont gouverné tant de Siécles; je vais voir ce qu'on penfe de la Religion, des Lettrés, de ce culte fimple que nous rendons à l'Etre fuprême. Quel plaifir de voir comme on parle en Europe de nos Arts, dont plufieurs font plus anciens chez nous que tous les Roïaumes Euro

F

péans!

&

péans! Je croi que l'Auteur fe fera bien mé pris dans l'histoire de la Guerre que nous eûmes il y a 22552. ans, contre les Peuples Belliqueux de Tunquin & du Japon, fur cette Ambaffade folemnelle, par laquelle le puiffant Empereur du Mogol nous envoïa demander des Loix, l'an du Monde 500000000000079123450000. Hélas! lui dit un des Sçavans, on ne parle pas feulement de vous dans ce Livre; vous êtes trop peu de chofe; prefque tout roule fur la premiere Nation du Monde, l'unique Nation, le Peuple élû, le Peuple Juif.

Juif! dit le Chinois; ces Peuples-là font donc les maîtres des trois quarts de la Terre au moins? Ils fe flattent bien qu'ils le feront un jour, lui répondit-on; mais, en attendant, ce font eux qui ont l'honneur d'être ici Marchands Fripiers, & de rogner quelquefois les espèces. Vous vous moquez, dit le Chinois; ces Peuples-là ont-ils jamais eu un vafte Empire? Ils ont poffédé, lui dis-je, en propre, pendant quelques années, un petit Païs; Mais ce n'eft point par l'étendue des Etats qu'il faut juger d'un Peuple, de même que ce n'eft point par les richeffes qu'il faut juger d'un homme. Mais, ne parle-t-on pas de quelqu'autre Peuple dans ce Livre, demanda le Lettré? Sans doute, dit le Sçavant, qui étoit auprès de moi, & qui prenoit toujours la parole: On y parle beaucoup d'un petit Païs de quatre-vingt lieues de large,

nommé

Hommé l'Egypte, où l'on prétend qu'il y avoit un lac de cent cinquante lieues de tour. Tu-Dieu! dit le Chinois, un lac de cent cinquante lieues, dans un terrain qui en avoit quatre-vingt de large ! Cela eft bien beau! Tout le monde étoit fage dans ce Païs-là, ajouta le Docteur. Oh, le bon temps que c'étoit ! dit le Chinois. Mais, eft-ce là tout? Non, repliqua l'European; Il eft tant question encore de ces célébres Grecs! Qui font ces célébres Grecs? dit le Lettré. Ah! continua l'autre, il s'agit de cette Province, à-peu-près grande comme la deux centiéme partie de la Chine, mais qui a fait tant de bruit dans tout l'Univers. Jamais je n'ai ouï parler de ces gens-là, ni au Mogol, ni au Japon, ni dans la grande Tartarie, dit le Chinois d'un air ingénu.

Ah, ignorant! Ah, barbare! s'écria poliment notre Sçavant; vous ne connaiffez donc point Epaminondas le Thébain, ni le Port de Pirée, ni le nom des deux chevaux d'Achille, ni comment fe nommoit l'Afne de Silene? Vous n'avez entendu parler, ni de Jupiter, ni de Diogene, ni de Laïs, ni de Cibele, ni de...

J'ai bien peur, répliqua le Lettré, que vous ne fçachiez rien de l'avanture, éternellement mémorable, du célebre Xixofou Concochigramku, ni des mifteres du Grand Fipfihihi. Mais, de graces, quelles font encore les chofes inconnues dont traite cette Hiftoire Univerfelle. Alors le Sçavant parla un quart F 2 d'heure

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