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que toujours une grandeur réelle qu'il ne faut pas méconnaitre sous la forme déjà scholastique qui les enveloppe. Souvenons-nous, pour être justes, que le christianisme se développa au milieu du mouvement mystique des néoplatoniciens d'Alexandrie. Il y eut d'abord lutte entre les deux doctrines, puis tentative de conciliation. Le christianisme vainqueur anéantit le néoplatonisme comme secte, mais l'absorba comme doctrine. Ce n'est donc pas au principe chrétien, mais à l'influence orientale qu'il faut imputer la direction mystique et abstruse de certaines querelles théologiques. Il faut remarquer d'ailleurs que dans l'Occident, et spécialement dans les Gaules, les discussions dogmatiques échappèrent en partie aux arguties minutieuses du Bas-Empire. Il y a toujours eu dans l'esprit gaulois une tendance pratique qui l'a préservé des aberrations de la sophistique grecque. Saint Irénée est peu métaphysicien, c'est encore un apôtre; Lactance est plus orateur que théologien; saint Hilaire de Poitiers, l'Athanase de l'Occident, est l'avocat véhément de la Trinité; enfin, le grand évêque de Milan, Ambroise, né aussi en Gaule, à Trèves, est l'homme d'action et de gouvernement par excellence. Il n'écrit que pour diriger; il élève la chaire épiscopale à l'importance d'une magistrature politique. Tour à tour ambassadeur et tribun, il soutient les intérêts du jeune Valentinien auprès du tyran Maxime, oppose son éloquence comme une barrière à la première des invasions, blâme hautement un crime de Théodose, et soumet l'empereur à la pénitence publique. Ainsi commence à se dessiner en face de l'autorité temporelle le rôle que va jouer l'épiscopat, rôle qui ne fera que grandir en présence des royautés barbares. Ainsi se pose déjà cette autorité morale du clergé, souvent abusive sans doute, mais en somme utile et bienfaisante dans des siècles où la puissance religieuse pouvait seule arrêter les abus cruels de la force. C'est déjà le droit divin de la capacité, interprète de la raison et de la justice, qui s'oppose à l'usurpation des passions brutales.

Prédication.

L'instrument principal de cette domination spirituelle fut

un nouveau genre d'éloquence appelé à de hautes destinées dans les lettres françaises, je veux parler de la prédication. Les Pères de l'Église grecque avaient été les disciples d'Homère aussi bien que de Jésus-Christ; c'étaient des chrétiens sans doute, mais c'étaient aussi des Hellènes, et même un peu des Orientaux. Subtils dans la discussion du dogme, ils déployaient dans l'enseignement de la morale l'imagination la plus riche, l'éloquence la plus pompeuse. La prédication de l'Église latine revêtit un caractère différent : elle n'eut plus rien de littéraire et ne visa qu'à l'action. Instruire une réunion de fidèles, leur donner de bons et sages conseils, telle est l'unique pensée des évêques et des missionnaires de l'Occident. Ils vont toujours droit au fait: ils ne craignent pas les redites, les expressions familières et même triviales. Le plus illustre évêque de la Gaule au vr siècle, saint Césaire d'Arles, dont il nous reste cent trente sermons, semble un père de famille qui converse affectueusement avec ses enfants. Un autre trait, que nous ne devons pas omettre dans une histoire des lettres, caractérise la prédication latine; ce sont des peintures plus sombres du monde futur, c'est le retour plus fréquent des idées de damnation et d'enfer. La nécessité d'imposer aux conquérants barbares le seul frein qui pût arrêter leur violence contribua à pousser dans cette voie les orateurs évangéliques. De là cette religieuse terreur dont les imaginations du moyen âge ont toutes porté les traces; de là ces formidables magnificences de la poésie de Dante et plus tard de Milton.

Histoire.

Nous devons encore au clergé des temps mérovingiens les rares monuments historiques qui ont préservé d'un complet oubli cette curieuse époque. Le plus précieux de tous est sans contredit l'Histoire des Francs par Georgius Florentius Gregorius, connu sous le nom de Grégoire de Tours'. Il serait injuste d'attendre d'un contemporain de Chilpéric et de Sigebert la méthode, la critique ou le style d'un véritable his

4. Né en Auvergne l'an 539; mort vers 593.

torien. Lui-même avoue son insuffisance avec une naïveté pleine de tristesse. « Nous mêlons confusément dans notre récit, dit-il, les vertus des saints et les désastres des nations.... La culture des arts libéraux décline ou plutôt périt dans les villes de la Gaule, la férocité des peuples sévit, la fureur des rois s'aiguise, et la plupart des hommes gémissent en disant : « Malheur à nos jours! parce que l'étude des lettres périt au milieu de nous. »

Or, c'est précisément la peinture vivante de cette barbarie et de cette confusion qui nous attache aux récits de l'évêque de Tours. Rien ne pourrait nous donner une idée plus juste de cette seconde période de la conquête, où les races diverses vivent réunies sur le même sol, dans un antagonisme adouci par une foule d'imitations réciproques. Il faut, dit M. Augustin Thierry, descendre jusqu'au siècle de Froissart, pour trouver un narrateur qui égale Grégoire de Tours dans l'art de mettre en scène les personnages et de peindre par le dialogue. Tout ce que la conquête de la Gaule avait mis en regard ou en opposition sur le même sol, les races, les classes, les conditions diverses, figure pêle-mêle dans ses récits, quelquefois plaisants, souvent tragiques, toujours vrais et animés. Nous entrevoyons à travers sa narration, la manière de vivre des rois francs, l'intérieur de la maison royale, la vie tumultueuse des seigneurs et des évêques de ce temps, la turbulence intrigante des Gaulois, l'indiscipline brutale des Francs. Ici c'est la barbarie dans toute sa grossièreté, sans conscience du bien et du mal, personnifiée dans la reine Frédégonde; près d'elle, l'homme de race barbare qui prend les goûts de la civilisation, se polit à la surface en conservant ses instincts et ses passions féroces, comme le roi Chilpéric; ailleurs, c'est le Gaulois qui se fait barbare pour descendre au niveau de ses contemporains, ou bien l'homme de la tradition romaine, l'évêque qui se souvient du passé et qui chemine à regret au milieu d'une époque où lacivilisation s'éteint; Grégoire lui-même en est le type. Son récit, divisé en seize livres, comprend', depuis l'épo

4. Le premier livre contient un sommaire de l'histoire universelle depuis la création d'Adam et d'Eve jusqu'à la mort de saint Martin.

que de l'établissement des Francs dans les Gaules, l'espace de cent soixante-quatorze ans et s'arrête à l'année 591 1. Après lui, l'histoire s'enfonce de plus en plus dans la sécheresse et la barbarie. Cinq chroniqueurs inconnus, dont le premier et le moins mauvais a reçu, on ne sait sur quelle autorité, le nom de Frédégaire, nous conduisent jusqu'au règne de Charlemagne et à son excellent biographe Éginhard.

Monastères.

Une des institutions qui eurent le plus d'influence sur l'avenir de la civilisation chrétienne, fut celle des monastères, asiles vénérés qui conservèrent pour des jours meilleurs les débris des traditions littéraires et les manuscrits précieux de l'antiquité.

L'esprit monastique, né en Orient, et antérieur au christianisme, subit en Occident une transformation décisive. Il abandonna la rêverie indépendante et l'oisive contemplation, pour une vie disciplinée et active. Saint Athanase, chassé de son siége et retiré à Rome en 341, avait amené avec lui quelques moines, et il célébrait les vertus et les charmes de la vie monastique. A sa voix toutes les petites îles situées sur la côte occidentale de l'Italie, se couvrirent d'une multitude d'ermites. C'est de là que saint Martin, exilé de Milan, apporta dans les Gaules les traditions du monachisme oriental, lorsqu'il vint fonder, vers l'an 360, le monastère de Ligugé, près de Poitiers. Dès le commencement du siècle suivant, saint Honorat établit dans une des îles de Lérins une abbaye d'où sortirent une foule d'hommes célèbres, et que saint Eucher, évêque de Lyon, nous dépeint sous les plus séduisantes couleurs. Nous transcrivons quelques-unes de ses paroles, parce qu'elles révèlent clairement l'état moral des esprits et les causes qui appelaient tant de transfuges au désert.

« Je considère avec respect, dit-il, tous les lieux décorés

1. Outre son Histoire des Francs, Grégoire de Tours a laissé plusieurs ouvrages d'hagiographie: les Vies des Pères, la Gloire des Martyrs, les Miracles de saint Martin, ete.

par les saints qui s'y retirent; mais j'honore particulièrement ma chère Lérins, qui reçoit dans ses bras hospitaliers ceux qu'a jetés sur son sein la tempête du monde ; qui introduit doucement, parmi ses ombrages, ceux qui brûlent des ardeurs du siècle, pour qu'ils y respirent, et y repren-' nent haleine sous l'abri spirituel du Seigneur. Abondante en fontaines, parée de verdure, couverte de vignes, agréable par son aspect et par ses parfums, elle semble un paradis à ceux qui l'habitent.

< Oh! qu'elles sont douces à ceux qui ont soif de Dieu les solitudes infréquentées! Qu'elles sont aimables à ceux qui cherchent le Christ, ces retraites immenses où la nature veille silencieuse! Ce silence a de merveilleux aiguillons qui excitent l'âme à s'élancer vers Dieu, et la ravissent en d'ineffables transports; là, on n'entend aucun bruit, si ce n'est celui de la voix humaine qui monte vers le ciel. Ces sons, pleins de suavité, troublent seuls le secret de la solitude, dont le repos n'est interrompu que par des murmures plus doux que le repos lui-même, les saints murmures des chants modestes. Du sein des cœurs fervents, les chants mélodieux s'élèvent, et la voix de l'homme accompagne la prière presque dans les cieux. »

En lisant cette suave poésie, qui semble elle-même un parfum exhalé du désert, on se croit encore en Orient, parmi ces Grecs à l'imagination aussi brillante que leur climat; on croit entendre saint Basile décrivant sa retraite de Cappadoce, ou Synésius, l'évêque philosophe de Cyrène, confiant ses aspirations de solitude et ses indépendantes rêveries à la lyre du vieillard de Téos. C'est qu'en effet, avec Eucher à Lérins (430), comme avec Cassien à Marseille (410), nous sommes encore dans les idées du monachisme oriental. Mais cette espèce de quiétisme était trop incompatible avec le génie de la Gaule pour se naturaliser dans ses monastères. Ces pieuses retraites devinrent bientôt de grandes écoles de théologie et même de véritables colonies agricoles, où le travail manuel, la culture de la terre, naguère abandonnée aux esclaves, se réhabilitait dans des mains libres et pieuses. "Les moines ont été les défrieheurs de l'Europe; ils l'ont

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