Images de page
PDF
ePub

n'est jamais en défaut sous sa main; le vers de dix syllabes, ce mètre qui semble né pour les piquants et joyeux récits, lui fournit une richesse étonnante de coupes et d'effets poétiques, dont Voltaire seul a su lui dérober le secret. La Fontaine lui-même n'a point surpassé l'excellent conte du Rat et du Lion. Nos poëtes du grand siècle, réduits si souvent à implorer les secours de leurs riches protecteurs, ne l'ont pas fait avec tant d'esprit que Marot, dans l'épître où il se plaint au roi d'avoir été dérobé par son valet de Gascogne,

Gourmand, ivrogne et assuré menteur,

Pipeur, larron, jureur, blasphémateur,
Sentant la hart de cent pas à la ronde,
Au demeurant le meilleur fils du monde.

La poésie familière, ingénieuse et sensée, l'un de nos trésors les plus précieux du moyen âge, venait donc de trouver dans la personne de Marot son expression définitive; mais cette poésie embrassait-elle toute l'étendue de l'esprit français au XVIe siècle? N'y avait-il rien au delà? Les doctes élèves de la Renaissance, les écoliers du nouveau Collège de France,

De la trilingue et noble académie,

après avoir lu dans leurs langues sacrées Virgile, Horace où Pindare, ne devaient-ils pas trouver un peu maigres ces braves formes de s'exprimer, qui ne pouvaient s'élever audessus des plus humbles sujets? Il leur semblait, suivant l'expression de l'un d'entre eux, « passer de l'ardente montagne de l'Etna sur le froid sommet du Caucase. »> En vain Mellin de Saint-Gelais, ce prélat mondain de l'école de Marot, avait-il joint à la fluidité de son maître la grâce un peu maniérée des sonnets italiens. Il n'avait produit, malgré tout son soin à « peu et gracieusement écrire, que de petites fleurs et non des fruits d'aucune durée; c'étoient des mignardises qui couroient de fois à autres par les mains des courtisans et des dames de la cour. Après sa mort on fit imprimer un recueil de ses œuvres, qui mourut presque aussitôt qu'il vit le jour1. »

4. Et. Pasquier, Recherches, liv. VIII, chap. v.

Saint-Gelais, digne de Marot seulement dans ses licencieuses épigrammes, fut toujours médiocre dans les sujets sérieux. D'ailleurs, épicurien pratique, vivant à l'aise de sa grasse abbaye de Notre-Dame des Reclus, et ensuite de sa charge de bibliothécaire du roi, il se bornait à chanter périodiquement les mariages des princes et les petits événements des cours, laissant la carrière libre à des poëtes plus actifs et plus aventureux.

Les Novellieri français; Despériers; Marguerite de Navarre.

Cependant la prose littéraire, celle qui aspirait à produire des œuvres d'art, parvenait, comme la poésie badine, à une perfection analogue, sous la double influence de l'Italie et de la cour. Le Fabliau devenait la Nouvelle, le récit populaire faisait place au conte aristocratique, qui n'en était pour cela ni plus noble ni plus grave. Dans les cours, dans les châteaux, commençait à s'introduire le talent si français de la conversation; on y passait les longues soirées à raconter des anecdotes ou des histoires. Puis quelquefois un des familiers de la maison recueillait et faisait imprimer, sous le nom du maître, les souvenirs les plus piquants de ces longues causeries. C'est ainsi que furent attribuées soit à Louis XI, soit au duc de Bourgogne, les Cent Nouvelles nouvelles écrites par de nobles seigneurs de leur cour. La traduction de Boccace et les rapports politiques de la France avec l'Italie augmentèrent la vogue des Nouvelles. La cour de François Ier vit paraître de semblables recueils; l'un d'eux, l'Heptaméron, porte le nom de sa sœur Marguerite, reine de Navarre. A en croire Brantôme, la reine les composa et les écrivit elle-même. Elle fit en ses gaîtés un livre qui s'intitule: les a Contes de la reine de Navarre.... Elle composa ses Nouvelles « la plupart dans la litière, en allant par pays; car elle avait « de plus grandes occupations étant retirée. Je l'ai ouï ainsi

«

conter à ma mère, qui allait toujours avec elle dans sa « litière, comme dame d'honneur et lui tenait l'écritoire. » Bonaventure Despériers, à qui l'on a quelquefois, mais sans preuve, attribué cette collection, en a fait lui-même une autre sous le titre de Nouvelles récréations et joyeux devis. Les

contes de Despériers', esprit tout rabelaisien, contiennent le développement simple, hardi et souvent grossier, d'un trait d'esprit, d'une joyeuse réplique. C'est une causerie fine, variée, abondante à propos du plus léger sujet. L'auteur est un des hommes de style les plus distingués du xvre siècle. Les Nouvelles de la reine de Navarre, inférieures sous le rapport du style, ont plus d'intrigue et d'action. L'influence des nouvellistes italiens s'y fait sentir à chaque instant, mais en s'altérant dans son caractère méridional et poétique. Le récit de Boccace révélait toute la richesse de son imagination. les fleurs y étaient semées à pleines mains. On retrouve dans ses peintures quelque chose de la délicatesse exquise qui fait l'éternelle beauté de l'églogue antique; on sent que l'auteur avait vécu à Naples, sous ce ciel déjà grec. Un critique dont l'ingénieuse sagacité égale l'immense savoir, a remarqué que, dans la première de ses Journées, la description de la chaleur étouffante, du calme lourd dont on est accablé, au moment où le soleil arrive au sommet de sa course, rappelle les premières pages du Phédon. Tout ce poétique éclat s'est terni dans le narrateur français. Le bon sens, l'esprit bourgeois des grands seigneurs de France a pris la place du vif sentiment de l'art. La fiction même qui sert de cadre aux récits de l'Heptameron, suffit pour indiquer cette différence. Ce n'est plus, comme dans Boccace, ce magnifique contraste de la peste qui décime un peuple, et d'une société voluptueuse qui oublie dans un doux passe-temps la mort prête à la frapper. C'est la peinture presque flamande d'un intérieur d'auberge, où le débordement du gave béarnais force une joyeuse société à chercher un refuge et à demeurer pendant sept jours. La reine de Navarre ressemble ici plutôt à

1. Né en Bourgogne vers la fin du xve siècle; mort vers 1544.

2. Je ne parle point de son Cymbalum mundi, dialogues à la manière de Lucien, qui soulevèrent contre leur auteur un orage si terrible, qu'il ne trouva dit-on, d'autre asile contre la persécution que le suicide.

3. Fille de Charles d'Orléans, née à Angoulême en 1492; mariée en secondes noces à Henri d'Albret, roi de Navarre; morte à Orthez en 1549. 4. J. J. Ampère, Cours inédit de 4842. On en trouve une analyse intéressante dans le Journal de l'instruction publique.

5. De là le titre du recueil.

Chaucer (Canterbury tales) qu'à Boccace. Elle n'imite que trop ce dernier par l'extrême liberté de ses narrations.

Le caractère général et commun de ces Nouvelles, c'est de n'avoir d'autre objet que l'amusement. Le Fabliau du moyen âge avait une portée générale et presque philosophique. La Nouvelle du XVIe siècle est un récit complétement local et individuel, qui repousse toute idée d'enseignement. Elle appartient à ce qu'on appelle aujourd'hui la littérature facile; et si, par sa couleur, par sa liberté, ses contrastes de gaieté folâtre et de sanglantes intrigues, elle reproduit à son insu l'image des mœurs contemporaines, elle est complétement étrangère à la pensée, aux travaux, à la vie intellectuelle de l'époque. Despériers était, avec moins de talent, le Clément Marot de la prose.

La littérature française ne pouvait se condamner à chanter éternellement la grâce d'un doux nenni, ou à raconter sans fin de frivoles fictions. Nous avons vu les hommes de pensée et les hommes d'action agiter de bien autres problèmes; il fallait que la forme littéraire, la parole considérée comme un art, s'élevât à la même hauteur.

CHAPITRE XXVII.

TENTATIVE DE RÉFORME LITTÉRAIRE.

DU BELLAY, RONSARD ET LA PLÉIADE. JODELLE; RENAISSANCE DU THEATRE. DUBARTAS; D'AUBIGNÉ.

Du Bellay, Ronsard et la Pléiade.

Vers le milieu du XVIe siècle, un jeune gentilhomme vendômois, page du duc d'Orléans, Pierre de Ronsard1, forcé par une surdité précoce de renoncer à la cour, s'enferma, avec le jeune Baïf, son ami, avec Remi Belleau et Antoine

4. Né le 14 septembre 1524, et non, comme on l'a dit le jour de la bataille de Pavie (24 février 4525). De Thou s'est donc entièrement trompé en présentant la naissance de ce poëte comme un dédommagement que la fortune donnait ce jour même à la France.

Moret, dans un couége dont le savant Daara: venais d'ètre nommé principal. Une nouvelle ambition s'etait emparée du jeune Ronsard : c'etait de faire passer dans la langue vaigaire toute la majesté d'expression et de pensée qu'il admirait chez les anciens. I coramuniqua à ses nouveaux condisciples son projet et son enthousiasme. Tous se mirent à l'œuvre avec un admirable courage, « Ronsard, dit son biographe, ayant été nourri jeune a la cour et dans l'habitude de veiller tard, demeuroit à l'étude sur les livres jusqu'à deux ou trois heures après minuit, et en se couchant il réveilloit le jeune Baif, qui, se levant et prenant la chandelle, ne laissoit pas refroidir la place. Cette forte discipline, cette laborieuse préparation dura sept années entières. Déjà la renommée de ces savants travaux començait à se répandre au dehors; déjà, signe certain des dispositions et de l'attente du public, on saluait complaisamment Ronsard du surnom d'Homère, de Virgile, quand parut le manifeste de la nouvelle école. Joachim du Bellay en était l'auteur1.

[ocr errors]

Il commençait par réhabiliter la langue française, jusquelà dédaignée par les savants, et par montrer que son avenir pouvait compenser la faiblesse de son passé. Nos ancêtres, disait-il, nous ont laissé notre langue si pauvre et si nue qu'elle a besoin des ornements et, s'il faut parler ainsi, des plumes d'autrui. Mais qui voudroit dire que la grecque et romaine eussent toujours été en l'excellence qu'on les a vues au temps d'Horace et de Démosthène, de Virgile et de Cicéron?... Notre langue commence encore à fleurir, sans fructifier cela certainement non pour le défaut de sa nature.... mais par la faute de ceux qui l'ont eue en garde. » Par quel moyen peut-on håter son développement? par l'imitation des anciens. « Traduire n'est pas un moyen suffisant pour élever notre vulgaire à l'égal des plus fameuses langues. Que faut-il donc ? imiter! imiter les Romains comme ils ont fait les Grecs, comme Cicéron a imité Démosthène et Virgile Homère.... Il faut transformer en soi les meilleurs auteurs,

A. Défense et illustration de la langue française, par I. D. BA (Joachim du Bellay). Paris, 4549. Le privilège est daté de 1548.

« PrécédentContinuer »