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explications de Taine. Continuant l'exemple précédemment cité du visiteur qui parcourt les diverses salles d'une galerie de tableaux, l'auteur de « l'Intelligence », écrit que ce visiteur a une tendance à nommer. Il fournit ainsi un argument contre sa théorie. Indépendamment du mot, en effet, on ne peut nier l'existence de ces tendances cela ne frappe point pour les objets de pure intellectualité, pour les phénomènes abstraits; mais la distinction est saisissante dès que l'on pénètre dans le monde du sentiment, de la vie affective, plus simplement dès que l'on aborde le domaine de la Vie. Une tendance, on l'a fait justement observer, c'est un mouvement qui commence. Lorsqu'un artiste éprouve une émotion d'art, quelle que soit sa nature, quelle que doive être son expression, qu'il s'agisse de mots, de sons ou de lignes, il se produit tout un ensemble de phénomènes psychologiques qui ont pour fin dernière cette expression; l'invention du mot est une des manifestations de ce besoin. Par conséquent, sous le mot il y a la tendance à nommer, un afflux nerveux qui tend à une décharge; le mot n'est qu'une décharge, et il est contradictoire de dire qu'elle puisse se suffire à elle-même. Le mieux informé des partisans de la doctrine réaliste, M. Ribot, est arrivé

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à cette conclusion, à la suite d'expérimentations faites sur les sujets les plus variés. Prenant ses sujets dans les différentes classes sociales, il a obtenu des résultats d'autant plus sûrs qu'il s'adressait à des individus d'un niveau intellectuel plus médiocre. Il a étagé des abstractions, prononçant devant eux les mots cause, infini; il a soigneusement noté les réponses qui lui étaient faites par les gens auxquels il demandait à quelle idée correspondait dans leur cerveau le mot prononcé. Il a acquis cette conviction que les individus, pour la plupart, avaient dans l'esprit, d'abord le mot, puis la tendance à l'état naissant.

Pour résumer et conclure, en nous rapprochant du cas particulier de Balzac, nous dirons : A côté du mot, il y a toujours un substratum, le substratum des tendances. Tout un monde de tendances vit et s'agite sous le mot. Mais celles-ci ne sont que des effets dont le tempérament ou type propre à l'artiste nous apparaît la cause initiale, et de même que ce tempérament lui impose ses tendances, il lui dicte son style. Tout ce qu'il y a de sentiment, d'énergie volontaire dans un être, tout ce qui contribue à modeler l'âme d'un artiste, contribue aussi à former sa langue, ses moyens d'expression, et lui constitue

une personnalité plus ou moins tranchée. C'est en ce sens qu'elle semble d'une rigoureuse exactitude, la définition fameuse que Buffon donna du style, si souvent déformée, mais à laquelle on a pu justement attribuer une portée profonde. L'énergie vitale de l'homme, ses habitudes d'existence, tout ce qui constitue son être intime, se reflète dans les productions de son cerveau. Le véritable artiste produit avec tout son être. Dans la théorie des Types on trouve une application directe de cette vérité. On connaît cette classification des individus en auditifs, visuels ou moteurs, suivant la prédominance des images qui ressuscitent dans leur cerveau : c'est ainsi que la caractéristique du type visuel est la réviviscence des images qui primitivement ont affecté sa vue; celle du type moteur, la réviviscence des images de mouvement. Chaque fois que je me représente la marche, disait Stricker, le savant Allemand qui a le mieux approfondi la question, je sens des phénomènes analogues à ceux que j'éprouve quand je marche réellement. »

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Au lieu de voir les mots ou de les entendre, les représentants du type moteur les prononcent (1).

(1) Charcot a puissamment contribué à élucider cette théorie des types.

§ 2. L'AME LITTÉRAIRE DE BALZAC.

Application au cas de Balzac. Renaissance des états internes.

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Don de vision intérieure. Faculté d'évocation et d'imagination sympathique. Sa maitrise souveraine l'expression des mouvements d'âme.

L'apport scientifique dans le style de Balzac; il se combine avec l'élément poétique; il se transmue en poésie.

La Science dans le Roman. Différence entre Balzac et ses successeurs. L'observation brutale et l'invention.

L'exposé un peu aride de ces théories spéciales n'apparaitra pas, nous l'espérons, comme une pure digression; car dans notre pensée il se relie intimement au cas particulier de Balzac et à l'examen raisonné de son style. Jusqu'ici, déjà nous l'avons marqué, il s'est rencontré des écrivains pour exalter ce style; d'autres, beaucoup plus nombreux, pour l'attaquer; quant à en tenter une explication, nous ne pensons pas qu'on l'ait fait, et pourtant n'est-ce pas là seulement ce qui importe? Son œuvre peut se diviser en deux, si on l'examine au point de vue spécial de la forme d'une part la Comédie Humaine, qui représente l'effort de son invention moderne; de l'autre les Contes Drolatiques, où il s'est donné le plaisir de faire œuvre archaïque et de subordonner ses conceptions littéraires à un parti pris d'art. Il faut les envisager séparément,

tout en leur appliquant une méthode identique.

Si nous partons des théories précédentes pour nous efforcer d'en dégager une loi, nous pouvons dire que chaque écrivain manifeste dans son style la catégorie du type auquel il se rattache, et que le style d'un auteur, c'est la classe des images qui d'habitude ressuscitent en son cerveau. A l'analyse on découvre aisément la prédominance de certaines images, des métaphores visuelles, par exemple, ou des réminiscences sentimentales. De là naîtra son talent particulier. S'il est préoccupé du monde extérieur, son style sera rempli de métaphores colorées. S'il est de tempérament nerveux, on sentira perpétuellement l'effort quand il s'agira de rendre une image visuelle, tandis que les réminiscences sentimentales lui viendront tout spontanément.

Posons-nous la question pour Balzac, et maintenant examinons son cas. Sa nature est assurément fort complexe, pas à ce point pourtant que l'on ne puisse, dans l'apport sans cesse renouvelé du tempérament, de l'éducation, des circonstances multiples qui contribuèrent à former son génie, discerner les tendances maîtresses. De même que Flaubert, qui est un type admira

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