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CHAPITRE VI

BALZAC DEVANT LA CRITIQUE

Le moment est venu d'apprécier l'influence de Balzac. Différentes phases que traversent les artistes, quant à l'opi

nion.

:

Les débuts de Balzac ils ne comptent pas au point de vue littéraire. Quels furent ses véritables débuts. L'attitude de la critique à son égard.

naire de ses écrits. d'immoralité.

Caractère révolutionComment ils soulevaient l'objection

Les attaques du Journalisme après la publication des Illusions perdues. Ce n'était qu'une vengeance, et une vengeance

bien justifiée.

Opinion des contemporains: Philarète Chasles. George Sand. Théophile Gautier; portée de son étude sur Balzac,

Opinion des poètes : Lamartine et Victor Hugo.

La Rénovation de l'esprit critique : Sainte-Beuve. Points de ressemblance et de différence entre sa nature et celle de Balzac.

Taine. Son étude est la seule qui soit définitive.

L'heure paraît bien venue, maintenant, d'examiner en ses grandes lignes et par ses traits saillants l'attitude de la pensée critique à l'égard de celui qui fut le véritable créateur du Roman, et dont la principale gloire fut de transmettre à ses héritiers littéraires le merveilleux instrument

qu'ils devaient par la suite assouplir en l'adaptant à leur nature propre, sans rien ajouter cependant d'essentiel à ce que leur illustre précurseur avait tiré du fond de son génie inventif. Voici près d'un demi-siècle que Balzac a disparu de la scène littéraire, non pas effectivement sans doute, puisque son œuvre continue de vivre et de tenir son rang, un rang exceptionnel, dans les préoccupations des hommes de pensée. Cinquante années se sont écoulées depuis que se trouve close la série des ouvrages par lesquels se manifestait son incroyable fécondité. N'est-ce pas là un recul suffisant pour qu'il soit aujourd'hui permis, tout comme il peut être étrangement instructif, de préciser la réaction produite par son œuvre sur les esprits du temps, sur ceux qui marchèrent côte à côte avec lui? plus intéressant encore et plus instructif d'examiner au même point de vue ceux qui vinrent à sa suite, cherchant dans ses œuvres des exemples? Ainsi et par une même analyse, ce n'est pas seulement l'attitude de la critique, ce ne sont plus seulement des jugements hostiles ou favorables qu'il nous sera donné de saisir, mais quelque chose de plus important encore et de plus général : l'esprit et les tendances d'une époque.

Un artiste d'une telle hardiesse traverse néces

sairement, en ce qui touche l'opinion, des phases diverses et contradictoires. Ce sont d'abord les années de luttes, de combats renouvelés pour le triomphe de son idée; d'autant plus longues et plus cruelles que son attitude a été plus intransigeante et plus contraire à l'opinion. Il se rencontre assez peu d'exemples, dans l'histoire de la Pensée, et si l'on excepte ces époques fortunées où l'art était une émanation directe des plus intimes besoins de la vie sociale, toujours en correspondance harmonieuse avec elle, d'un homme de génie s'imposant du coup par la seule puissance de ce génie. Le sort de presque tous est une première période, durant quelquefois toute la vie, de défaveur ou d'hostilité, jusqu'à ce que l'œuvre pour laquelle ils ont combattu vienne prendre rang parmi celles de la génération qui l'a vue naître. Elle est alors discutée, non plus par ceux dont le rôle est de juger à la hâte, mais par des esprits plus subtils et plus autorisés. Et c'est là comme une seconde période dans la destinée de l'artiste. Puis enfin les années s'écoulent des générations nouvelles se succèdent, et si l'œuvre est de celles qui doivent influer sur l'avenir, elle prend un rang définitif et consacré.

Ainsi en fut-il pour Balzac, dont la fortune

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littéraire suivit à peu près la marche que nous venons d'indiquer; à peu près, disons-nous, car nul n'ignore qu'aux débuts de la production du grand romancier, il est toute une période qu'il faut omettre, il ne l'envisageait pas luimême comme un véritable moment de sa vie d'écrivain nous voulons parler des premières années, qui vont de 1822 à 1829, celles qui suivirent la légendaire tentative du « Cromwel» lu en présence de la famille assemblée, et durant lesquelles il publia des œuvres de jeunesse qu'il eut soin de ne pas signer de son nom, averti comme par une intuition qu'elles deviendraient un jour indignes de lui. Cette période, d'une réelle importance au regard du biographe psychologue, n'en offre aucune pour qui se place au seul point de vue de l'opinion. Ayant écrit des œuvres sans valeur et sans portée, Balzac les vit favorablement accueillir. Mais il était à luimême son propre juge, et un juge trop sévère pour persévérer longtemps dans cette voie. On sait comment il fit ses véritables débuts dans la vie littéraire par des romans, signés de son vrai nom ceux-là, dignes en tous points du futur auteur des grandes scènes de la Vie parisienne, puisqu'on y trouve entre tant d'autres des œuvres, comme « Les Chouans », la « Physiologie du ma

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riage », la délicieuse «< Étude de femme » la première partie de la « Femme de trente ans » des contes admirables tels que la « Belle Impéria », le « Chef-d'œuvre inconnu »; enfin de puissantes créations comme la « Peau de chagrin », le « Médecin de campagne », la « Recherche de

l'Absolu» et « Louis Lambert » .

Un tel ensemble d'écrits, touchant à des questions si palpitantes et si diverses, n'était pas fait, on le conçoit, pour laisser la critique désarmée. L'écrivain qui se permettait d'aborder les plus graves problèmes de l'amour et de la vie sociale, celui qui les présentait avec une si étrange audace, une si magnifique amoralité, devait être l'objet des plus violentes attaques. Balzac eut en effet cette rare fortune, à ses débuts, d'être vilipendé par tous les aboyeurs à gages. Tous ceux qui, par ambition ou par nécessité, pour mériter des places ou pour gagner leur pain, se constituent défenseurs des idées reçues, trouvèrent dans ses œuvres une occasion perpétuellement renouvelée d'exercer leur verve. Ne se révélait-il pas comme un révolutionnaire décidé, et des plus hardis en tous points? Révolutionnaire en son effort purement littéraire, puisque, d'une part, dans sa conception théorique des passions, il les envisageait comme des forces

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