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des exemplaires les plus justement réputés de la haute critique contemporaine, autant par la pénétration et la profondeur des aperçus que par l'unité d'esprit et la puissance de souffle qui par instants en élève le ton jusqu'à l'éloquence. Elle demeure, en somme, ce qui a été écrit de plus complet et de plus sincère sur Balzac. Depuis Taine, à vrai dire, il ne paraît pas qu'aucun travail de cette nature ait été entrepris, et pourtant, s'il est une chose qui puisse surprendre, c'est que ce grand sujet n'ait pas tenté tel ou tel écrivain que nous ne nommerons pas ici, mais qu'il est aisé de deviner.

CHAPITRE VII

LE GÉNIE DE BALZAC

Balzac génie complet. Prépondérance d'une idée maitresse. Véritable sens de cette appellation : miroir fidèle et grossissant des choses de la nature. Sa double maîtrise : compréhen

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sion universelle et unité d'esprit.

Il est le contraire d'un spécialiste. Rapports entre son universalité et l'idée mère de la Comédie humaine. L'esprit généralisateur ou systémaSupériorité de l'artiste sur le savant.

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tique. Balzac créateur d'art.

Comment il a renouvelé la forme du Roman. Ce qu'était le Roman au dix-huitième siècle : un fin badinage ou un prétexte à dissertations philosophiques. Balzac y a fait entrer la notion d'Art et de Beauté. L'art littéraire objet de culte.

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Balzac a peint le transitoire et l'éternel. Romancier de mœurs à la fois et peintre de caractères. Ses principales qualités d'artiste Puissance et Force. Relief de ses créations littéraires. Charme et délicatesse de ses figures féminines. Son vrai domaine est la Passion. Ce qui lui manqua le plus : le Goût. Rapprochement avec les contemporains: Dumas, le grand amuseur. George Sand : absence de sincérité. Stendhal, seul digne de compter auprès de lui. Son influence sur l'art moderne. Gustave Flaubert. M. E. Zola.

Le mouvement réaliste : Sa prétendue filiation avec

Balzac. Il ne lui tient en rien. Les disciples de M. Zola. Le Roman russe est sorti de Balzac : en quoi il lui ressemble; en quoi il en diffère.

La littérature idéaliste et la littérature mystique en France. L'influence de Balzac s'indique surtout comme une influence d'avenir.

Génie complet: ce sont bien là, semble-t-il, les

mots qu'il convient de prononcer pour caractériser l'effort créateur du plus touffu, comme aussi du plus puissant entre tous les écrivains français de ce siècle. Aussi bien ne faisons-nous, lorsque nous les appliquons à Balzac, que reprendre, en vue d'une généralisation plus haute, les conclusions partielles auxquelles nous avait déjà conduit l'examen successif des principales faces de son talent. Le cycle d'études tentées dans ces Essais, qui s'ouvrait sur la conception d'ensemble de la Comédie humaine, pour aboutir à sa philosophie, laquelle régit et domine son œuvre, nous fait toucher du doigt une fois encore, à l'occasion d'une gloire littéraire, non certes la plus pure mais la plus éclatante, ce criterium indiscutable de toutes les souverainetés intellectuelles, à savoir, l'influence despotique d'une idée maîtresse sur une existence. C'est pour l'avoir éprouvée cette influence, sinon dès l'origine de sa production d'artiste, du moins à l'époque où il acquérait la pleine conscience de sa force et du rôle qu'il avait à tenir, que Balzac s'éleva au rang supérieur que la critique moderne s'accorde à lui attribuer, et que ratifieront sans nul doute les générations à venir.

Génie complet, avons-nous dit. Ceci demande explication et vaut qu'on s'y arrête. Si l'on

entendait par là un certain idéal de perfection littéraire résultant d'un équilibre heureux des facultés, rien ne serait plus faux son tempérament et sa fougue de créateur étaient exclusifs de toute idée d'eurythmie dans le jeu des facultés intellectuelles: excessifs tout au contraire et débordant le cadre, ils tiraient leur raison d'être de cet excès même, et leur force résidait en lui. Mais si nous attribuons aux mots un autre sens, si nous envisageons l'artiste ainsi que le miroir où se reflètent les choses de la nature, et que nous mesurions sa maîtrise à sa puissance d'exactitude et de grossissement, alors nous devons dire qu'ils conviennent bien à Balzac, car il fut un miroir rigoureusement fidèle et merveilleusement grossissant. Fidèle, en ce sens que, dans l'innombrable variété des sentiments qui-composent l'âme humaine, il n'y en eut pas un qui lui demeurât inconnu, pas un, de ceux qui valent qu'on s'y arrête, dont sa pénétration d'observateur ne lui marquât l'intérêt. Grossissant enfin, puisque dans la peinture qu'il nous a laissée de la vie, l'imagination du poète a su transposer la réalité et mettre en leur valeur les éléments épars que cette réalité lui présentait !

Sa double maîtrise tint donc à ce qu'il eut de

la vie une compréhension universelle, subordonnée à une idée lui communiquant l'unité. Les choses de la nature lui apparurent ainsi qu'un ensemble de forces, intimement unies, dans un rapport de dépendance éternelle et de réaction continue les unes à l'égard des autres, et il lui sembla que l'artiste, ayant pour mission de les peindre, ne pouvait être incomplet sans risquer d'être infidèle. Il eut cette faculté rare de voir des masses et des ensembles, de ne jamais envisager les âmes indépendamment des circonstances parmi lesquelles elles se développent, non plus que des âmes voisines qui contribuent à les modeler. Tout porte à croire que, lorsqu'il peignait une âme séparée, isolée dans l'existence par une destinée d'exception, il avait commencé par l'imaginer au milieu de circonstances normales, autrement dit qu'il concevait ce qui aurait pu être, avant de décrire ce qui était. Les artistes de second ordre et de simple talent s'attachent, dans la nature, aux seules faces de la réalité qui conviennent à leur tempérament, et comme ce tempérament est exclusif, leur art se manifeste incomplet. Ils peignent bien ce qu'ils voient, mais ne savent peindre que ce qu'ils voient.) Encore pourrait-on dire avec justesse que, si habiles qu'ils soient dans leur spécialité, ils n'y

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